Un grand missionnaire : $b le cardinal Lavigerie
VI. — Les orphelinats pour enfants musulmans ; le conflit avec Mac-Mahon.
Lavigerie ne fut jamais homme à jeter le gant à la puissance civile, aventureusement, prématurément. Débarquant en Algérie en messager de l’idée chrétienne et en interprète d’un lointain passé, qu’il voulait faire revivre, il allait rechercher, sans retard, l’adhésion de l’Empereur, pour les premières mesures pratiques par lesquelles il voulait inaugurer son épiscopat.
Lorsqu’en 1835 une amie d’Eugénie de Guérin, Mère Émilie de Vialar, avait installé dans Alger, au chevet des cholériques, les premières sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition, on avait vu, six ans après, les Muphtis, et les Cadis, et le corps entier des Ulémas, expédier à Grégoire XVI une adresse solennelle, pour rendre hommage à l’œuvre de miséricorde et d’« apitoiement » qu’elles accomplissaient. Précédent significatif, qui attestait que la bienfaisance chrétienne ne portait pas ombrage à l’Islam[123].
[123] Louis Picard, Émilie de Vialar, p. 85-87 (Paris, Maison de la Bonne Presse, 1924). Le futur général Daumas racontait dans une lettre du 11 février 1838 que, le docteur Warnier ayant soigné un Arabe, l’autorité musulmane disait : « Voyez comme les chrétiens sont généreux et bons, les musulmans n’en feraient pas autant. » (Correspondance du capitaine Daumas, consul à Mascara, éd. Yver, p. 104.)
Pourrait-on défendre à Lavigerie d’être charitable à son tour ? Assurément non. Par une note que le 9 septembre 1867 il faisait remettre à Napoléon III, il annonçait son désir d’établir au centre de la Kabylie, loin des villages européens, d’accord avec les municipalités indigènes, quatre ou cinq maisons hospitalières, où des religieuses donneraient des soins ; et il s’engageait d’ailleurs à interdire absolument toute propagande religieuse directe. Mais pouvait-on lui prohiber, d’autre part, de combler le fossé entre son clergé et les populations musulmanes, en imposant à ses prêtres la connaissance de l’arabe ? Ainsi fit-il, au nom de son droit d’évêque, par une lettre circulaire du 31 octobre : dans son séminaire, des classes d’arabe s’installèrent ; ses clercs furent informés qu’ils ne recevraient pas le sacerdoce avant de connaître cette langue ; et Pie IX, sur sa demande, donna une existence canonique à une vaste association de prières, fondée depuis dix ans par un Jésuite pour la conversion de l’Islam. Mais savoir l’arabe, aller le parler là où il se parlait, et faire prier, enfin, à travers le monde, pour l’efficacité apostolique d’un tel contact, n’était-ce pas battre en brèche l’idée d’un « royaume arabe » barricadé d’avance, par la politique napoléonienne, contre toute infiltration française et chrétienne ? Cette idée demeurait celle de la France officielle. De là, l’ordre de rappel qu’avaient reçu en 1866, malgré les regrets des Arabes, les Lazaristes et sœurs de charité de Laghouat[124] ; de là, aussi, l’impression de surprise, d’une surprise déjà à demi hostile, qu’éveillait Lavigerie dans les bureaux d’Alger, lorsqu’il déclarait avoir obtenu de l’Empereur la permission de faire de la propagande religieuse parmi les musulmans de l’Algérie, et avoir choisi le Fort-Napoléon pour tenter ses premiers essais[125].
[124] Mgr Pavy, par un ancien curé de Laghouat, p. 41-42 (Paris, Challamel, 1867).
[125] Le colonel Hanoteau au maréchal Randon, 31 décembre 1867 (lettre inédite).
Dans son clergé même, et jusque dans son archevêché, on n’était pas sans inquiétude au sujet de ces nouveautés. Un jour, sortant de chez le prélat, à qui il avait cru devoir expliquer l’« obstacle infranchissable » qu’opposait à la propagande chrétienne l’organisation familiale et sociale des Kabyles, le futur général Hanoteau entra chez l’abbé Suchet, vicaire général, et lui raconta le langage qu’il venait de tenir. « Vous avez osé le lui dire ! répondit l’abbé ; je vous remercie beaucoup. Depuis qu’il est arrivé, l’archevêque nous la vie impossible, nous traite de vieilles bourriques et prétend que si rien n’a été fait, c’est que nous ne sommes bons à rien. » Hanoteau, mis en confiance, disait alors au vicaire général que ce qu’il y avait à faire, c’était de créer chez les Kabyles des hôpitaux de sœurs, pourvu qu’elles ne fissent aucune propagande religieuse et n’attendissent pas des résultats immédiats. Rentrez donc chez Monseigneur, lui suggéra l’abbé Suchet, et dites-lui cela : ce sera nous rendre à nous, à l’ancien clergé, un service personnel. Quelques minutes plus tard, Hanoteau, revoyant l’archevêque, lui développait cette idée ; et Lavigerie lui paraissait « incrédule[126] ». Lavigerie cependant n’oubliera pas cette conversation ; et lorsque l’Église et l’armée, sur le sol d’Algérie, auront franchi la crise douloureuse qui allait bientôt les mettre aux prises, les projets de fondations religieuses que réalisera Lavigerie et le programme qu’il tracera aux sœurs hospitalières ne s’écarteront pas beaucoup des suggestions hasardées, ce jour-là, par le colonel Hanoteau.
[126] Mémoires inédits du général M. Hanoteau.
Cette année 1867, où pour la première fois Lavigerie avait foulé le sol algérien, ne devait pas s’achever sans qu’il eût signifié, publiquement, quelle était sa propre politique. On l’avait fait venir, comme évêque, pour qu’il bénît des charrues à vapeur, dont l’emploi s’inaugurait. L’étrange imprudence et comme on le connaissait mal, encore ! Un Lavigerie ne se bornait pas à des liturgies ! fonctionnaires et hommes d’épée l’entendaient, non sans surprise, demander publiquement à la France, pour l’Algérie, les libertés civiles, religieuses, agricoles, commerciales, qui manquaient encore à cette terre, et inviter les colons à sortir « de cette routine qui attend tout de l’État et à s’associer librement, pour tout ce qui est utile, fécond, chrétien »[127]. Il voulait aborder les indigènes et il donnait aux colons des leçons d’initiative ; se mêlant aux deux peuples que juxtaposait le sénatus-consulte, il aspirait à n’en faire qu’un ; avec d’inexpugnables façons de se carrer dans ses arguments, il bousculait, en affectant de ne point paraître provocateur, les habitudes bureaucratiques et les théories impériales.
[127] Vœux pour l’avenir de la colonie (Lavigerie, Œuvres choisies, I, p. 135).
Le choléra sévissait, puis les sauterelles, enfin la famine ; devant de pareils fléaux, les deux peuples n’en faisaient plus qu’un, et vraiment il eût été difficile à l’administration de barrer la route à Lavigerie et à son ministère de charité. Au demeurant, le 1er janvier 1868, par-dessus la tête de l’administration, il s’adressait à la générosité de la France. Dans une lettre qu’il expédiait aux journaux catholiques, il montrait un grand nombre d’Arabes ne vivant plus que de l’herbe des champs ou des feuilles des arbres, qu’ils broutaient comme des animaux, errant presque nus, par troupes, dans le voisinage des villes, attendant les tombereaux d’immondices pour s’en disputer le contenu, déterrant, pour les manger, les cadavres des bêtes, et parfois, par douzaines, s’affaissant sur les routes, morts d’inanition[128].
[128] Lavigerie, Œuvres choisies, I, p. 149-150.
Évaluant à 100 000 le nombre des victimes au cours des six derniers mois[129], il annonçait son dessein d’adopter les orphelins, de les élever. Pour avoir des ressources, il quêtait en France, puis auprès des évêques de Belgique, d’Espagne, d’Angleterre, et jusqu’en Amérique. « Ces orphelins, disait-il, c’est ma part, c’est celle de l’Église, dans cet immense désastre. »
[129] Sur ce chiffre, voir Lavigerie, Œuvres choisies, I, p. 174.
Avant même d’avoir des ressources, il assumait le fardeau. Tout de suite, dans sa maison de campagne, des convois d’enfants survinrent, véritables squelettes, dont quelques-uns, parfois, étaient, au cours de la route, devenus cadavres. Huit enfants, un jour, arrivaient de Laghouat, expédiés à l’archevêque par le futur général de Sonis[130]. Lavigerie n’attendait pas toujours qu’ils se présentassent ; en bon pasteur, il se promenait à leur recherche. On se souvint longtemps, à Montenotte, du petit garçon couvert de vermine, dévoré d’ulcères, qu’il fit monter près de lui, dans sa voiture, pour le ramener au séminaire de Saint-Eugène, où s’improvisait un asile. A la fin de janvier, il avait huit cents bouches à nourrir ; en juin, il en aura dix-huit cents. « Dites à tous les Arabes, écrivait-il au curé de Montenotte, qu’ils n’ont qu’à envoyer leurs enfants au grand marabout des chrétiens, et que celui-ci leur enseignera à gagner honnêtement leur vie par le travail, à craindre Dieu et à aimer leurs frères. »
[130] Baunard, Le Général de Sonis, p. 244. (Paris, Poussielgue, 1890.)
Cette générosité d’accueil et d’appel, c’était une première étape ; il en entrevoyait une seconde où il pourrait offrir aux indigènes une autre aumône, celle de la vérité. De Laghouat, un officier lui écrivait : « L’heure me paraît venue, l’occasion favorable. » Ce correspondant n’était autre que Sonis, qui considérait la « conversion des musulmans » comme « une dette d’honneur que la France s’est bien peu souciée de payer jusqu’à ce jour[131]. » Déjà, dans son grand séminaire, l’idée de se dévouer à la conversion des Arabes tourmentait certaines âmes. M. Girard, le Lazariste qui depuis longtemps en était le directeur, — celui que familièrement on nommait le Père Éternel, — était venu chez lui, le 29 janvier, avec trois jeunes clercs, qui demandaient, pour se préparer à ce futur apostolat un règlement monastique de vie[132]. Dans cette démarche, la Société future des Pères Blancs était en germe. Des arrière-plans s’entr’ouvraient dans la lettre que Lavigerie, le 6 avril, adressait au directeur des Écoles d’Orient : « Nos orphelinats, lui disait-il, seront, dans quelques années, une pépinière d’ouvriers utiles, soutiens, amis, de notre colonisation française, et, disons le mot, d’Arabes chrétiens. Ce sera le commencement de la régénération de ce peuple et de cette assimilation véritable que l’on cherche sans la trouver jamais, parce qu’on la cherche jusqu’ici avec le Coran, et qu’avec le Coran, dans mille ans comme aujourd’hui, nous serons des chiens de chrétiens, et il sera méritoire et saint de nous égorger et de nous jeter à la mer[133]. »
[131] Baunard, Le Général de Sonis, p. 245.
[132] Lavigerie, Œuvres choisies, II, p. 29-31. Sur le Lazariste Joseph Girard (1793-1879), voir Lavigerie, Œuvres choisies, I, p. 385-394.
[133] Lavigerie, Œuvres choisies, I, p. 161-162.
Un post-scriptum à cette lettre faisait connaître d’atroces actes d’anthropophagie commis dans la région de Tenès : un ménage de gardiens de mosquée, affamé, avait tué cinq passants, puis leur neveu, puis leur enfant. « L’absence complète de sens moral, clamait Lavigerie, favorise sans contredit la multiplication de ces forfaits. » Et il concluait : « Il faut relever ce peuple. Il faut que la France lui donne, je me trompe, lui laisse donner les principes de l’Évangile, ou qu’elle le chasse dans les déserts, loin du monde civilisé[134]. »
[134] Lavigerie, Œuvres choisies, I, p. 165-166.
Dans cette alternative ainsi présentée, il ne fallait voir qu’un artifice de dialectique, qui ne mentionnait une solution évidemment absurde : l’expulsion des Arabes, que pour en imposer une autre : leur évangélisation[135] ; mais le maréchal de Mac-Mahon, le colonel Gresley, prirent la phrase de Lavigerie au pied de la lettre ; et, sous les regards impuissants du général de Wimpfen, qui estimait qu’en sauvant de la mort des milliers d’êtres Lavigerie avait « acquis le droit de diriger leur esprit et leur cœur vers le but le meilleur et le plus utile à la France », le conflit entre le gouverneur et l’évêque éclata. « Voulez-vous donc refouler les indigènes dans les déserts ? lui demandait en substance Mac-Mahon, dans une lettre du 26 avril. La France s’y refuse. Les indigènes ne vont-ils pas dire que vous voulez profiter de l’état de détresse où ils se trouvent, pour leur faire acheter, par le sacrifice de leur religion, le pain que vous leur donnez ? » Il accusait le prélat d’exciter à la haine entre les citoyens, et d’être devenu « un drapeau pour tout ce qui était hostile au gouvernement ».
[135] Voir les explications de Lavigerie dans Œuvres choisies, I, p. 168-170 et 174-176.
« L’archevêque voudrait-il nous organiser une petite fronde, écrivait le colonel Hanoteau, en attendant qu’il attache la croix rouge sur l’épaule des colons voltairiens pour marcher à la conquête du bien d’autrui en refoulant dans les déserts les propriétaires[136] ? »
[136] Hanoteau à Labeaume, 8 mai 1868. (Lettre inédite.)
Des bruits circulaient, d’après lesquels la maréchale de Mac-Mahon, qui, sous le précédent épiscopat, présidait toutes les œuvres de charité, était menacée d’excommunication par le nouvel archevêque[137]. Des questions d’étiquette aggravaient le conflit. Lavigerie se plaignait que l’autorité militaire ne tirât pas pour lui, comme pour un maréchal, vingt-cinq coups de canon ; il se plaignait que, lorsqu’il voyageait, des chevaux de l’armée ne fussent pas mis à sa disposition[138]. Un jeune Français, à Alger, ayant été assassiné par un Arabe, les obsèques donnaient lieu à des manifestations tumultueuses, et dans les sphères militaires on attribuait cet émoi des esprits au bruit fait par l’archevêque autour des récents actes d’anthropophagie. Et de bouche en bouche courait le récit de la déception cruelle qu’avaient subie, chez les Aït-Boudran, le P. Stumpf et le frère Jeannin, connu des indigènes sous le nom de Capsule ; l’Amin leur avait avoué que les avances qu’il leur avait faites n’étaient point sérieuses, et que, s’il les laissait s’installer, il serait tué par ses coreligionnaires. Mais on ripostait, à l’archevêché, que si Stumpf et Capsule avaient subi cet accueil, il avait été provoqué par des espions aux gages du gouverneur[139].
[137] Général du Barail, Souvenirs, III, p. 48.
[138] Le baron Durrieu à Niel, 28 mars 1868. (Archives de la Guerre.)
[139] Papiers Hanoteau.
« La guerre est déclarée », écrivait Lavigerie à l’abbé Bourret. « Si le gouvernement de l’Empereur me disgracie, j’aurai pour compensation la joie de ma conscience. » Et du palais épiscopal d’Alger, deux lettres partaient, l’une pour le maréchal, l’autre pour l’Empereur. Lavigerie, répondant à Mac-Mahon, réclamait pour l’Évangile, en Algérie, terre de chrétienté, la même liberté que dans les pays infidèles. Combien discret serait l’usage de cette liberté, il l’attestait en affirmant : « Je n’ai pas voulu, et je l’ai déclaré hautement, qu’un seul des 1 200 enfants recueillis par moi fût baptisé, autrement qu’au moment de la mort ; et encore, au moment de la mort, je ne l’ai permis que pour ceux-là seulement qui n’avaient pas l’âge de raison[140]. » Ces orphelins, donc, n’étaient pas acculés à acheter leur pain par leur rupture avec leur foi. Mais que, devenu leur père, il les abandonnât, qu’il les rejetât dans le monde de l’Islam, qu’il s’abstînt, au moment venu, d’offrir à leur liberté d’adhésion la foi qui était celle de la France : formellement il s’y refusait. Il ne voulait plus, en un mot, que théoriquement, administrativement, bureaucratiquement, une barrière fût dressée entre la civilisation catholique et l’Islam ; et son optimisme d’apôtre, se tournant vers l’Empereur, lui écrivait : « Je ne crains pas d’affirmer, Sire, qu’avec la liberté de conscience et dès lors de la prédication, nous rendrons en très peu d’années les Kabyles chrétiens. Pour les Arabes, ce serait plus long, on ne peut compter que sur les enfants, mais, par les enfants, le succès est assuré[141]. » Lavigerie réclamait de l’Empereur, en Algérie, la même liberté dont le catholicisme jouissait en Turquie, celle d’ouvrir des asiles de bienfaisance. Nous la refuser, disait-il, c’est nous priver de notre liberté de conscience. Mais bientôt Napoléon III répondait : « Vous avez, monsieur l’archevêque, une grande tâche à remplir, celle de moraliser les deux cent mille colons catholiques qui sont en Algérie. Quant aux Arabes, laissez au gouverneur général le soin de la discipline. » Le maréchal Niel, ministre de la Guerre, annonçait joyeusement à Mac-Mahon, dans une lettre privée, que la plume du souverain avait été très impériale[142] ; et dans une dépêche d’adhésion qu’il adressait lui-même à Mac-Mahon, Niel représentait l’archevêque comme ayant « demandé équivalemment que la liberté de conscience fût enlevée aux musulmans de la colonie ».
[140] Lavigerie, Œuvres choisies, I, p. 176-177. Cf. p. 198 (Lavigerie à Niel, 17 mai 1868) : « Aucune des femmes veuves recueillies par moi n’a été baptisée, quoique plusieurs l’aient demandé déjà, et cela parce que je craignais que leur demande ne fût intéressée. »
[141] L’archevêque d’Alger et l’administration algérienne : recueil de lettres sur l’apostolat catholique en Algérie, p. 28. (Alger, Bastide, 1871.)
[142] Niel à Mac-Mahon, 10 mai 1868. (Archives de la Guerre.)
Autour de Lavigerie, en ce début de mai 1868, un certain nombre d’évêques français commençaient de se grouper, comme autour du défenseur de la liberté de l’Évangile. « Prélat au cœur vraiment chrétien et vraiment français, écrivait Montalembert, il fait tressaillir d’admiration toutes les âmes catholiques d’un bout de l’Europe à l’autre », et Montalembert constatait que dès cette date, Lavigerie avait « une place à jamais enviable dans notre histoire »[143].
[143] Correspondant, 25 mai 1868, p. 603.
Louis Veuillot commentait : « Le sort des enfants rendus aux tribus préoccupe l’archevêque et devrait davantage toucher les bureaux. Pour les filles, elles ne seront et ne peuvent être réclamées que pour être vendues sous forme de prétendu mariage, au premier venu, selon l’usage universel des Arabes, consacré, hélas ! par l’administration et par les tribunaux algériens. Quant aux garçons, quiconque est au courant des mœurs musulmanes sait trop ce qui les attend s’ils sont livrés sans défense à leurs « coreligionnaires ».
« Ici donc une question de haute moralité prime le droit de la tribu ou des parents éloignés qui réclameraient les orphelins. Cette question, la France, nation chrétienne, ne peut l’éluder.
« Mais il y a plus : il y a un cas d’indignité, reconnu par toutes les lois humaines et par le Coran lui-même, puisque c’est du Coran que l’on s’appuie.
« Car enfin, ces tribus, ou, si l’on veut encore, ces oncles, ces cousins, ont abandonné les orphelins dans le moment où ils avaient plus besoin de secours ; ils les ont laissés là, sauvagement, impitoyablement, ils les ont livrés à la mort pour ne pas leur partager un reste de pain. Sont-ils en droit de réclamer aujourd’hui une autorité abdiquée de la sorte, surtout lorsqu’ils ne la réclament que pour en tirer de vils et abominables profits ? Ce cas, l’archevêque, père adoptif des orphelins, le soumet à la conscience et à la loi du pays[144]. »
[144] Veuillot, Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires, 3e série, II, p. 513-514.