La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme
L’INDISCRÉTION, LES CONFIDENTS, LES BONNES
Il est indispensable de passer pour discret et pourtant il faut donner à ses amours, quand ils sont brillants, une certaine publicité afin d’en retirer tout le bénéfice moral. Il y a une conciliation difficile à trouver.
Un homme dont les femmes seraient assurées de la discrétion, aurait une multitude de bonnes fortunes. Une liaison officiellement reconnue, mais que l’on tient cachée en apparence avec un soin très visible, est encore la meilleure chose.
Mais nous avons un irrésistible besoin de raconter nos peines et nos joies. Une force mystérieuse oblige les hommes à parler. Aussi tout se sait. On n’est jamais assez persuadé de cette vérité. Les confidences faites sous le sceau du secret et après un serment, volent de bouche en bouche. Les plus forts résistent une heure, puis ils disent. Les plus faibles vous écrivent et vous font venir. Pour avoir l’occasion de parler ils font des visites et des démarches.
De même que l’homme qui a pris un fiacre et qui n’en a pas l’habitude, en fait claquer la portière pour que les gens chez qui il arrive sachent qu’il est arrivé en fiacre et ensuite laisse tomber négligemment dans la conversation que le fiacre l’attend à la porte, de même l’homme qui a une maîtresse fait claquer aux oreilles de son interlocuteur les souvenirs de sa nuit, il livre les détails charmants ou voluptueux de l’intimité avec le même orgueil que l’homme au fiacre met à dire qu’il a donné un franc de pourboire au cocher.
Le héros de l’aventure parle par vanité, pour montrer qu’il est heureux, qu’il joue un rôle dans la vie, qu’il éprouve les émotions habituelles de l’amour ; le confident parle pour montrer qu’on lui a confié quelque chose, par goût naturel de trahir, ou seulement pour voir briller une flamme d’intérêt dans l’œil de la personne à laquelle il s’adresse.
Ainsi, les mots qu’une femme a dits avec tout son cœur, même au plus amoureux des amants, sont divulgués, répandus, commentés. On sait si elle a, ou non, le goût physique de l’amour et quels sont ses gestes préférés. L’indiscrétion est quelquefois en raison directe de l’amour que l’homme éprouve. Il veut qu’on soit jaloux de lui, que tout le monde sache de quelle richesse inestimable il dispose.
Les femmes se confient très souvent à leurs bonnes. Ces personnages simples et familier jouent un grand rôle dans les liaisons amoureuses. Elles habillent, elles peignent, elles déshabillent, elles sont juges des déceptions, des espoirs, des cas de conscience. Elles placent un conseil, et ce conseil a beaucoup de poids parce qu’il a l’air de venir d’un cœur fruste et sincère. Elles apportent le petit déjeuner au lit, et elles sont les témoins involontaires et indulgents de quelque baiser matinal, de quelque caresse attardée. Leur désapprobation, leur visage sévère est un supplice ; leur inimitié systématique est presque toujours fatale.
Les bonnes, c’est là leur principal titre de gloire, sont pour l’amour désintéressé. Elles le défendent en toute occasion avec ardeur. Les bonnes des femmes entretenues favorisent contre leur intérêt les amants de cœur qui ne leur donnent que des étrennes médiocres mais ont pour elles des paroles joyeuses et familières. Elles prennent l’argent du riche amant et ouvrent avec d’autant plus d’allégresse la porte de l’escalier de service ou indiquent une heure favorable à celui qui n’a pour raison d’être que le plaisir qu’il apporte.
Les bonnes des femmes mariées endorment l’attention des enfants, reçoivent des lettres ou vont à la poste restante, aident à tromper le mari. Pour la beauté de l’amour elles risquent leur situation et montrent parfois un réel héroïsme.
D’instinct, elles considèrent le jeune amant qui ne donne pas d’argent, comme un allié, quelqu’un qui lutte comme elles, avec des moyens différents, contre les puissances des préjugés et de la richesse.
Je me rappelle qu’à V… une certaine Anna se levait la nuit et courait dans les rues désertes jusqu’à la gare pour me rapporter quelque insignifiante parole de sa maîtresse. Je sais que la fidèle Hortense grondait Gaby C… parce qu’elle me négligeait, et un jour que celle-ci refusa de me recevoir à cause de l’ennui que je lui inspirais, je vis dans le regard d’Hortense, debout sur la porte, une tristesse bien plus grande que la mienne.
Anna, Hortense, ou Marie, avec vos mains déformées par l’eau de vaisselle, sous le tablier blanc de votre uniforme, dans les parfums de la cuisine, ou sous la lucarne de la petite chambre du sixième, vous nourrissez un impérissable idéal. Je vous ai toujours vues passer dans mon bonheur et vous y avez joué un rôle bienveillant et familier. C’est vous qui avez jeté le télégramme où l’on me disait d’accourir. C’est vous qui m’avez dit ces paroles merveilleuses : « Madame vous attend. » Vous avez apporté le café ; vous êtes sorties avec une discrétion exagérée qui ajoutait un mystère plus grand, et votre regard semblait affirmer :
« Je veille sur vous ; je souris à présent, mais si l’on sonne, je deviendrai pour garder la porte un intraitable Cerbère. »
Vous m’avez défendu et protégé, vous avez été pour moi des anges gardiens, et si vous avez triché sur le prix des légumes ou des fruits qu’il vous soit pardonné car vous n’étiez pas capables de me dérober la moindre minute d’amour.