La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme
GRANDE IMPORTANCE DES FEMMES
Dans ma vingt-sixième année, au mois de septembre, je découvris cette vérité essentielle que la conquête des femmes est ce qu’il y a de plus important dans la vie.
J’étais en vacances, chez mes parents, dans la petite ville de V… Quelques légers succès remportés à Paris et dont j’avais par mes paroles augmenté l’étendue, le crédit que l’on faisait à ma carrière artistique, me donnaient auprès des miens et de leurs amis ce prestige qui entoure un jeune homme dont les facultés brillantes présagent un grand avenir qu’aucune réalisation n’a encore justifié.
Un matin en m’éveillant, avec cette clairvoyance que donne à l’esprit une longue nuit de repos, j’eus le sentiment très net que ma vie était misérable, que je ne possédais aucun bonheur.
Pourquoi donc vivons-nous ? me dis-je. J’ai ici la sollicitude de mes parents, les bons repas, les livres qui m’intéressent, des promenades qui me plaisent, une belle maison avec un jardin et la facilité de me taire ou de parler en suscitant le respect de mon silence ou l’admiration de ce que je dis. Je ne suis tourmenté par aucun ennui d’argent puisque je n’ai aucun sujet de dépense. La grandeur de la maison paternelle, cette vague allure de parc, que prennent le soir les allées et les massifs du jardin vus de ma fenêtre, les marches du perron et l’empressement de la bonne à me servir me donnent l’illusion de la vie luxueuse des châtelains. Un ou deux amis dont l’intelligence est suffisante viennent me voir et j’ai la possibilité d’évoquer des souvenirs d’enfance en les embellissant, ce qui est un grand plaisir. Enfin, loin d’une maîtresse charmante, je devrais goûter avec l’absence d’amour une liberté que j’ai longtemps désirée.
Il n’en est rien. Je ne suis pas heureux. Voilà la table de famille : j’aspire à mal dîner dans un petit restaurant. Voilà les peupliers, ce canal avec son écluse, ce paysage méridional sans beauté mais qui me tient au cœur : je regrette les kiosques d’omnibus, le tumulte des rues populaires. Une douce sérénité est sur la campagne et je devrais en goûter le charme : je songe à ce délicieux mal à la tête que donne une journée de Paris. Ma chambre est bien close, la lampe ne fumera pas, on a préparé le sucre, l’eau et le citron : j’ai la nostalgie de la sonnette qui retentit brusquement, de l’angoisse qu’on éprouve à l’idée d’une réclamation d’argent.
Mais mal dîner, marcher dans des rues laides, avoir mal à la tête, redouter le gaz et Dufayel sont choses douloureuses en soi et qui ne se parent à mes yeux d’un prestige inattendu que parce qu’elles sont le cadre d’une beauté certaine.
Cette beauté, quelle est-elle ? Ce n’est pas l’amour que je suis censé avoir à mes yeux et aux yeux des autres pour ma maîtresse, puisque la seule idée que je suis séparé d’elle m’est un apport immédiat de joie.
Ce qui me manque, ce sont les femmes, toutes les femmes qui vivent à Paris, celles que je frôle dans les grands magasins, celles qui sont dans les thés à cinq heures avec des jeunes gens qui ont plus d’autorité et plus d’élégance que moi, celles qui descendent de voiture, paient le cocher, traversent le trottoir, rentrent chez elles, avec assez d’absence de curiosité pour ne pas même lever les yeux sur le passant immobile et béant d’admiration que je suis alors.
Le but de la vie, ce qui nous donne la plus grande somme de bonheur possible est donc de plaire aux femmes, de conquérir des maîtresses attrayantes et jolies.
Connaître le but de la vie est la chose principale. Quand cette vérité me fut révélée, je compris que j’avais marché jusqu’alors comme un aveugle en tâtonnant et que maintenant seulement je voyais la lumière. J’avais pris le goût de la réussite, la vanité de la célébrité, l’amour de la poésie et de la nature pour les suprêmes aboutissants de mes efforts, tandis qu’ils n’étaient que d’humbles moyens. J’eus du remords de mon erreur. Je me jurai à moi-même de la réparer.