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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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A Monsieur le Comte de Caramain.
Satyre II.
Comte de qui l’esprit penetre l’Vniuers,
Soigneus de ma fortune, & facille à mes vers,
Cher soucy de la muse, & sa gloire future,
Dont l’aimable genie, & la douce nature
Faict voir inaccessible aus efforts medisans
Que Vertu n’est pas morte en tous les courtisans,
Bien que foible, & debille, & que mal recongnuë
Son Habit décousu la montre à deminuë,
Qu’elle ait séche la chair, le corps amenuisé,
Et serue à contre-cœur le vice auctorisé,
Le vice qui Pompeus tout merite repousse,
Et va comme vn banquier en carrosse & en housse.
Mais c’est trop sermoné de vice, & de vertu :
Il faut suiure vn sentier qui soit moins rebatu,
Et conduit d’Apollon recognoistre la trace
Du libre Iuuenal, trop discret est Horace
Pour vn homme piqué, ioint que la passion
Comme sans iugement, est sans discretion :
Cependant il vaut mieux sucrer nostre moutarde :
L’homme pour vn caprice est sot qui se hazarde.
Ignorez donc l’auteur de ces vers incertains,
Et comme enfans trouuez qu’ils soient fils de putains,
Exposez en la ruë, à qui mesme la mere
Pour ne se descouurir faict plus mauuaise chere.
Ce n’est pas que ie croye en ces tans effrontez
Que mes vers soient sans pere, & ne soient adoptez,
Et que ces rimasseurs pour faindre vne abondance,
N’approuuent impuissans vne fauce semance :
Comme noz citoyens de race desireux
Qui berçent les enfans qui ne sont pas à eus.
Ainsi tirant profit d’vne fauce doctrine,
S’ils en sont accusez ils feront bonne mine,
Et voudront le niant qu’on lise sur leur front
S’il se fait vn bon vers que c’est eus qui le font,
Ialous d’vn sot honneur, d’vne batarde gloire,
Comme gens entenduz s’en veullent faire accroire,
A faus titre insolens, & sans fruict hazardeus,
Pissent au benestier affin qu’on parle d’eus.
Or auecq’ tout cecy le point qui me console
C’est que la pauureté comme moy les affolle,
Et que la grace à Dieu Phœbus & son troupeau
Nous n’eusmes sur le dos iamais vn bon manteau.
Aussi lors que lon voit vn homme par la ruë,
Dont le rabat est sale, & la chausse rompuë,
Ses gregues aus genous, au coude son pourpoint,
Qui soit de pauure mine, & qui soit mal en point,
Sans demander son nom on le peut recognoistre,
Car si ce n’est vn Poëte au moins il le veut estre.
Pour moy si mon habit par tout cycatrisé
Ne me rendoit du peuple & des grands mesprisé,
Ie prendrois patience, & parmy la misere
Ie trouuerois du goust, mais ce qui doit deplaire
A l’homme de courage, & d’esprit releué,
C’est qu’vn chacun le fuit ainsi qu’vn reprouué,
Car en quelque façon, les malheurs sont propices,
Puis les gueus en gueusant trouuent maintes delices,
Vn repos qui s’egaye en quelque oysiueté.
Mais ie ne puis patir de me voir reietté ;
C’est donc pourquoy si ieune abandonnant la France
I’allay vif de courage, & tout chaud d’esperance
En la cour d’vn Prelat, qu’auecq’ mille dangers
I’ay suiuy courtisan aux païs estrangers.
I’ay changé mon humeur, alteré ma nature,
I’ay beu chaud, mangé froid, i’ay couché sur la dure,
Ie l’ay sans le quitter à toute heure suiuy,
Donnant ma liberté ie me suis asseruy,
En publiq’ à l’Eglise, à la chambre, à la table,
Et pense auoir esté maintefois agreable.
Mais instruict par le temps à la fin i’ay cogneu
Que la fidelité n’est pas grand reuenu,
Et qu’à mon tans perdu sans nulle autre esperance
L’honneur d’estre suiect tient lieu de recompanse,
N’ayant autre interest de dix ans ia passez
Sinon que sans regret ie les ay despensez.
Puis ie sçay quant à luy qu’il a l’ame Royalle,
Et qu’il est de Nature & d’humeur liberalle.
Mais, ma foy, tout son bien enrichir ne me peut,
Ny domter mon malheur si le ciel ne le veut.
C’est pourquoy sans me plaindre en ma deconuenuë
Le malheur qui me suit, ma foy ne diminuë,
Et rebuté du sort ie m’asserui pourtant,
Et sans estre auancé ie demeure contant
Sçachant bien que fortune est ainsi qu’vne louue
Qui sans chois s’abandonne au plus laid qu’elle trouue,
Qui releue vn pedant, de nouueau baptisé,
Et qui par ses larcins se rend authorisé,
Qui le vice ennoblit, & qui tout au contraire
Raualant la vertu la confinne en misere.
Et puis ie m’iray plaindre apres ces gens icy ?
Non ; l’exemple du temps n’augmante mon soucy.
Et bien qu’elle ne m’ait sa faueur departie
Ie n’entends quant à moy de la prendre à partie :
Puis que selon mon goust son infidelité
Ne donne, & n’oste rien à la felicité.
Mais que veus tu qu’on fasse en ceste humeur austere ?
Il m’est comme aux putains mal aisé de me taire.
Il m’en faut discourir de tort & de trauers,
Puis souuent la colere engendre de bons vers.
Mais, Conte, que sçait-on ? elle est peut estre sage,
Voire auecque raison, inconstante, & volage,
Et Deésse auisée aux biens qu’elle depart
Les adiuge au merite, & non point au hazard.
Puis lon voit de son œil, lon iuge de sa teste,
Et chacun à son dire a droit en sa requeste :
Car l’amour de soy-mesme, & nostre affection,
Adiouste auec vsure à la perfection.
Tousiours le fond du sac ne vient en euidence,
Et bien souuent l’effet contredit l’apparance ;
De Socrate à ce point l’arrest est mi-party,
Et ne sçait on au vray qui des deux a menty,
Et si philosophant le ieune Alcibiade
Comme son Cheualier en reçeut l’accolade.
Il n’est à decider rien de si mal-aisé,
Que sous vn sainct habit le vice deguisé.
Par ainsi i’ay doncq’ tort, & ne doy pas me plaindre,
Ne pouuant par merite autrement la contraindre
A me faire du bien, ny de me departir
Autre chose à la fin sinon qu’vn repentir.
Mais quoy, qu’y feroit-on, puis qu’on ne s’ose pendre ?
Encor’ faut-il auoir quelque chose où se prendre,
Qui flate en discourant le mal que nous sentons.
Or laissant tout cecy retourne à nos moutons,
Muse, & sans varier dy nous quelques sornettes,
De tes enfans bastards ces tiercelets des Pœtes,
Qui par les carefours vont leurs vers grimassans,
Qui par leurs actions font rire les passans,
Et quand la faim les poind se prenant sur le vostre
Comme les estourneaux ils s’affament l’vn l’autre.
Cepandant sans souliers, ceinture, ny cordon,
L’œil farouche, & troublé, l’esprit à l’abandon,
Vous viennent acoster comme personnes yures,
Et disent pour bon-iour, Monsieur ie fais des liures,
On les vent au Palais, & les doctes du tans
A les lire amusez, n’ont autre passetans.
De là sans vous laisser importuns ils vous suiuent,
Vous alourdent de vers, d’alaigresse vous priuent,
Vous parlent de fortune, & qu’il faut acquerir
Du credit, de l’honneur, auant que de mourir,
Mais que pour leur respect l’ingrat siecle où nous sommes,
Au pris de la vertu n’estime point les hommes ;
Que Ronsard, du Bellay viuants ont eu du bien,
Et que c’est honte au Roy de ne leur donner rien,
Puis sans qu’on les conuie ainsi que venerables,
S’assiessent en Prelats les premiers à vos tables,
Où le caquet leur manque, & des dents discourant,
Semblent auoir des yeux regret au demourant.
Or la table leuée ils curent la machoire :
Apres graces Dieu beut, ils demandent à boire,
Vous font vn sot discours, puis au partir de là,
Vous disent, mais Monsieur, me donnez vous cela ?
C’est tousiours le refrein qu’ils font à leur balade.
Pour moy ie n’en voy point que ie n’en sois malade.
I’en perds le sentiment du corps tout mutilé,
Et durant quelques iours i’en demeure opilé.
Vn autre renfroingné, resueur, melancolique,
Grimassant son discours semble auoir la colique,
Suant, crachant, toussant, pensant venir au point :
Parle si finement que l’on ne l’entend point.
Vn autre ambitieux pour les vers qu’il compose,
Quelque bon benefice en l’esprit se propose,
Et dessus vn cheual, comme vn singe attaché
Meditant vn sonnet, medite vne Euesché.
Si quelqu’vn comme moy leurs ouurages n’estime,
Il est lourd, ignorant, il n’ayme point la rime,
Difficille, hargneux, de leur vertu ialoux,
Contraire en iugement au commun bruit de tous,
Que leur gloire il derobe, auecq’ ses artifices.
Les Dames cependant se fondent en delices
Lisant leurs beaux escrits, & de iour & de nuit
Les ont au cabinet sous le cheuet du lict,
Que portez à l’Eglise ils valent des matines,
Tant selon leurs discours leurs œuures sont diuines.
Encore apres cela ils sont enfants des Cieux,
Ils font iournellement carousse auecq’ les Dieux :
Compagnons de Minerue, & confis en science,
Vn chacun d’eux pense estre vne lumiere en France.
Ronsard fay-m’en raison, & vous autres esprits
Que pour estre viuans en mes vers ie n’escris,
Pouuez vous endurer que ces rauques Cygalles
Egallent leurs chansons à voz œuures Royalles,
Ayant vostre beau nom lachement dementy ?
Ha ! c’est que nostre siecle est en tout peruerty :
Mais pourtant quelque esprit entre tant d’insolence
Sçait trier le sçauoir d’auecque l’ignorance,
Le naturel de l’art, & d’vn œil auisé
Voit qui de Calliope est plus fauorisé.
Iuste postérité à tesmoing ie t’apelle,
Toy qui sans passion, maintiens l’œuure immortelle,
Et qui selon l’esprit, la grace & le sçauoir,
De race en race au peuple vn ouurage fais voir,
Vange ceste querelle, & iustement separe
Du Cigne d’Apollon la corneille barbare
Qui croassant par tout d’vn orgueil effronté
Ne couche de rien moins que l’immortalité.
Mais Comte que sert-il d’en entrer en colere ?
Puisque le tans le veut nous n’y pouuons rien faire,
Il faut rire de tout, aussi bien ne peut-on
Changer chose en Virgile, ou bien l’autre en Platon.
Quel plaisir penses-tu, que dans l’ame ie sente,
Quand l’vn de ceste troupe en audace insolente,
Vient à Vanues à pied, pour grimper au coupeau
Du Parnasse François, & boire de son eau,
Que froidement reçeu, on l’escoute à grand peine,
Que la Muse en groignant luy deffend sa fontaine,
Et se bouchant l’oreille au reçit de ses vers,
Tourne les yeux à gauche, & les lit de trauers,
Et pour fruit de sa peine aux grands vens dispersée,
Tous ses papiers seruir à la chaire percée ?
Mais comme eux ie suis Pœte, & sans discretion
Ie deuiens importun auecq’ presomption.
Il faut que la raison retienne le caprice,
Et que mon vers ne soit qu’ainsi qu’vn exercice,
Qui par le iugement doit estre limité
Selon que le requiert ou l’age, ou la santé.
Ie ne sçay quel Demon m’a fait deuenir Pœte :
Ie n’ay comme ce Grecq des Dieux grand interprete
Dormy sur Helicon, où ces doctes mignons
Naissent en vne nuict comme les champignons,
Si ce n’est que ces iours allant à l’auanture
Resuant comme vn oyson qu’on mene à la pature,
A Vanues i’arriuay, où suiuant maint discours,
On me fit au iardin faire cinq ou six tours,
Et comme vn Conclauiste entre dans le conclaue,
Le sommelier me prit, & m’enferme en la caue,
Où beuuant, & mangeant ie fis mon coup d’essay,
Et où si ie sçay rien, i’apris ce que ie sçay.
Voyla ce qui m’a fait & Poëte, & Satyrique,
Reglant la medisance à la façon antique.
Mais à ce que ie voy sympatisant d’humeur,
I’ay peur que tout à fait ie deuiendray rimeur,
I’entre sur ma loüange, & bouffi d’arrogance,
Si ie n’en ay l’esprit i’en auray l’insolence.
Mais retournons à nous, & sages deuenus
Soyons à leurs depens vn peu plus retenus.
Or Comte, pour finir ly doncq’ ceste Satyre,
Et voy ceux de ce temps que ie pince sans rire,
Pendant qu’à ce printemps retournant à la cour
I’iray reuoir mon maistre, & luy dire bon iour.
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