La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme
L’HOMME QUI N’A QU’UNE FEMME
Il y a dans l’appartement qui donne en face du mien, sur la cour, un monsieur qui habite avec une dame. Il vit avec elle et il ne vit qu’avec elle. Jamais il n’invite personne à dîner. Jamais on ne voit chez lui aucun autre homme ni aucune autre femme.
Le monsieur et la dame sortent ensemble. Ils rentrent de même. Ils sont oisifs. Ils n’ont pas l’air de s’aimer passionnément. Ils n’ont pas l’air de s’ennuyer. La dame est maigre. Elle a un grand nez, l’air d’un oiseau étonné et sans ailes. Le matin elle ouvre sa fenêtre et, revêtue d’une camisole grisâtre, elle se livre à des travaux d’intérieur. Elle met pour cela, sans doute afin de ne pas salir ses mains, de vieux gants blancs.
Comment le monsieur, qui est bien de sa personne et qui pourrait avoir d’autres femmes, a-t-il le courage de vivre avec une femme qui met des gants blancs à huit heures du matin ?
Je pourrais croire qu’il m’envie, qu’il m’admire de voir chez moi des femmes jolies et élégantes. Il n’en est rien. Même je sens une réprobation dans son regard. Il juge que je ne suis pas sérieux. Et la sincérité de cette réprobation se dégage de son attitude correcte, quand il me salue dans l’escalier.
Cet homme n’a qu’une femme et une femme laide. Est-ce possible ? C’est un cas unique, monstrueux. Peut-être est-ce un fou. Mais il paraît assez raisonnable. Il ne crie pas, il ne se livre pas à des danses saugrenues.
Peut-être est-ce cette femme au nez pointu qui lui a persuadé qu’il n’y a pas d’établissements de thé, de grands magasins où passent des êtres séduisants avec de belles robes et des formes gracieuses. Il a un bandeau sur les yeux ou il est victime d’un sortilège. Peut-être aime-t-il cet objet de tristesse, cette source de pensées amères, et en est-il aimé. Mais un cœur, une délicieuse affection peuvent-ils habiter une poitrine si maigre ? Peut-il y avoir de l’amour sans une petite flamme de beauté ?