← Retour

Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index

16px
100%

Satyre XIIII.

I’ay pris cent & cent fois la lanterne en la main
Cherchant en plain midy parmy le genre humain,
Vn homme qui fust homme & de faict & de mine
Et qui peust des vertus passer par l’estamine :
Il n’est coing & recoing que ie n’aye tanté
Depuis que la nature icy bas m’a planté.
Mais tant plus ie me lime & plus ie me rabote,
Ie croy qu’à mon aduis tout le monde radote,
Qu’il a la teste vuide & sans dessus dessous
Ou qu’il faut qu’au rebours ie sois l’vn des plus fous.
C’est de nostre folie vn plaisant stratagesme,
Se flattant de iuger les autres par soy-mesme.
Ceux qui pour voyager s’embarquent dessus l’eau,
Voyent aller la terre & non pas leur vaisseau,
Peut estre ainsi trompé que faucement ie iuge,
Toutesfois si les fous ont leur sens pour refuge,
Ie ne suis pas tenu de croire aux yeux d’autruy.
Puis, i’en sçay pour le moins autant ou plus que luy.
Voylà fort bien parlé si l’on me vouloit croire,
Sotte presomption vous m’enyurez sans boire.
Mais apres en cherchant auoir autant couru
Qu’aux Auans de Noel fait le Moyne Bourru,
Pour retrouuer vn homme enuers qui la Satyre
Sans flater, ne trouuast que mordre & que redire,
Qui sceust d’vn chois prudent toute chose éplucher,
Ma foy si ce n’est vous ie n’en veux plus chercher.
Or ce n’est point pour estre esleué de fortune,
Aux sages comme aux fous c’est chose assez commune,
Elle auance vn chacun sans raison & sans chois,
Les fous sont aux echets les plus proches des Roys.
Aussi mon iugement sur cela ne se fonde,
Au compas des grandeurs ie ne iuge le monde,
L’esclat de ces clinquans ne m’esblouit les yeux,
Pour estre dans le Ciel ie n’estime les Dieux,
Mais pour s’y maintenir & gouuerner de sorte
Que ce tout en deuoir reglement se comporte,
Et que leur prouidence egallement conduit
Tout ce que le Soleil en la terre produit.
Des hommes tout ainsi ie ne puis recognoistre
Les grans : mais bien ceux là qui meritent de l’estre,
Et de qui le merite indomtable en vertu,
Force les accidens & n’est point abatu,
Non plus que de farceurs ie n’en puis faire conte.
Ainsi que l’vn descend on voit que l’autre monte,
Selon ou plus ou moins que dure le roollet,
Et l’habit faict sans plus le maistre ou le vallet.
De mesme est de ces gens dont la grandeur se ioüe,
Auiourd’huy gros, enflez sur le haut de la roüe,
Ilz font vn personnage, & demain renuersez,
Chacun les met au rang des pechez effacez.
La faueur est bizarre, à traitter indocille,
Sans arrest, inconstante, & d’humeur difficille,
Auecq’ discretion il la faut carasser :
L’vn la perd bien souuent pour la trop embrasser,
Ou pour s’y fier trop, l’autre par insolence,
Ou pour auoir trop peu ou trop de violence,
Ou pour se la promettre ou se la desnier,
En fin c’est vn caprice estrange à manier,
Son Amour est fragile & se rompt comme verre,
Et faict aux plus Matois donner du nez en terre.
Pour moy ie n’ay point veu parmy tant d’auancez,
Soit de ces temps icy, soit des siecles passez,
Homme que la fortune ayt tasché d’introduire,
Qui durant le bon vent ait sceu se bien conduire.
Or d’estre cinquante ans aux honneurs esleué,
Des grands & des petits dignement approuué,
Et de sa vertu propre aux malheurs faire obstacle,
Ie n’ay point veu de sots auoir faict ce miracle.
Aussi pour discerner & le bien & le mal,
Voir tout, congnoistre tout, d’vn œil tousiours égal,
Manier dextrement les desseins de nos Princes,
Respondre à tant de gens de diuerses Prouinces,
Estre des estrangers pour Oracle tenu,
Preuoir tout accident auant qu’estre aduenu,
Destourner par prudence vne mauuaise affaire,
Ce n’est pas chose aysée ou trop facille à faire.
Voilà comme on conserue auecq’ le iugement
Ce qu’vn autre dissipe & perd imprudemment :
Quand on se brusle au feu que soi mesme on attise,
Ce n’est point accident, mais c’est vne sottise.
Nous sommes du bon-heur de nous mesme artisans
Et fabriquons nos iours ou fascheux ou plaisans,
La fortune est à nous & n’est mauuaise ou bonne
Que selon qu’on la forme ou bien qu’on se la donne.
A ce point le mal-heur amy comme ennemy,
Trouuant au bord d’vn puis vn enfant endormy,
En risque d’y tomber à son ayde s’auance
Et luy parlant ainsi, le resueille & le tance :
Sus badin leuez-vous : si vous tombiez dedans,
De douleur vos parens comme vous imprudens,
Croyant en leur esprit que de tout ie dispose,
Diroient en me blasmant que i’en serois la cause.
Ainsi nous seduisant d’vne fauce couleur,
Souuent nous imputons nos fautes au mal-heur
Qui n’en peut mais, mais quoy ! l’on le prend à partie,
Et chacun de son tort cherche la garantie.
Et nous pensons bien fins, soit veritable ou faux,
Quand nous pouuons couurir d’excuses nos defaux :
Mais ainsi qu’aux petis aux plus grands personnages
Sondez tout iusqu’au fond, les fous ne sont pas sages.
Or c’est vn grand chemin iadis assez frayé,
Qui des rimeurs François ne fut oncq’ essayé,
Suiuant les pas d’Horace entrant en la carriere,
Ie trouue des humeurs de diuerse maniere,
Qui me pourroient donner subiect de me mocquer,
Mais qu’est-il de besoin de les aller chocquer ?
Chacun ainsi que moy sa raison fortifie,
Et se forme à son goust vne philosophie,
Ils ont droit de leur cause & de la contester,
Ie ne suis chicanneur & n’aime à disputer.
Gallet a sa raison, & qui croira son dire,
Le hazard pour le moins luy promet vn Empire,
Toutesfois au contraire, estant leger & net,
N’ayant que l’esperance & trois dez au cornet,
Comme sur vn bon fond de rente ou de receptes
Dessus sept ou quatorze il assigne ses debtes,
Et trouue sur cela qui luy fournit dequoy :
Ils ont vne raison qui n’est raison pour moy,
Que ie ne puis comprendre, & qui bien l’examine :
Est-ce vice ou vertu qui leur fureur domine ?
L’vn alléché d’espoir de gaigner vingt pour cent,
Ferme l’œil à sa perte, & librement consent
Que l’autre le despouille & ses meubles engage,
Mesmes s’il est besoin baille son heritage.
Or le plus sot d’entre eux, ie m’en rapporte à luy,
Pour l’vn il perd son bien, l’autre celuy d’autruy,
Pourtant c’est vn traficq qui suit tousiours sa route,
Où bien moins qu’à la place on a fait banqueroute,
Et qui dans le brelan se maintient brauement,
N’en desplaise aux arrests de nostre Parlement.
Pensez vous sans auoir ces raisons toutes prestes,
Que le Sieur de Prouins persiste en ses requestes,
Et qu’il ait sans espoir d’estre mieux à la Court,
A son long balandran changé son manteau court,
Bien que depuis vingt ans sa grimace importune
Ayt à sa desfaueur obstiné la fortune.
Il n’est pas le Cousin qui n’ait quelque raison,
De peur de reparer, il laisse sa maison,
Que son lict ne defonce, il dort dessus la dure,
Et n’a, crainte du chaud, que l’air pour couuerture :
Ne se pouuant munir encontre tant de maux
Dont l’air intemperé faict guerre aux animaux,
Comme le chaud, le froid, les frimas & la pluye,
Et mil autres accidens, bourreaux de nostre vie,
Luy selon sa raison souz eux il s’est sousmis,
Et forçant la Nature il les a pour amis.
Il n’est point enreumé pour dormir sur la terre,
Son poulmon enflammé ne tousse le caterre,
Il ne craint ny les dents ny les defluctions
Et son corps a tout sain libres ses fonctions,
En tout indifferent tout est à son vsage,
On dira qu’il est foux ie croy qu’il n’est pas sage,
Que Diogene aussi fust vn foux de tout point,
C’est ce que le Cousin comme moy ne croit point.
Ainsi ceste raison est vne estrange beste,
On l’a bonne selon qu’on a bonne la teste,
Qu’on imagine bien du sens comme de l’œil,
Pour grain ne prenant paille, ou Paris pour Corbeil.
Or suiuant ma raison & mon intelligence,
Mettant tout en auant & soin & diligence,
Et criblant mes raisons pour en faire vn bon chois,
Vous estes à mon gré l’homme que ie cherchois :
Afin doncq’ qu’en discours le temps ie ne consomme,
Ou vous estes le mien, ou ie ne veux point d’homme.
Qu’vn chacun en ait vn ainsi qu’il luy plaira,
Rozete nous verrons qui s’en repentira.
Vn chacun en son sens selon son chois abonde,
Or m’ayant mis en goust des hommes & du monde,
Reduisant brusquement le tout en son entier
Encor faut il finir par vn tour du mestier.
On dit que Iupiter Roy des Dieux & des hommes,
Se promenant vn iour en la terre où nous sommes,
Receut en amitié deux hommes apparens,
Tous deux d’age pareils, mais de mœurs differens,
L’vn auoit nom Minos, l’autre auoit nom Tantale :
Il les esleue au Ciel, & d’abord leur estale
Parmy les bons propos, les graces & les ris,
Tout ce que la faueur depart aux fauoris,
Ils mangeoient à sa table, aualoient l’ambrosie,
Et des plaisirs du Ciel souloient leur fantasie ;
Ils estoient comme chefs de son Conseil priué :
Et rien n’estoit bien fait qu’ils n’eussent approuué.
Minos eut bon esprit, prudent, accord & sage,
Et sceut iusqu’à la fin iouer son personnage,
L’autre fut vn langard, reuelant les secrets
Du Ciel & de son Maistre aux hommes indiscrets,
L’vn auecque prudence au Ciel s’impatronise,
Et l’autre en fut chassé comme vn peteux d’Eglise.
Chargement de la publicité...