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Le déséquilibre du monde

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CHAPITRE III
LE PROBLÈME DE LA SÉCURITÉ

Le plus important des problèmes actuels, est évidemment celui de la sécurité. Les alliés ayant abandonné de plus en plus la France, elle est restée seule devant un ennemi obsédé par l’idée de revanche. Comment assurer sa sécurité.

Ces moyens sont peu nombreux. Il n’en est même en réalité qu’un seul reconnu efficace : l’occupation des villes bordant le Rhin. Dès qu’elles seraient abandonnées la tentative de revanche serait prochaine. Tous nos grands chefs militaires sont d’accord sur ce point.

L’avenir est écrit dans le présent. C’est pourquoi il ne faut jamais oublier ce qui nous attend si les Allemands envahissaient de nouveau le sol français.

La New York Tribune du 14 février 1923 rappelait leurs procédés en France et en Belgique :

« Ils commençaient par dépouiller les habitants, puis les forçaient à travailler et les déportaient comme esclaves en Allemagne. Ils volaient les machines, les meubles, les tableaux, incendiaient maisons, bibliothèques, églises, détruisaient le sol, emprisonnaient et tuaient en masse.

« Il doit rester beaucoup de témoins des rapines de Louvain et de Malines, de ces spécialistes du vol, agents de Bissing en Belgique, de ces ingénieurs et techniciens impitoyables qui surent si bien faire du nord de la France un désert pendant la retraite vers la ligne Hindenburg. »

Au cas d’une revanche germanique, ces méthodes se répéteraient sûrement. Aucune illusion sur ce point n’est possible. Une nouvelle agression allemande entraînerait la ruine totale de la France.

Les projets de l’Allemagne sont toujours ceux que formulait dans les termes suivants un ministre de la Guerre prussien, le général de Schellendorf.

« Entre la France et l’Allemagne, il ne peut s’agir que d’un duel à mort.

La question ne se résoudra que par la ruine de l’un de ces deux antagonistes. Nous annexerons le Danemark, la Hollande, la Suisse, la Livonie, Trieste et Venise, et le Nord de la France, de la Somme à la Loire. »

Ces ambitions — que défendaient depuis longtemps historiens et professeurs germaniques — renaîtraient infailliblement le jour où la France aurait renoncé aux seules garanties de paix sérieuses possédées aujourd’hui, c’est-à-dire l’occupation du Rhin. Inutile de s’illusionner sur ce point.

Le professeur Blondel rappelle à ce propos ce qu’a écrit Edouard Meyer, un des maîtres les plus réputés de l’Université de Berlin. « Il faut que nous mettions dans l’esprit de la jeunesse que la guerre qui ne nous a pas donné ce que nous espérions, sera nécessairement suivie un jour ou l’autre d’une série de guerres jusqu’à ce que le peuple allemand, ce peuple prédestiné, arrive dans le monde à la situation à laquelle il a droit. »

Cette idée inspire la plupart des professeurs des universités. « Une nouvelle guerre, disait il y a quelques mois au professeur Blondel le doyen de la Faculté de droit de Berlin, est inévitable… Nous retrouverons demain la situation que nous avions hier. »


Ces notions devraient être constamment présentes à l’esprit, car elles contiennent autant d’avenir que de passé. On les oublie cependant d’une prodigieuse façon. Il règne dans certains bureaux ministériels un pacifisme borné conduisant à vouloir créer l’oubli du passé, dans l’espoir, sans doute, de calmer les fureurs germaniques.

Comme exemple de cette inconcevable aberration, on peut citer la singulière histoire récemment arrivée à l’auteur d’un livre ayant pour titre : Si les Allemands avaient gagné la Guerre. L’écrivain y exposait leurs desseins d’après les publications germaniques les plus réputées. L’ouvrage avait obtenu d’illustres approbations, notamment celle du maréchal Lyautey.

Ne soupçonnant pas la mentalité à laquelle je viens de faire allusion, l’auteur envoya gratuitement trois cents exemplaires de son livre au bureau compétent du ministère de l’Instruction Publique pour qu’ils fussent distribués dans les bibliothèques municipales.

Contrairement à toute vraisemblance, l’ouvrage, dont l’utilité était évidente, fut catégoriquement refusé, en raison, disait la lettre de refus, « du ton énergique de l’ouvrage, si justifié qu’il puisse être ».

Voilà où en est notre œuvre de propagande défensive ! Elle se heurte à la lourde opposition d’obscurs bureaucrates dont l’aveuglement dépasse vraiment trop les limites permises.


Pendant que s’agitent, dans la Ruhr, les futures destinées de la France et aussi de l’Europe, les braves juristes de la Société des Nations prononcent des discours humanitaires auxquels ne croient ni les orateurs qui les prononcent ni les personnes qui les entendent.

Ces discours sont, du reste, enveloppés d’un nuage épais d’ennui. C’est pourquoi, sans doute, il m’arriva, certain soir, de m’endormir en les lisant. Je m’endormis et je rêvai.

Les hasards de mon rêve m’avaient transporté dans ces champs élyséens que le paganisme réservait aux ombres d’illustres personnages.

Le premier que je rencontrai fut le fondateur de l’unité allemande, prince de Bismarck. Mettant la main sur l’ombre de son sabre, il m’apostropha avec violence.

« Ne te vante pas trop de ton triomphe, fils maudit d’une race abhorrée. Ton pays possède, heureusement pour nous, un nombre suffisant de socialistes, de communistes et de philanthropes stupides pour que notre revanche soit certaine. Ce jour-là, mes successeurs ne répéteront pas la faute commise en 1875. Voyant alors la France renaître, je voulais l’écraser définitivement en m’emparant de ses plus riches provinces et lui imposant des conditions qui l’eussent ruinée pour un siècle. J’eus l’immense tort d’écouter les remontrances de souverains qui d’ailleurs n’auraient jamais pris les armes pour défendre la France. Comment ai-je pu commettre une telle faute ? »

Offusqué par ces propos discourtois, je m’éloignai et me dirigeai vers un groupe où il me semblait distinguer l’ombre du bon La Fontaine.

C’était bien lui, en effet. Il récitait à des auditeurs charmés une fable que j’ai retenue et que voici :

LE TIGRE ET LE CHASSEUR

Certain tigre, réputé pour sa férocité, rencontre, au coin d’un bois, un chasseur armé d’une solide carabine. Au moment où le chasseur mettait le tigre en joue, ce dernier, posant une timide patte sur son cœur, s’écria :

— Arrête, chasseur ! Les philanthropes viennent de proclamer que tous les êtres sont frères. Depuis longtemps, d’ailleurs, le tigre était l’ami de l’homme, dont il protégeait les prairies contre la gourmandise des méchants moutons. Les capitalistes seuls ont dressé l’homme contre le tigre. Unissons-nous, mon frère, comme le réclament les apôtres du désarmement, et nous jouirons d’un bonheur universel. Jette ton arme. Je rognerai aussitôt mes griffes.

Impressionné par cette harangue, le chasseur abaissa sa carabine, sans cependant la quitter. Devant ce demi-succès, le tigre continua ses adjurations et devint si persuasif que le chasseur lança son arme au loin. Interrompant alors brusquement ses philanthropiques propos, le tigre se précipita sur le chasseur et le dévora. Regardant ensuite, avec mépris, les restes de sa victime, il murmura :

L’imbécile !

Ce fut la seule oraison funèbre du trop sensible chasseur. En méritait-il une autre ?

Je me réveillai et, revenu sur terre, j’entrepris la lecture de quelques journaux anglais. Ils conseillaient charitablement à la France d’abandonner la Ruhr et de renoncer à des demandes de réparations, gênantes pour le commerce anglais. C’est le conseil que M. Lloyd George donne depuis longtemps à des alliés trop soumis à ses impérieuses suggestions.

L’occupation d’une portion du territoire ennemi est évidemment une opération coûteuse et désagréable. Il suffit de lire les articles consacrés par les Allemands à leurs projets de revanche pour comprendre à quel point elle était nécessaire.

Pendant longtemps la France et la Belgique n’auront pas d’autres moyens de se préserver de nouvelles invasions. Il reste impossible d’entrevoir une autre solution avant le jour où les idées barbares qui continuent à gouverner les peuples seront entièrement transformées.

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