La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme
RECHERCHE DE LA FEMME IDÉALE
De même qu’un nageur nage pour faire de l’exercice et sentir la fraîcheur de l’eau, qu’un bavard parle par goût de parler, qu’un commerçant vend des objets à un prix plus élevé que leur valeur dans un but de spéculation, de même un amant aime naturellement pour aimer.
Mais consciemment, ou à son insu, il est à la recherche d’un bonheur sublime. Ce bonheur existe, il le sait. Il en a eu le pressentiment, il en a connu même un commencement de réalisation.
A l’heure de l’abandon, quand sa maîtresse a pressé tendrement ses lèvres contre les siennes, s’efforçant de mêler aux caresses physiques le don de son cœur, il a durant quelques secondes éprouvé une émotion que nulle parole ne peut redire.
Mais cette émotion a été brusquement troublée. Tel défaut du corps bien-aimé lui est apparu avec une saisissante vérité. Il savait bien que le nez de sa maîtresse était, proportionnellement au reste de son visage, un peu long. Mais voilà que, sous la suggestion du bonheur, ce nez apparaît démesuré, étonnant, et il s’allonge encore, interrompant l’harmonie de beauté que l’amant créait dans son esprit.
Ou bien, il aperçoit soudain un pied nu qui s’échappe du drap. Et il remarque avec tristesse que ce pied ne forme pas un ensemble régulier, mais que chaque doigt est autonome, a sa vie propre et s’agite comme s’il était brouillé avec son voisin.
Et si le corps est parfait, où tout au moins s’il le paraît à l’amant illusionné, celui-ci ne sera-t-il pas nommé « agneau » ou « poulet » par son amie pâmée, n’entendra-t-il pas un ridicule diminutif de son nom, une parole stupide, qui arrêtera en lui le cours d’une rêverie charmante ?
Parfois aussi celle qu’on aime aura un excès de pudeur peu convenable à la volupté. Ou bien c’est l’excès de sa liberté qui sera choquant ; elle emploiera des termes trop exacts, désignera avec trop de hardiesse ce à quoi on pense sans en parler.
Mille raisons pourront rendre le bonheur de l’amant incomplet. Mais chaque espérance nouvelle, chaque déception, lui donneront un désir plus grand de trouver la femme parfaite, la femme idéale qui n’aura pas de défauts ou qui n’aura que des défauts qui correspondront à son amour particulier de certaines imperfections.
Si l’on ajoute à la difficulté de cette intime correspondance l’exigence des corps, mystérieux dans leurs rapports, soumis à la fatigue, aux orages, aux maladies et ne relevant que d’une sensibilité personnelle inanalysable ; si l’on tient compte des barrières que créent les fortunes, les situations, de l’impossibilité de faire connaissance avec les femmes qui n’appartiennent pas à votre milieu, l’on songera que le bonheur absolu de l’amour est difficile à atteindre.
Doit-on trouver un jour la femme idéale ? Celui qui a beaucoup de chance, encore plus de bonne volonté, qui voudra obstinément ne pas voir, qui s’efforcera d’être sourd, pourra peut-être, après un grand nombre d’expériences, croire qu’il l’a rencontrée.