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Le déséquilibre du monde

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LIVRE IV
LE DÉSÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE DU MONDE

CHAPITRE PREMIER
LES FORCES NOUVELLES QUI MÈNENT LE MONDE

Les raisons premières étant inaccessibles, la nature intime des forces physiques demeure inconnue. Pour les définir, on en est réduit à dire qu’elles sont « des causes de mouvement ».

La nature intime des mobiles qui font agir les hommes restant aussi ignorée que celle des forces physiques, il faut imiter la réserve des savants et donner simplement le nom de forces aux causes diverses de nos actions.

Ces forces peuvent être internes, c’est-à-dire issues de nous-mêmes : telles les forces biologiques, affectives, mystiques et intellectuelles. Elles peuvent aussi être indépendantes de nous : tels le milieu et les influences économiques.

Pendant toute la durée de la préhistoire, les forces biologiques, la faim surtout, dominèrent presque exclusivement l’existence. L’humanité n’avait d’autre idéal possible que se nourrir et se reproduire.

Après des entassements d’âges, la vie devint un peu plus facile et des ébauches de sociétés naquirent. A la tribu nomade succédèrent des villages, des cités et enfin des empires.

C’est alors seulement que purent s’édifier les grandes civilisations. Elles furent de types différents, suivant les forces qui les orientèrent.

Les besoins biologiques et certains éléments affectifs, tels que l’ambition, engendrèrent des civilisations de type militaire analogues à celles de Rome et des grandes monarchies asiatiques.

Lorsque les forces intellectuelles devinrent prépondérantes, ce fut la civilisation hellénique avec ses merveilles de la pensée et de l’art. Quand les forces mystiques l’emportèrent, ce fut le Moyen âge avec ses cathédrales et sa vie religieuse intense.


Les grandes civilisations qui se développèrent à la surface du globe eurent donc des mobiles variés. Mais on retrouve chez toutes ce caractère commun d’être influencées par des divinités diverses douées d’un souverain pouvoir.

Bien qu’étant la simple synthèse des sentiments et des besoins des hommes, de leurs rêves, de leurs craintes et de leurs espérances, les Dieux furent considérés pendant longtemps comme seuls capables de diriger le monde et de fournir des explications aux « pourquoi » sans fin que se posaient des êtres entourés de choses redoutables qu’ils ne comprenaient pas.

A cette domination des forces mystiques, aucune collectivité, grande ou petite, ne put jamais se soustraire. Leur rôle fut tel que les plus importantes civilisations, celles dites bouddhique, chrétienne et musulmane, notamment, sont désignées par les noms de leurs Dieux.

Le besoin mystique de croyances semble un élément si irréductible de la nature humaine qu’aucune raison ne saurait l’ébranler. Quand les dieux personnels s’évanouissent, ils sont aussitôt remplacés par des divinités impersonnelles : dogmes et formules auxquels leurs adeptes attribuent les mêmes pouvoirs qu’aux anciens dieux. L’esprit religieux est, en réalité, aussi intense aujourd’hui qu’aux plus crédules périodes, c’est à peine s’il a changé de forme.

Les croyances nouvelles : socialisme, spiritisme, communisme, etc., ont les mêmes fondements psychologiques que l’ancienne foi. Ils possèdent leurs apôtres et aussi leurs martyrs. J’ai trop insisté dans divers ouvrages sur le rôle capital du mysticisme dans l’histoire pour qu’il soit utile d’y revenir encore.


Aux forces biologiques, affectives et mystiques qui conduisirent presque exclusivement les peuples pendant une partie de leur évolution s’ajoutèrent plus tard les forces intellectuelles dont le rôle est devenu considérable. Elles ont transformé toutes les conditions d’existence de l’homme. Leur action sur les sentiments, les passions et les croyances reste malheureusement faible. Loin de restreindre les haines qui séparent les nations et les classes de chaque nation, l’intelligence s’est mise à leur service et ne fait que rendre plus meurtriers les conflits qui divisèrent toujours les hommes.

Toutes les forces précédemment énumérées possèdent ce caractère commun de se trouver en nous-mêmes et d’être plus ou moins modifiables par les volontés issues de nos besoins et de nos croyances.

Mais, ainsi que je l’ai montré dès le début de cet ouvrage, les temps modernes ont vu naître des puissances nouvelles : les forces économiques, sur lesquelles volontés et croyances restent sans action.

Et c’est ainsi qu’après avoir été gouvernée par un panthéon d’illusions au cours de son histoire : illusions religieuses, politiques et sociales, l’humanité est arrivée à une phase nouvelle où les forces économiques dominent toutes les chimères.

Jadis peu actives, quand les peuples étaient séparés par d’infranchissables distances, ces forces sont devenues si prépondérantes qu’elles régissent impérieusement la destinée des nations. Elles les ont forcées à renoncer à leur isolement et créé entre elles une interdépendance accentuée chaque jour et qui finira par dominer les haines.

La ruine économique de l’Europe à la suite de la défaite allemande est un exemple frappant de cette interdépendance.

L’Angleterre, qui a vu ses exportations réduites de moitié depuis qu’elle a perdu la clientèle germanique, se demande comment sortir d’une situation acculant au chômage et à la misère plusieurs millions de ses ouvriers.


Si nous revenons si souvent au cours de cet ouvrage sur le rôle des forces économiques, c’est que leur influence grandit chaque jour. Elles se trouvent en lutte aujourd’hui contre celles qui menaient jadis le monde. Sans doute, des législateurs imprévoyants, des adeptes de chimères troubleront encore l’existence des peuples, mais leur action restera éphémère. Le monde prochain aura pour maître des forces économiques nouvelles dérivées elles-mêmes des forces matérielles, jadis insoupçonnées, qui ont transformé l’existence des peuples. Nous allons montrer leur rôle.

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