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La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme

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LES RENDEZ-VOUS

Toutes les fois qu’on a ordonné le matin à sa femme de ménage de mettre des draps neufs au lit, toutes les fois qu’on a disposé des fleurs dans les vases, qu’on a acheté du porto et des gâteaux, la femme qu’on attend ne vient pas.

On a dit d’abord en souriant :

« Les femmes sont toujours en retard ! »

On se rappelle d’autres rendez-vous où la même maîtresse arriva une heure après l’instant fixé. Mais elle avait poussé brusquement la porte à peine entr’ouverte pour tomber dans vos bras, et vous embrasser passionnément, insoucieuse des gens qui pouvaient passer dans l’escalier et la voir. Charmante compensation qui évite les paroles inutiles et supprime les premières hésitations, la gêne inhérente à la minute où l’on enlève les gants et le chapeau !

Mais quand il y a une heure écoulée, l’inquiétude grandit. On récapitule tous les événements plausibles, toutes les causes sérieuses qui peuvent motiver cette absence. L’ennui qu’on peut inspirer à la femme aimée est le seul motif auquel on ne veut pas s’arrêter. On souhaite plutôt qu’elle soit très malade.

On se dit que ce sont les préparatifs qu’on a faits qui vous ont porté malheur. Pour attendre, on mange un biscuit et l’on boit un peu : puis, ainsi, ces achats ne seront pas tout à fait perdus. Mais le goût est amer du porto que l’on boit tout seul, dans sa chambre, vers cinq heures et demie de l’après-midi. La superstition vous aide. Ce rendez-vous a été pris un mauvais jour. On se rappelle complaisamment que le mercredi, par exemple, on n’a jamais eu que des déboires et ainsi on attribue le mal présent à une fatalité supérieure au lieu d’en chercher la terrible cause dans les mouvements d’un cœur qu’on veut croire immuable.

Soudain une idée vous saisit brusquement et vous remplit à la fois du regret de la soirée perdue et de l’allégresse qu’elle ne soit perdue que par la faute des choses. Votre amie est venue. Elle a monté l’escalier à l’heure dite, elle a sonné, elle est repartie. C’est que la sonnette ne marche pas. Cela est arrivé déjà une ou deux fois jadis. On se précipite. On presse le bouton ; la sonnette retentit allègrement, même avec plus d’éclat que d’habitude, comme s’il y avait une ironie dans son bruit.

Il a pu arriver autre chose. Elle s’est trompée d’étage, s’est arrêtée au troisième au lieu du quatrième : si les locataires ne sont pas là, personne n’a répondu et elle s’en est allée croyant que c’était vous qui aviez manqué le rendez-vous.

On attend encore. Mais on se jette sur son chapeau et l’on descend quatre à quatre l’escalier. Le concierge sait ! Elle possède le secret de votre bonheur ! Elle a vu passer certainement celle que l’on attend. Puis par erreur, malveillance ou folie naturelle, elle a peut-être affirmé que vous n’étiez pas là.

Le visage de la concierge est lourd de mystère. Il est revêtu d’une importance sans égale. Elle parle enfin. Un arrêt irrévocable tombe de sa bouche. Elle n’a vu personne. Elle en est bien sûre.

On remonte l’escalier, le long escalier sans fin. Une odeur de cuisine s’échappe d’une porte ouverte. Il est plus de sept heures ; tout espoir est perdu. On écrit une lettre. Quand elle est terminée, on s’aperçoit de son absurdité éclatante. Ce sont des reproches amers, l’expression d’une souffrance exagérée, d’un amour différent de celui qu’on éprouve. On la déchire. On en commence une autre sur un ton léger et badin, où l’on affecte une grande indifférence. On est perplexe. La sonnette retentit.

C’est un télégraphiste. Il tend le petit bleu où l’on a reconnu une chère écriture, comme si c’était là un petit bleu ordinaire. On l’ouvre, on le lit à la clarté de l’escalier. Il y a trois mots aimables, une vague excuse. C’est bien assez. Un grand besoin d’expansion vous saisit. Le télégraphiste est toujours là. Il a l’air intelligent, il semble s’intéresser à cette aventure. On a envie de tout lui dire, de lui montrer le télégramme, de lui demander son avis.

Le télégraphiste attend deux sous. On les lui donne. Il part en sifflotant. Il faut recommencer une troisième lettre. On se dit : « Cette excuse est très valable. Comme elle a été gentille ! Tout va bien. »

Mais au fond on n’en est pas bien sûr. On se sent seul…

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