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La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme

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FORCE QUE DONNENT LA CRÉDULITÉ ET L’IGNORANCE

De même qu’il existe infiniment plus de laissés pour compte des grands bottiers que de bottines produites par les grands bottiers, de même il y a parmi les femmes beaucoup plus de laissés pour compte des grandes familles qu’il n’y a en réalité de grandes familles.

Les femmes ont une facilité naturelle à embellir la vie, à l’agrandir dans un sens honorifique pour elles. Que de généraux en chef qui n’ont pas existé, ont été dépeints avec un caractère rude et un grand sens de l’honneur par des filles qui prétendaient descendre d’eux ! Que de beaux châteaux où nos maîtresses se sont ennuyées et qui n’ont dressé leurs tourelles que dans le royaume de l’imagination ! Que de Voyages en Italie décrits avec de minutieux détails, des aventures plaisantes ou amoureuses, qui n’ont pas été faits !

Il convient d’accueillir avec crédulité et favorablement ces embellissements de cœurs épris de beauté. L’homme qui voit tout, qui pénètre tous les mensonges, est vite odieux. Aucune illusion n’est possible avec lui. On est condamné à la froide médiocrité de la vie. Et cet effort de perspicacité est d’autant plus inutile qu’on n’arrivera jamais à une perspicacité absolue.

En effet, l’invention des femmes n’a aucune base raisonnable. Elles ne sont pas toujours guidées par l’intérêt. Elles ne sont pas toujours guidées par le désir de briller. Il arrive qu’elles mentent sans motif, même sans motif caché, au petit bonheur, pour l’art. Quelquefois ces mensonges sont à leur désavantage, les montrent sous un jour fâcheux. On pourrait croire qu’elles ont un intérêt provisoire à se diminuer ainsi. Il n’en est rien.

Il vaut mieux croire, tout croire également. La femme se plaît avec cet aimable aveugle qui l’admire de confiance.


Yvonne T… prétendait s’être battue en duel, déguisée en homme, avec un officier italien, à Naples, au bord de la mer. (Il est à remarquer que c’est pour beaucoup d’esprits, même sensés, un idéal désirable de se battre en duel, au bord de la mer et en Italie. Déjà à deux reprises, j’avais entendu deux amis raconter des duels analogues dont ils avaient été les héros. La seule différence est que l’un avait placé la scène dans une île.)

Yvonne T… ajoutait, sans pudeur pour la vraisemblance, un orage et des éclairs. Elle faisait un récit détaillé qui est dans Le Vicomte de Bragelonne, roman qui l’avait beaucoup impressionnée quand elle l’avait lu.

Cette histoire ne rencontrait que scepticisme et rires. Mais elle y tenait tellement qu’elle bravait l’opinion et qu’elle la racontait sans cesse et sans se décourager.

Je me souviens de sa joie quand je lui demandai l’âge approximatif de l’officier italien — il avait trente ans environ — et les noms des témoins — ils étaient tous titrés. — J’acquis subitement une grande importance aux yeux d’Yvonne T… J’étais celui qui croyait à son glorieux récit, un être presque unique, et elle m’aima quelque temps pour son propre héroïsme, parce qu’elle voyait au fond de mes yeux admiratifs son duel imaginaire, un ciel d’orage, un paysage d’Italie.


Il est à remarquer que les femmes se donnent fort peu de mal pour concilier leurs inventions et la vraisemblance. Un mensonge est comme une balle qu’elles lancent, il atteint son but ou il ne l’atteint pas, peu importe. Quand elles sont convaincues d’avoir faussé la vérité, elles se contentent de sourire et n’en éprouvent nul embarras.

Une jeune actrice de mes amies raconte volontiers des aventures inouïes qu’elle eut au Caire et à Alexandrie. Durant un court voyage qu’elle fit en réalité, elle se maria avec un Turc, fut enlevée, enfermée tour à tour dans un harem et dans un couvent de sœurs, joua un grand nombre de pièces sur divers théâtres orientaux, fut enlevée à nouveau, fit naufrage, eut ses bijoux volés, visita à son retour toute l’Italie où il lui arriva encore mille choses. Elle s’était absentée de Paris environ deux mois.

Mais elle manque de mémoire. Elle oublie complètement certaines aventures qu’elle a contées avec un grand souci de détails et pour remédier à ces oublis elle en improvise de nouvelles. Prise en flagrant délit de contradiction, elle s’en tire avec une assurance et une gaîté parfaites.

J’ai observé, du reste, qu’elle n’avait cette assurance que pour les mensonges et que toutes les fois qu’elle rapportait un petit fait véritable, elle le faisait avec timidité, et comme s’il n’était pas véritable.

Il faut aussi être ignorant. Les questions sont dangereuses. Même si l’on n’est pas trompé, on ne peut retirer que déboires, soupçons, tristesses, de la connaissance exacte de ce que votre maîtresse a fait dans l’après-midi.

Elle dit qu’elle va chez le photographe, à trois heures. On doit se garder de téléphoner, vers cette heure-là, à ce photographe en prétextant une chose urgente qu’on a oublié de lui dire. On serait puni par l’ironie lointaine qu’on croirait entendre dans la voix du photographe ; votre maîtresse ne serait pas dupe, elle se sentirait surveillée, tyrannisée, l’irritation qu’elle en concevrait lui donnerait une autorité qu’elle n’avait pas, aggravée de votre faiblesse dévoilée.

Il vaut mieux ne rien savoir ; il vaut mieux être comme le sage qui reçoit la richesse sans en demander l’origine. Si nous nous préoccupions, quand on nous donne des pièces d’or, de toutes les mains qui les ont touchées, avant nous, de la façon dont elles ont été maniées dans leur carrière de pièces d’or, nous les rejetterions peut-être avec dégoût, quitte à nous mettre ensuite à genoux dans la boue pour les retrouver.

A quoi bon fouiller dans les tiroirs ? Les lettres qui traînent sont toujours des lettres de fournisseurs, ou si elles émanent d’un jeune homme, elles ne parlent que de respectueuse amitié.

A quoi bon aller trouver l’ancien inspecteur de la Sûreté qui dirige une agence de renseignements ? Cet homme, par son regard fixe, son attitude sévère, donnera tout d’abord la sensation qu’on fait auprès de lui une démarche coupable, qui tombe sous le coup des lois, et qu’il va vous mettre tout de suite en état d’arrestation. Il consent à écouter, puis dit avec simplicité :

— Va-t-elle dans les maisons de passe ?…

On est partagé entre l’envie de lui cracher au visage pour cette impudente hypothèse ou de se mettre à pleurer en lui disant qu’on a peur qu’elle y aille en effet.

L’ancien inspecteur de la Sûreté fait payer ses services fort cher, et comment ajouter foi au témoignage de ce personnage lamentable auquel il confie votre destin, de ce déclassé qui a pour profession de suivre et d’espionner et qui prend dans ses mains sales la photographie de la charmante infidèle ?

A quoi bon attendre soi-même dans un fiacre aux stores baissés, devant des portes dont le vrai mystère ne s’éclaircira jamais ? A quoi bon imaginer l’être cher auprès d’un inconnu, avec ce même abandon qu’on croyait être seul à provoquer, dans une pose dont l’audace et le détail vous affolent ? A quoi bon guetter si la poudre est absente, si les lèvres sont trop rouges, si la coiffure a été défaite et refaite ? A quoi bon empoisonner son bonheur de chaque jour ?

Il vaut mieux fermer les yeux, et, si l’on voit quand les paupières sont baissées, se jurer à soi-même qu’on ne voit pas.

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