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Un grand missionnaire : $b le cardinal Lavigerie

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APPENDICE

TESTAMENT SPIRITUEL DU CARDINAL LAVIGERIE[296].

[296] Ce testament date de 1884 ou 1885 (Baunard, Le cardinal Lavigerie, II, p. 670.)

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il !

Ceci est mon testament spirituel. Je le commence en déclarant, en présence de l’éternité qui va s’ouvrir devant moi, que je veux mourir dans les sentiments où j’ai toujours vécu, à savoir ceux d’une obéissance et d’un dévouement sans bornes au Saint-Siège apostolique et à Notre Saint-Père le Pape, vicaire de Jésus-Christ sur la terre.

J’ai toujours cru, je crois tout ce qu’ils enseignent et dans le sens où ils l’enseignent. J’ai toujours cru, je crois qu’en dehors du Pape ou contre le Pape, il n’y a et il ne peut y avoir dans l’Église que trouble, confusion, erreur et perte éternelle. Lui seul a été établi comme le fondement de l’Unité, et par conséquent de la vie, en tout ce qui tient au salut éternel.

J’ai l’insigne honneur d’appartenir de plus près au Saint-Siège apostolique par mon caractère de prêtre, d’évêque, par mon titre de cardinal de la Sainte Église romaine. Sans doute ces honneurs, qui sont fort au-dessus de ma misère et de ma faiblesse, sont faits pour me confondre, en ce moment surtout, où je songe à me présenter au tribunal de Dieu. Mais j’y veux voir un motif de reconnaissance et de fidélité d’autant plus grande envers la chaire de Pierre et envers Notre Saint-Père le Pape, qui m’a comblé des marques de sa confiance et de sa bonté.

Je l’ai servi de mon mieux tant que j’ai pu. Ne pouvant plus rien maintenant, je prie Notre-Seigneur d’agréer le sacrifice que je lui fais de ma vie, et les souffrances qui accompagneront ma mort, pour la prolongation des jours précieux de Léon XIII et le triomphe de ses desseins magnanimes.

Je confonds dans mon dévouement au Saint-Siège celui que j’ai toujours eu pour la France chrétienne et pour les missions d’Afrique, à la tête desquelles je suis placé. La paix, la gloire, la vie même de la France sont étroitement liées à sa foi catholique, et par conséquent à sa fidélité envers le Saint-Siège. C’est surtout d’elle qu’on a pu dire, à chacune des pages de son histoire : Sacerdotium et regnum cum inter se consentiunt, bene regitur mundus. Cum autem non concordant, non tantum parvae res non crescunt, sed etiam magnae miserabiliter delabuntur.

J’ai tout fait, dans la mesure de mes forces et de mon intelligence, pour maintenir cette concorde si désirable. Je puis dire en vérité que j’en meurs, car la maladie qui me conduit au tombeau est la conséquence des fatigues surhumaines que je me suis imposées, l’été dernier, à Rome et à Paris, pour empêcher une rupture éclatante que tout semblait rendre inévitable. Et là, je travaillais encore plus, dans un sens, pour ma pauvre et chère patrie que pour l’Église. Car l’Église a des assurances d’immortalité, mais la France n’a d’autres promesses que celles que la Providence a faites aux nations de la terre, et elle a contre elle, hélas ! la menace divine : Omnis civitas contra se divisa non stabit.

Oh ! si je pouvais lui parler encore du fond de ma tombe ! Si je pouvais, avec ce désintéressement de toutes choses qui est le propre de la vie à venir, lui représenter une dernière fois, comme je l’ai fait souvent à ceux qui la gouvernent, ce qui peut lui donner la paix ! Je la vois avec une amère douleur descendre chaque jour du rang de puissance et d’honneur où l’avaient placée, dans le monde, la foi et les vertus de nos pères, la politique sage et persévérante de nos rois.

Je ne parle pas de son régime intérieur. Je ne me suis jamais mêlé à l’action et surtout aux passions des partis. Ma vie s’est écoulée presque tout entière au dehors, depuis que j’ai âge d’homme. C’est là que j’ai pu juger de sa décadence, et que j’ai vu, à mesure qu’elle abandonne sa foi et ses traditions, sa voix être moins écoutée et son nom moins respecté.

La France va-t-elle finir ? Dieu va-t-il lui retirer sa mission qu’il lui avait confiée, de défendre et de protéger généreusement dans le monde la justice et la vérité ? Ma prière suprême est que ce malheur lui soit épargné. Mais qu’est-ce que la prière d’un homme devant la justice de Dieu ?

C’est à toi que je viens maintenant, ô ma chère Afrique ! Je t’avais tout sacrifié, il y a dix-sept ans, lorsque, poussé par une force intérieure, qui était visiblement celle de Dieu, j’ai tout quitté pour me donner à ton service. Depuis, que de traverses, que de fatigues, que de peines !… Je ne les rappelle que pour pardonner et pour exprimer encore une fois mon indicible espérance de voir la portion de ce grand continent, qui a connu autrefois la religion chrétienne, revenir pleinement à la lumière ; et celle qui est restée plongée dans la barbarie, sortir de ses ténèbres et de sa mort.

C’est à cette œuvre que j’avais consacré ma vie. Mais qu’est-ce qu’une vie d’homme pour une semblable entreprise ? A peine ai-je pu ébaucher ce travail. Je n’ai été que la voix du désert appelant ceux qui doivent y tracer les routes à l’Évangile. Je meurs donc sans avoir pu faire autre chose pour toi que souffrir, et, par mes souffrances, te préparer des apôtres !

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