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La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme

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RAPPORTS ENTRE LES FEMMES ET LES CHOSES DE LA PENSÉE

Il m’est arrivé à plusieurs reprises d’aller faire une visite avec mon ami Charles X… Il sonnait et il disait à la bonne :

— Dites que c’est M. X…

Et il omettait complètement de mentionner ma présence. J’en étais toujours vexé et une fois, étant de mauvaise humeur, j’ajoutai d’une voix éclatante qu’il fallait dire que M. M… aussi était là.

Quand on parle d’un livre, d’une pièce de théâtre, quand on émet une idée, il faut être vis-à-vis des femmes comme mon ami Charles vis-à-vis de moi quand nous faisons une visite, négliger leur opinion, comme il négligeait ma présence.

Il n’y a aucun danger qu’elles s’écrient :

— Mon avis est différent du vôtre !

Elles écoutent et acceptent docilement. Car la qualité qu’elles reconnaissent le plus facilement à l’homme, si celui-ci déclare qu’il la possède, c’est la supériorité intellectuelle. Mais il ne doit pas montrer alors le plus léger scepticisme et il doit se parer d’une supériorité universelle, tout savoir. Un poète ne peut pas ignorer la chimie, par exemple, sans paraître un médiocre poète.

Du reste les choses de l’esprit ont pour elles une importance secondaire.

Comme j’avais la folie de causer des poètes de l’antiquité avec mademoiselle E…, je vis au bout de quelques minutes qu’elle pensait qu’Homère et Virgile étaient un seul et même homme, appelé différemment dans des pays différents. Je lui fis remarquer avec toutes les précautions qu’exigeait la plus élémentaire délicatesse combien elle était dans l’erreur. Elle n’en eut point la moindre confusion et dit :

— C’est vrai. Je n’y avais plus pensé.

Puis elle ajouta :

— Comment faites-vous donc pour ne jamais vous tromper ?

C’est une erreur de l’adolescence d’attribuer à la poésie un pouvoir infini.

Certes des jeunes filles gardent pieusement le sonnet d’Arvers ou des poésies de Musset que des jeunes gens leur ont glissés en cachette, en s’en attribuant la paternité.

Le fait d’être poète n’est pas pour les femmes une vertu en soi.

Elles y voient, ou y croient voir, le signe d’une âme tendre, l’assurance que celui qui a écrit ces choses est prêt à perdre son temps pour se consacrer à elles, et donnera à l’amour un caractère sublime dont leur vanité féminine sera satisfaite.

Mais on peut arriver à ce résultat par des paroles qui ne sont pas rimées. Et ainsi on a les avantages de la poésie sans en avoir les inconvénients.

Ces inconvénients sont grands. Celui qui se flatte d’être poète devient immédiatement, pour les femmes, triste, bon et sans assurance. Ne pas faire rire, ne pas laisser flotter la vague menace d’une méchanceté inattendue, manquer d’autorité vis-à-vis des cochers et des garçons de café, voilà de terribles défauts que ne compensent pas les pensées élégiaques qu’on est susceptible d’écrire.

Il vaut mieux triompher dans toute autre partie, comme l’agilité au tennis, l’art de conduire une automobile, la déclamation.

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