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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index

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Satyre.

N’avoir crainte de rien, & ne rien espérer,
Amy, c’est ce qui peut les hommes bien-heurer ;
I’ayme les gens hardis, dont l’ame non commune,
Morgant les accidens, fait teste à la fortune,
Et voyant le soleil de flamme reluisant,
La nuit au manteau noir les Astres conduisant,
La Lune se masquant de formes differentes,
Faire naître les mois en ses courses errantes,
Et les Cieux se mouvoir par ressorts discordans,
Les vns chauds tempérez, & les autres ardens,
Qui ne s’emouvant point, de rien n’ont l’ame attainte,
Et n’ont en les voyant, esperance ni crainte.
Mesme si pesle mesle avec les Elemens,
Le Ciel d’airain tomboit iusques aux fondemens,
Et que tout se froissast d’vne étrange tempeste,
Les esclats sans frayeur leur frapperoyent la teste,
Combien moins les assauts de quelque passion
Dont le bien & le mal n’est qu’vne opinion ?
Ni les honneurs perdus, ni la richesse acquise,
N’auront sur son esprit, ni puissance, ni prise.
Dy moy, qu’est-ce qu’on doit plus cherement aymer
De tout ce que nous donne ou la Terre ou la Mer ?
Ou ces grans Diamans, si brillans à la veuë,
Dont la France se voit à mon gré trop pourveuë,
Ou ces honneurs cuisans, que la faveur depart
Souvent moins par raison, que non pas par hazard,
Ou toutes ces grandeurs apres qui l’on abbaye,
Qui font qu’vn President dans les procés s’égaye.
De quel œil, trouble, ou clair, dy-moy, les doit-on voir,
Et de quel appetit au cœur les recevoir ?
Ie trouue, quant à moy, bien peu de difference
Entre la froide peur, & la chaude espérance,
D’autant que mesme doute également assaut
Nostre esprit qui ne sçait au vray ce qu’il luy faut.
Car estant la Fortune en ses fins incertaine,
L’accident non prévû nous donne de la peine ;
Le bien inesperé nous saisit tellement,
Qu’il nous gele le sang, l’ame & le jugement,
Nous fait fremir le cœur, nous tire de nous-mesmes ;
Ainsi diversement saisis des deux extremes,
Quand le succés du bien au desir n’est égal,
Nous nous sentons troublez du bien comme du mal,
Et trouvant mesme effet en vn sujet contraire,
Le bien fait dedans nous ce que le mal peut faire.
Or donc, que gagne-t-on de rire, ou de pleurer ?
Craindre confusement, bien, ou mal esperer ?
Puisque mesme le bien excedant notre attente,
Nous saisissant le cœur, nous trouble, & nous tourmente,
Et nous desobligeant nous mesme en ce bon-heur,
La ioie & le plaisir nous tient lieu de douleur.
Selon son roolle, on doit iouër son personnage,
Le bon sera méchant, insensé l’homme sage,
Et le prudent sera de raison devestu,
S’il se monstre trop chaud à suivre la vertu ;
Combien plus celuy-la dont l’ardeur non commune
Eléve ses desseins jusqu’au Ciel de la Lune,
Et se privant l’esprit de ses plus doux plaisirs,
A plus qu’il ne se doit, laisse aller ses desirs ?
Va donc, & d’vn cœur sain voyant le Pont-au-change,
Desire l’or brillant sous mainte pierre étrange ;
Ces gros lingots d’argent, qu’à grans coups de marteaux,
L’art forme en cent façons de plats, & de vaisseaux ;
Et deuant que le iour aux gardes se découvre,
Va, d’vn pas diligent, à l’Arcenac, au Louvre ;
Talonne vn President, suy-le comme vn valet,
Mesme, s’il est besoin, estrille son mulet,
Suy jusques au Conseil les Maistres des Requestes,
Ne t’enquiers curieux s’ils sont hommes ou bestes,
Et les distingues bien, les vns ont le pouvoir
De iuger finement vn proces sans le voir ;
Les autres comme Dieux pres le soleil résident,
Et Demons de Plutus, aux finances president,
Car leurs seules faveurs peuuent, en moins d’vn an,
Te faire devenir Chalange, ou Montauban.
Ie veux encore plus, démembrant ta Province,
Ie veux, de partisan que tu deviennes Prince.
Tu seras des Badauts en passant adoré,
Et sera iusqu’au cuir ton carosse doré ;
Chacun en ta faveur mettra son espérance,
Mille valets sous toy desoleront la France,
Tes logis tapissés en magnifique arroy,
D’éclat aveugleront ceux-la mesmes du Roy.
Mais si faut-il, enfin, que tout vienne à son conte,
Et soit auec l’honneur, ou soit auec la honte,
Il faut, perdant le jour, esprit, sens, & vigueur,
Mourir comme Enguerand, ou comme Iacques Cœur,
Et descendre la-bas, où, sans choix de personnes,
Les escuelles de bois s’égalent aux Couronnes.
En courtisant pourquoy perdrois-ie tout mon temps,
Si de bien & d’honneur mes esprits sont contens ?
Pourquoy d’ame & de corps, faut-il que ie me peine,
Et qu’estant hors du sens, aussi bien que d’haleine,
Ie suiue vn financier, soir, matin, froid, & chaud,
Si i’ay du bien pour viure autant comme il m’en faut ?
Qui n’a point de procés, au Palais n’a que faire,
Vn President pour moy n’est non plus qu’vn notaire,
Ie fais autant d’état du long comme du court,
Et mets en la Vertu ma faveur, & ma Court.
Voilà le vray chemin, franc de crainte & d’envie,
Qui doucement nous meine à cette heureuse vie,
Que parmy les rochers & les bois desertez,
Ieusne, veille, oraison, & tant d’austeritez,
Les Hermites iadis, ayant l’Esprit pour guide,
Chercherent si longtemps dedans la Thebaïde.
Adorant la Vertu, de cœur, d’ame, & de foy,
Sans la chercher si loin, chacun l’a dedans soy,
Et peut, comme il luy plaist, luy donner la teinture,
Artisan de sa bonne ou mauvaise aventure.
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