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La conquête des femmes: Conseils à un jeune homme

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LES AVENTURES EN CHEMIN DE FER

Un wagon à couloir est une petite ville mouvante longée par un étroit chemin. Les quelques personnes qui habitent cette ville sont oisives, dépossédées de leurs habitudes, énervées par le mouvement. Ce sont là des conditions très favorables à l’amour.

Que faire lorsqu’on est assis en face d’une jeune femme blonde qui vous regarde avec une grande sympathie ?

Il y a plusieurs méthodes. On peut imaginer un amour spontané, irrésistible, le coup de foudre. Il faut, dans ce cas, rougir et pâlir tour à tour, écrire fiévreusement des choses avec un crayon, sur un morceau de papier, montrer avec des yeux brillants cette lettre improvisée, pliée en quatre. On peut aussi, plus simplement, offrir le journal, ou dire qu’il fait chaud, lever ou baisser le store, selon le soleil. Il y en a qui simulent un personnage bonhomme et joyeux, qui parlent à tout le monde et font des réflexions sur tout à haute voix. Il y en a qui jouent l’indifférence. Mon ami Léon, dont j’admire et envie les succès féminins, prétend profiter du moindre tunnel pour faire un geste très audacieux.

Je délibérais en moi-même, plein d’inquiétude. A l’autre extrémité du compartiment une dame âgée et distinguée jetait parfois, de mon côté, un coup d’œil sournois.

Que pensait-elle ? Sans doute elle devinait mes intentions et elle attendait un geste ou une parole de moi pour laisser paraître sur son visage une expression de mépris et de pitié.

Cependant je m’efforçais de jeter à la jeune femme blonde les regards les plus brûlants, je choisissais la pose la plus séduisante, un air à la fois tendre et rêveur.

Mais voilà que la jeune femme blonde se pencha gracieusement vers moi et me dit en souriant :

— Vous ne me reconnaissez donc pas, monsieur Hubert ?

Ce nom m’était inconnu. Il y avait une méprise. Une idée de génie traversa mon cerveau. Je répondis :

— Je vous reconnais parfaitement.

La conversation s’engagea. Je jouai à merveille le personnage de M. Hubert et m’étonnai de ma propre adresse.

C’était une femme du plus grand monde et qui avait, depuis très longtemps, un faible pour M. Hubert. C’est du moins ce que devinait ma perspicacité.

« Quelle admirable coïncidence ! pensai-je. Quelle merveilleuse méprise ! »

Je parlai avec délicatesse et réserve, mais en laissant apparaître une passion contenue de mon amour antérieur.

Je fus accueilli par une moue favorable.

J’allais à Luchon, elle aussi. Le train s’arrêta. Je jetai à la dame âgée et distinguée un regard de triomphe et je vis, sur son visage, le regret qu’un incident ridicule pour moi ne soit pas survenu.

Ma nouvelle amie descendait dans un hôtel qui me sembla fort coûteux pour ma bourse. Il n’importe ! Tous les sacrifices étaient nécessaires pour mener à bien une telle aventure.

Le repas fut gai. Des miracles de sous-entendus, des prodiges de souvenirs compris à demi-mot me permirent de jouer mon rôle de M. Hubert.

Elle était fatiguée, nous montâmes de bonne heure dans nos chambres qui étaient contiguës. Elle défit ses cheveux qui lui donnaient mal à la tête, nous respirâmes l’air du soir à la fenêtre, et j’eus alors sur les montagnes, la nature, nos cœurs, l’amour, des paroles sentimentales et spontanées qui déterminèrent le sens de la soirée. Je connus un bonheur plus honorifique que réel.

Au matin, j’allai me promener seul et regardai les femmes sur les quinconces avec une suffisance qui ne m’était pas habituelle.

Ma conception de l’humanité était changée. La vie était, pour les audacieux, une série d’aventures joyeuses et imprévues.

Quand je rentrai, mon amie avait reçu un télégramme d’un de ses oncles malade qu’elle appelait « le général » et qui l’obligeait à partir pour Ostende.

Nous nous précipitâmes à la gare. Je pris son billet. Il y a loin d’Ostende à Luchon. Presque tout mon argent s’en alla en échange d’un petit morceau de carton.

Sur le quai, un peu d’amertume me vint et aussi l’envie confuse de montrer que je l’avais dupée.

— Et si je n’étais pas M. Hubert ? dis-je.

Elle se mit à rire comme s’il s’agissait d’une plaisanterie que nous avions faite à deux.

— N’est-ce pas que c’était un bon moyen ? fit-elle.

Le train s’éloigna et seulement alors je compris.

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