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La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme

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FORCE QUE DONNE L’ABSENCE DE JALOUSIE

Je me persuadai que la jalousie est un sentiment misérable et qu’il y a du mérite à être trompé.

J’avais éprouvé cette accélération des battements du cœur, ce tremblement des mains, cette immobilité de tous les motifs de vivre, que procure l’idée que la femme qu’on aime pourrait être à un autre. Mais la monotonie de la vie, l’ennui, la crainte d’une éternelle fidélité, la fatigue et la certitude du plaisir avaient usé peu à peu toutes mes velléités de jalousie.

Je me représentai que peut-être une trahison évidente, inattendue, à laquelle ma volonté ne contribuerait pas, serait une fin excellente à une liaison dont je commençais à sentir le poids.

L’irrémédiable mal était la régularité de mes rapports avec ma maîtresse. Être trompé apporterait de toute façon un élément de nouveauté. Ce serait un fait, une chose qui trouble les rapports quotidiens, cause la pensée et le retour sur soi-même.

La jalousie fait naître comme mouvement réflexe la jalousie. Ma maîtresse était jalouse, je l’étais aussi, inconsciemment ou par devoir. Cette jalousie systématique et nullement ressentie était une petite barrière qui m’empêchait d’être trompé. Je travaillai avec ardeur à la supprimer. Ce fut moins aisé que je ne le croyais tout d’abord.

Il me fut difficile les premiers jours de ne pas demander à Paulette ce qu’elle avait fait dans l’après-midi, où elle était allée, etc. J’y parvins pourtant. Je supprimai toutes les questions qui pouvaient faire supposer que je m’intéressais à sa vie, quand elle était loin de moi. Elle en fut surprise. Elle m’énuméra toutes ses actions sans que je l’interroge, tandis qu’auparavant elle gardait malicieusement le silence et jouissait de ma curiosité qu’elle ne satisfaisait qu’à demi.

Mais je fus distrait, absent, je fis semblant de ne pas écouter. Cette indifférence l’affecta à un point que je n’aurais pu croire.

Toutes les fois qu’une petite discussion surgissait entre Paulette et moi, elle me menaçait d’un certain docteur V…, qui la soignait, qui lui avait fait la cour et dont j’avais été très jaloux.

— Je dîne avec le docteur V…, me dit un soir Paulette.

Je répondis :

— Tant mieux ! je suis moi-même invité par des amis.

Et le lendemain, quand je la revis, je lui parlai tout de suite de petites choses indifférentes sans faire la moindre allusion à la soirée avec le docteur V…

Pendant quelques jours je n’entendis parler que de ce docteur V… Il accompagnait mon amie en voiture, il lui écrivait, il allait lui écrire. Mais je gardai une inattention obstinée pour toutes les paroles qui le concernaient ; j’approuvai tous les rendez-vous pris avec lui et je ne consentis à prononcer son nom que pour dire l’estime que je lui portais.

Il sembla, un jour, que le docteur V… avait disparu de la terre. Il n’attendait pas Paulette au thé ; il ne l’avait pas invitée au théâtre. Je demandai de ses nouvelles ; il n’était pas en voyage. Il était simplement rentré dans l’ombre d’où la jalousie l’avait fait sortir un instant.

Il y eut en moi un mouvement irraisonné de satisfaction et de victoire. Ma maîtresse m’était revenue avec une inaltérable fidélité, un redoublement d’amour. Mais j’eus la sensation de perdre un ami en perdant ce docteur V…, que je ne connaissais pas. Il avait été pour moi un occulte allié ; nous nous comprenions sans nous entendre ; je lui devais mes soirées de liberté. Il n’avait reçu aucun remerciement pour tant de bienfaits.

Je connus la force terrible que donne l’absence de jalousie et que celui qui sait se mettre au-dessus de ce commun sentiment peut faire avec l’humiliation et l’étonnement de sa maîtresse un amour d’autant plus grand qu’il ne rencontre pas les bornes habituelles pour le contenir.

Car la surprise, le sentiment que les règles ordinaires de l’instinct et du cœur sont violées, voilà de puissants attraits pour les femmes.

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