La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme
LE PLUS GRAND ENNEMI
Quand on a triomphé d’une femme, de sa vanité, de sa jalousie, de sa dissimulation, et qu’on croit avoir saisi le bonheur, il faut triompher de soi-même.
Le plus grand ennemi est caché dans notre cœur. « Chacun tue ce qu’il aime…[1] » Aucune parole plus belle n’a été dite sur l’amour.
[1] Oscar Wilde.
Nous sommes comme les coureurs qui vont vers le but, les bras tendus, et qui mourraient pour l’atteindre. Lorsqu’ils sont arrivés, ils s’assoient dans la poussière et ils regardent avec mélancolie le chemin parcouru.
La femme tendre est trop tendre : ses bras autour de notre cou, ses paroles d’amour toujours semblables répandent une fadeur sur notre vie ; la femme voluptueuse nous fatigue : nous lui reprochons en secret la grossièreté de son instinct et nous nous disons qu’elle ne nous aime que pour la satisfaction de ses sens. La femme très belle n’est pas assez belle et une petite imperfection de son corps nous gâte tout le plaisir de sa beauté.
Nous sommes avides de destruction. Nous tenons un vase précieux et le frappons pour éprouver sa solidité jusqu’à ce qu’il soit brisé.
Avant qu’elle nous appartienne, un sourire de la bien-aimée, une pression de main comblait tous nos vœux. Parce qu’elle s’est donnée à nous, nous devenons tyranniques, nous épions ses démarches, nous nous croyons le droit de fouiller son passé, d’exiger des aveux humiliants, de la tourmenter et de l’offenser.
Au lieu de cette délicieuse entente qui règne dans les premiers temps de l’amour et qui fait par une bienveillante et occulte concession qu’on a la même opinion sur les livres, qu’on se moque des mêmes personnes, on crée un état de colère et de discussion.
On se persuade qu’on doit être jaloux des moindres choses, on interprète des regards, on se jette sur des lettres, ou on les exige par des paroles violentes.
Généreux avec les autres, nous sommes égoïstes avec notre maîtresse. Nous prodiguons notre gaîté à nos amis et n’avons pour elle qu’un accueil glacial, un visage préoccupé. Nous prenons l’habitude de ne plus lui faire part que de nos soucis et nous nous affligeons qu’elle nous entretienne des siens.
La mauvaise humeur amène la mauvaise humeur, une scène amène une scène.
Or, une scène est comme un acide rongeur de l’amour ; elle entraîne une usure définitive que rien ne pourra réparer.
L’amour est un arbre qui ne donne qu’une fois son feuillage et ses fleurs. Si on cueille les fleurs, si on émonde les branches, il ne restera qu’un tronc desséché qu’aucun printemps ne verdira plus.
Mais une force inexplicable nous pousse à frapper ce que nous chérissons. A peine avons-nous juré un amour éternel que nous voulons nous prouver à nous-même notre mensonge et notre folie. Par une incompréhensible contradiction nous tournons en dérision ce que nous avons loué. Nous détruisons l’édifice du bonheur et même quand nous pleurons de le voir détruit, nous travaillons encore à en achever la destruction.