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Un grand missionnaire : $b le cardinal Lavigerie

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VII. — Les lendemains.

Les apôtres formés par Lavigerie ont continué son œuvre. Lavigerie voulait, en 1871, fonder en Algérie des villages d’orphelins ; les Pères Blancs, au lendemain de la famine qui sévit l’année d’après sa mort, créèrent en Tunisie, pour les orphelins, la grande exploitation agricole de Saint-Joseph de Thibar, qui fut le point de départ d’un nouveau village chrétien[272]. Lavigerie prévoyait, en 1878, quatre vicariats apostoliques ; actuellement, le rayonnement même de l’apostolat des Pères Blancs a contraint la congrégation romaine de la Propagande de démembrer et de multiplier leurs terrains d’action : ils possèdent en Afrique onze vicariats et une préfecture apostolique. Les statistiques de janvier 1925 donnaient, pour leurs missions d’Afrique, le chiffre de 400 275 baptisés et de 163 751 catéchumènes. Il y avait dans la seule chrétienté de l’Ouganda, du 1er juillet 1910 au 30 juin 1911, 1 236 000 communions[273].

[272] Antoine Philippe, Chronique sociale de France, novembre 1924, p. 810.

[273] Leblond, le Père Auguste Achte, p. 430.

Les Sœurs Blanches d’Afrique, deux ans seulement après la mort de leur fondateur, s’enfonçaient dans les ténèbres de l’intérieur, qui, devant leur regard embrasé d’espérances, s’éclairaient d’une lueur d’Épiphanie. A l’heure présente, dans quatre-vingt-trois maisons, elles enseignent, soignent, baptisent, font l’instruction de la femme arabe, ou de la femme païenne. Il advient souvent que d’avance, dès le berceau, ses parents l’ont vendue comme épouse : la sœur missionnaire, pour la faire chrétienne, doit indemniser le fiancé de ce qu’il a payé comme dot : la nécessité de ces coûteux remboursements entrave la besogne d’apostolat, mais ne décourage pas les apôtres[274].

[274] Leblond, op. cit., p. 418.

Sous l’égide de ces deux ordres, les races indigènes ont commencé de fournir des prêtres à l’autel, des religieuses au cloître : les missions dont Lavigerie fut l’ancêtre possèdent, présentement, trente-quatre prêtres indigènes, quatre grands séminaires avec cent quatorze séminaristes noirs, neuf petits séminaires avec quatre cent soixante et un élèves noirs, et, sous le voile de religieuses, deux cent deux négresses.

Tenacement, mais en vain, le cardinal avait souhaité, pour ses Pères Blancs, l’honneur d’être les agents de liaison, qui ouvriraient une route et jetteraient un pont entre l’Algérie et le Soudan : ce « mysticisme transsaharien » dont parle quelque part le colonel Monteil, et qui donna l’élan, vers 1880, à plusieurs essais héroïques, allait inspirer, au lendemain de la mort du cardinal, la tentative du P. Hacquard, suivie d’un nouvel échec. Il faudra dix années encore pour que le commandant Laperrine, par l’heureux amalgame de ses tirailleurs et de ses spahis, prépare la grande œuvre de la pénétration saharienne. Mais lorsqu’en 1894 la France militaire se fut installée à Tombouctou, les Pères Blancs, débarquant à Dakar, s’engagèrent dans la vallée du Niger, et pénétrèrent à leur tour au cœur du Soudan : l’apostolat religieux, dans le sillage de nos armées, atteignait ainsi, par une autre voie, ce Soudan, où s’était si souvent transporté, par delà le chapelet des oasis sahariennes, l’esprit conquérant du cardinal.

Ainsi sont au travail, conformément aux méthodes définies par Lavigerie, les instruments forgés par Lavigerie pour réaliser, au jour le jour, l’impérieux appel qu’au nom de son Église et de son pays il adressait à l’âme missionnaire.

L’œuvre antiesclavagiste, elle aussi, ne fut point une œuvre éphémère : sa vitalité s’attesta par le Congrès antiesclavagiste de 1900, par la création en Afrique d’un certain nombre de villages de liberté[275] ; elle s’atteste, aujourd’hui même, par la décision qu’a prise, en 1924, le conseil de la Société des Nations, de constituer une commission de l’esclavage, chargée de lutter contre les dernières survivances de la traite, contre les abus de l’esclavage domestique, contre la polygamie enfin, qui, en provoquant la restriction de la natalité, tarit les races indigènes et entrave leur essor économique[276]. Dans les sollicitudes et les travaux de cette commission genevoise, à laquelle les missionnaires commencent de prêter leur concours, c’est toujours l’esprit de Lavigerie qui survit et qui veille.

[275] Du Teil, Correspondant, 25 juin 1903.

[276] Beaupin, Chronique sociale de France, novembre 1924.

Quelques années après la mort du cardinal, le général du Barail, traçant de lui, dans ses Souvenirs, un portrait fort peu bienveillant, concluait qu’en agissant comme Lavigerie, « on risque de mériter, en guise d’oraison funèbre, l’épigramme appliquée à certains hommes d’Église : il parlait sans cesse du ciel pour ne s’occuper que des choses de la terre ; mais on risque aussi d’arriver les mains presque vides auprès de Celui qui a donné à ses disciples la divine consigne : Ite et docete[277] ». Apparemment le général, écrivant ces lignes, était hanté par le double souvenir des lointains différends de Lavigerie avec Mac-Mahon et de ses récents sourires à la forme républicaine ; il semblait que cette double impression lui voilât les résultats obtenus par le cardinal, — d’un voile tellement opaque qu’il osait dire en cette même page, quelques années seulement après les martyres de l’Ouganda : « Je ne crois pas que les Pères Blancs aient à leur actif une conversion sérieuse. » L’histoire religieuse de l’Afrique au cours des trente dernières années achève de s’insurger contre un tel verdict : la divine consigne Ite et docete, dont parle Du Barail, fut réalisée par les missionnaires de Lavigerie, comme elle l’avait été par le cardinal lui-même.

[277] Du Barail, op. cit., III, p. 47-49.

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