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La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme

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LES BIENFAITS

L’amour de celle que l’on aime fait toujours défaut au moment où nous en avons le plus besoin.

Toutes les fois qu’il m’est arrivé un grand ennui, par une curieuse coïncidence, il en est arrivé un plus grand à ma maîtresse, qui a relégué le mien au deuxième plan, comme une chose tout à fait négligeable, et j’ai été obligé de m’excuser de mon propre souci afin de la mieux consoler.

Lorsque j’ai été un peu malade, j’ai senti que ma maîtresse m’aimait moins parce que j’étais un compagnon moins agréable, moins brillant. Elle a eu cette semaine-là plus de robes à essayer et plus d’invitations à dîner qu’elle n’a pu refuser. Quand elle s’est décidée à me soigner, elle a mis tellement d’ostentation à sa sollicitude que j’ai eu la sensation d’être un pauvre infirme et que j’ai eu honte de moi-même. A ces quelques heures de soins elle a fait une immense publicité auprès de ses amis et des miens et beaucoup la considèrent comme une véritable sœur de charité qui m’a sauvé la vie.

Et puis subitement, comme si elle avait reconnu l’excellence de cette méthode, ma maîtresse m’a accablé de bienfaits.

Elle m’a souhaité la fête d’une façon inattendue, restaurant sans raison cette habitude perdue de souhaiter la fête ; elle a disposé des fleurs dans les vases de ma cheminée et mis de l’ordre sur ma table ; elle m’a apporté une photographie d’elle quand elle avait quinze ans, que je désirais beaucoup avoir ; elle a fait diverses recommandations à ma femme de ménage ; elle a recopié des vers que j’avais écrits, et bien que son écriture soit presque illisible, j’ai été obligé de déclarer qu’elle était parfaite. Quand j’ai voulu acheter un chapeau, elle m’a sauvé d’une erreur capitale en m’empêchant d’acheter un chapeau gris que mon mauvais goût naturel me poussait irrésistiblement à acheter. Elle a remédié à mon manque de jugement en m’écartant de plusieurs amis qui auraient pu me faire beaucoup de tort. C’est grâce à ses conseils que j’ai fait plusieurs démarches utiles et elle en a fait, elle-même, quelques-unes qui, par un enchaînement de circonstances prévu et combiné, ont eu une grande et heureuse influence sur ma destinée. Sa surveillance, pendant les repas, m’a empêché d’avoir une maladie d’estomac. Sans elle, à cause de ma ridicule distraction, j’aurais été écrasé mille fois par des automobiles. Sans elle, j’aurais été brouillé avec ma concierge, sans elle je n’aurais pas eu de relations, sans elle, sans son sourire aimable, j’aurais été mal placé au théâtre, et grâce à sa présence les cochers consentaient à me porter.

Il était notoire que j’avais appris à lire et à écrire dès l’âge de cinq ans, sans cela le bruit aurait couru que j’avais reçu d’elle ces modestes connaissances.

Elle m’a suggéré toutes mes pensées, a dirigé toutes mes déterminations et quand j’ai acheté une boîte d’allumettes, ç’a été avec son assentiment.

Enfin quand il fut bien évident que je ne pouvais plus mettre mon pardessus sans son secours, ouvrir la fenêtre à mon gré, admirer un livre qu’elle n’admirait pas, je pensai avec allégresse qu’il restait encore une action qu’il m’était possible d’accomplir seul : c’était d’ouvrir la porte et de me sauver en courant, très loin…

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