← Retour

La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme

16px
100%

EST-IL INDISPENSABLE D’ÊTRE RICHE ?

J’ai beau avoir un complet neuf, un chapeau dur et correct, m’être dépouillé de cet air artiste que j’avais malencontreusement affecté pendant des années, il s’échappe de moi un je ne sais quoi qui fait qu’on sait tout de suite que je ne suis pas un homme riche.

La première fois que j’ai demandé Henriette L… à son concierge, celui-ci m’a répondu bienveillamment que c’était au premier à droite. Et dans son œil j’ai lu tout de suite le jugement sans appel qu’il portait sur moi :

— Allez, jeune homme. Allez faire la cour à madame L… Vous réussirez ou vous ne réussirez pas, cela m’est égal. Mais ce qui est certain, c’est que vous ne payerez jamais sa voiture et son appartement et que je n’obtiendrai de vous que des billets de théâtre ou de petites sommes sans importance.

Si on a pour maîtresse une femme plus riche que soi, il faut agir avec prudence, les premières fois que l’on sort avec elle. Les femmes ne savent guère de quel argent on dispose. Si on leur dit : « Je gagne dix mille francs ! » elles ignorent si c’est par an ou par mois, et elles seraient plus tentées de croire que c’est par mois.

Si dès le début on se livre à des dépenses au-dessus de ses moyens, comment ensuite revenir sans honte en arrière ? Quand on a été dîner avec sa maîtresse dans de petits restaurants, elle a du plaisir à aller dîner un jour dans un restaurant plus grand. Un lieutenant passe volontiers capitaine, mais on n’a jamais vu un capitaine être nommé lieutenant sans qu’il donnât immédiatement sa démission.

Il convient d’avoir toujours l’autorité, l’aisance, le laisser-aller des gens qui ont beaucoup d’argent. Si on a eu la folie de partir, un soir, pour aller au théâtre et souper ensuite, sans avoir sur soi la somme qui permette de faire face à toutes les dépenses, il faut se garder de laisser percer la moindre anxiété, il faut se garder de parler de ces questions misérables. Quelque migraine subite et invincible doit vous ramener chez vous, non sans que des prodigalités (très petites naturellement) ne déguisent la vraie cause du mal.

D’une façon générale, ces fleuristes qui vous présentent des bouquets aux terrasses des cafés sont de précieux auxiliaires. On a coutume de les chasser en se plaignant de leur importunité. On a tort. Pour quelques sous on paraît généreux, on fait un cadeau et ce cadeau est revêtu du prestige sentimental que les fleurs ont pour les femmes.

De même, les personnages faméliques qui courent chercher les voitures, ouvrent et ferment les portières, quand ils reçoivent vingt centimes au lieu de dix, ont des paroles de louange qui ne sont pas perdues et tombent dans la balance de l’amour.

Il n’est pas indispensable d’être riche pour conquérir les femmes, et il est faux de dire que les femmes qui ne coûtent rien coûtent plus cher que les autres. Car si l’on fait l’addition, les femmes qu’on paye nécessitent les mêmes dépenses, plus l’argent qu’on leur donne, moins l’amour qu’elles ne vous donnent pas.

Car il semble mathématique qu’à mesure qu’un homme développe par ses bienfaits le sentiment de la reconnaissance dans le cœur d’une femme, il diminue son amour. La reconnaissance est toujours mêlée d’une certaine amertume, du regret de l’infériorité dans laquelle on est, de la pensée que le bienfaiteur ne fait pas assez, ne fait pas, en tout cas, tout ce qu’il pourrait faire.

Une femme qui reçoit un sac en or, a toujours vu chez une de ses amies un autre sac en or, plus beau, d’un tissu plus fin, orné de petits diamants. Elle pensera aussitôt que l’ami qui lui donne ce sac a de belles propriétés, une banque prospère, fait pour lui personnellement de grandes dépenses ; l’absence des petits diamants effacera tout le plaisir causé par le don du sac ; il lui semblera que ces diamants lui revenaient de droit, qu’ils lui ont été en quelque sorte volés.

Et de quel doute amer doit être saisi celui qui fait les frais de tous les meubles, de toutes les robes, de l’électricité et de la salle de bain ? Quel plaisir peut-il éprouver, qui ne doive pas être gâté par le sentiment que toute joie est conventionnelle autour de lui, que celle qu’il aime lui fait poliment les honneurs de son bien, de même qu’un fermier présente au châtelain les vignes et les champs qu’il a cultivés et où il se plaisait, tant que le maître n’était pas là ?

Et comment ce riche, quand il il aura payé la note du tapissier et de la couturière, ne songera-t-il pas, en recevant le baiser de sa maîtresse, qu’elle paye aussi une note, et comment ne craindra-t-il pas que cette monnaie ne soit fausse, cette monnaie subtile qui n’est pas susceptible de vérification ?

Chargement de la publicité...