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Le déséquilibre du monde

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CHAPITRE II
LE CONGRÈS DE GÊNES COMME EXEMPLE DES RÉSULTATS QU’UNE COLLECTIVITÉ PEUT OBTENIR

Nous venons de montrer que les congrès ou tout autre collectivité du même ordre sont impuissants à résoudre les problèmes qui leur sont posés. Nous allons voir qu’ils arrivent parfois à des résultats différant complètement de ceux espérés.

Ce phénomène s’observa souvent au cours des nombreuses conférences réunies dans diverses capitales de l’Europe depuis les débuts de la paix. Elles eurent la plupart pour inspirateur, celle de Gênes notamment, le subtil ministre, M. Lloyd George, qui présidait alors aux destinées de l’Angleterre.

Le but avoué de la Conférence de Gènes était la restauration économique de l’Europe et l’établissement d’une paix durable.

Elle fut, d’ailleurs, accueillie avec peu d’enthousiasme par les États convoqués. Tous comprenaient l’intérêt de l’Angleterre, qui ne vit que d’exportations, à se créer des débouchés nouveaux pour relever son commerce ; mais aucun d’eux n’arrivait à saisir en quoi une collectivité aussi hétérogène que celle des constructeurs de la Tour de Babel serait apte à découvrir des méthodes de restauration ayant échappé aux spécialistes les plus habiles.

En fait, les causes de l’anarchie économique européenne que devaient expliquer les délégués réunis à Gênes étaient si visibles qu’il n’était vraiment pas besoin de nouvelles lumières pour les mettre en évidence. On peut les résumer comme il suit :

Avant la guerre, les progrès de la technique industrielle et la facilité des moyens de transport avaient conduit chaque peuple à se spécialiser dans la fabrication de certains produits, et ils vivaient de l’échange de ces produits. Les nations formaient un bloc économique assez bien équilibré.

Et non seulement cet équilibre est rompu aujourd’hui, mais l’atmosphère de haine et de méfiance qui pèse sur le monde conduit les peuples à s’entourer de barrières douanières, sous prétexte de protéger leurs industries nationales. Elles sont si bien protégées d’ailleurs, qu’on peut observer dans beaucoup de pays une surproduction de produits presque invendables. Tel le fer, pour la France, par exemple.

Toutes ces choses étant connues, les diverses délégations n’ont pu que répéter ce que chacun savait déjà depuis longtemps. Était-il dans le pouvoir d’un congrès d’y trouver un remède ou même de faire varier d’un centime le cours du change dans aucun pays ?


La conférence de Gênes ne pouvait réussir à solutionner les grandes questions générales. Elle a montré la même impuissance sur des questions particulières, notamment celle des mines russes de pétrole dont se sont emparés les bolchevistes.

On assure que ce fut la question du pétrole, capitale pour l’Angleterre, qui l’amena à provoquer la conférence de Gênes. Elle s’est cependant exagéré un peu la puissance pétrolifère de la Russie. Alors qu’avant la guerre, la production des États-Unis atteignait trente-neuf millions de tonnes, celle de la Russie dépassait à peine neuf millions. La production des autres pays limitrophes : Pologne, Roumanie, etc., est relativement insignifiante.

Bien que l’extraction annuelle du pétrole dans le monde dépasse à peine 100 millions de tonnes, alors que celle du charbon s’élève à 1.300 millions.

Ce liquide est si précieux dans une foule d’usages que l’on comprend les efforts de l’Angleterre pour mettre la main sur les principales sources du monde. En vingt ans, elle a réussi à devenir maîtresse de tous les gisements pétrolifères importants de l’univers, ceux des États-Unis exceptés. Aujourd’hui, l’Angleterre peut concurrencer la colossale Compagnie américaine, la Standard Oil, dont le budget dépasse celui de bien des États. Les autres Compagnies sont anglo-hollandaises et réunies dans un grand trust comprenant, notamment, la Royal Dutch, la Mexican Eagle, la Shell, etc. Ce consortium tombe, d’ailleurs, de plus en plus sous la domination britannique.

Ces faits qui semblent nous éloigner du but de ce chapitre devaient cependant être rappelés pour montrer combien les buts cachés d’un congrès peuvent différer des buts proclamés.

Pendant quelques jours, très peu d’ailleurs, le premier ministre anglais demeura maître du Congrès. Mais les haines et les conflits d’intérêts contradictoires rendirent bientôt ses efforts impuissants. Finalement, la direction du Congrès passa des mains anglaises dans celles des extrémistes russes conformément à une loi constante des collectivités politiques.

« Certes, écrivait Le Journal de Genève, les délégués bolchevistes n’en espéraient pas autant quand ils se glissaient à travers l’Europe, tremblant de rencontrer quelqu’une de leurs victimes, inquiets de l’accueil qui les attendait. »

Si la conférence de Gènes échoua plus encore que ses aînées, c’est qu’à l’impuissance habituelle de ces collectivités se joignit l’influence de forces mystiques très puissantes sur les collectivités mais dont l’instigateur de ce congrès, M. Lloyd George, ne comprit jamais le rôle. J’ai rappelé comment, pour s’être attaqué à l’Islam, puissance mystique redoutable, l’empire britannique perdit en quelques mois l’Égypte, la Perse, la Mésopotamie et voit actuellement son empire de l’Inde très ébranlé.

A Gènes, le même ministre se heurta encore à une autre force mystique : le communisme, religion nouvelle, toute-puissante sur l’âme des croyants.

Pour obtenir les capitaux dont ils avaient un si impérieux besoin, les délégués russes eussent volontiers abandonné l’exploitation des mines de pétrole dont ils ne tirent aucun parti et signé tous les engagements, puisque les promesses faites à des infidèles n’engagent pas les croyants. Mais renoncer publiquement aux principes fondamentaux de leur foi en admettant des propriétés privées était impossible. Un tel abandon se fût aussitôt trouvé désavoué par leurs coreligionnaires.

Les Anglais auraient pu se consoler aisément du refus des bolchevistes en songeant que leurs concessions les plus complètes ne pouvaient pas beaucoup modifier la crise économique dont ils souffrent « puisque, dans les années précédant la guerre, moins de 3 % du commerce extérieur de l’Angleterre se faisait avec la Russie ».


Toujours confiant dans l’illusoire pouvoir des collectivités, M. Lloyd George se proposait de faire signer à Gênes par les délégués des puissances un « pacte de non agression » qu’il considérait sans doute comme une sorte de monnaie d’échange capable de séduire ses alliés. Je me demande encore à quoi pouvait bien penser l’auteur d’un tel projet ? Pouvait-il vraiment supposer l’existence dans le monde d’un homme d’État assez naïf pour croire à l’efficacité d’un pareil pacte. Un tel engagement n’empêcherait jamais une agression brusquée puisque l’agresseur pourrait toujours se justifier en affirmant que son territoire a été bombardé par des avions analogues à ceux de Nuremberg qui servirent à l’Allemagne de prétexte pour nous déclarer la guerre en 1914.

Il semble d’ailleurs évident que les Russes n’auraient jamais signé le pacte proposé. Le sombre juif qui, le sabre d’une main, l’évangile judéo-communiste de l’autre, dirige les massacres et les pillages de l’armée rouge, faisait annoncer hautement à Gênes l’invasion de l’Europe par sa troupe dans l’espoir d’intimider les membres du congrès. Confiants dans l’influence que peuvent exercer la crainte et les menaces sur l’âme des collectivités, les délégués russes ramenaient leurs discours sous des formes peu déguisées, à ce dilemme : de l’argent ou une invasion.

Les arrogances et les maladresses de la bande bolcheviste évitèrent aux hommes d’État anglais de subir la honte de paraître influencés par de tels propos. M. Lloyd George lui-même recula et la conférence se termina comme toutes les précédentes, par une démonstration nouvelle de la totale impuissance des collectivités à résoudre un problème, surtout quand les membres de cette collectivité représentent des intérêts différents.

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