Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
[70] Cette édition, très-rare pour ne pas dire introuvable, m’a été fort gracieusement communiquée par M. Henri Cherrier, qui m’a par son obligeance mis à même de donner d’abord le texte original de Macette, de relever les variantes des autres satires, & enfin de faire toutes les observations nécessaires pour la description d’un livre de grande valeur.
Jusqu’ici, comme on l’a vu, l’œuvre de Regnier s’est lentement accrue. En quatre années, de 1608 à 1612, trois satires seulement sont venues grossir l’œuvre du poëte chartrain. Cette gradation n’est point calculée. Elle est conforme à ce que nous savons du caractère du poëte. D’un autre côté, Regnier avait, en 1611, publié dans le Temple d’Apollon la plainte En quel obscur séjour, & l’ode Jamais ne pourray ie bannir. Telles étaient les manifestations officielles de son esprit. Au-dessous, dans le commerce intime des satiriques de profession, notre poëte produirait de petits poëmes libertins. Ces compositions clandestines restaient sous le voile de l’anonyme lorsqu’elles étaient publiées dans les recueils du temps. C’est ainsi que le Discours d’une maquerelle parut, en 1609, dans les Muses gaillardes sans nom d’auteur. D’autres pièces du même genre sont imprimées du vivant du poëte, qui répudie également toute paternité. Enfin, sous la date de 1613, une nouvelle édition des satires est donnée. Des fautes typographiques, des lacunes graves[71], des négligences de toute sorte, attestent une précipitation extraordinaire. De plus, cette réimpression comprend un pêle-mêle de pièces nouvelles, quatre satires, trois élégies, un sonnet, des stances libertines, une épigramme & des quatrains classés sans ordre avant le Discours au Roy, comme par un sentiment de fidélité dérisoire aux habitudes du poëte.
[71] Quatorze vers ont été omis dans la Macette, à partir de celui-ci :
Deux vers manquent également dans l’élégie intitulée Impuissance :
On a attribué ces vers aux Elzeviers, qui, pour compléter une pièce, n’auraient pas reculé devant une interpolation. Ces suppositions sont inexactes. Le premier vers se trouve dans les Délices de la Poésie françoise, de Beaudouin, Paris, 1620, II, 679, & le second est tiré de l’édition des Satyres de Regnier, Paris, Ant. du Breuil, 1614.
L’examen de cette édition, hâtivement exécutée, composée de morceaux disparates, & pour tout dire entièrement différente de celles qui l’ont précédée, amène à croire qu’elle a été donnée lorsque Regnier n’était plus. La mort seule du poëte pouvait permettre une réimpression sans soin & sans choix. De quelque façon qu’elle fût présentée, l’œuvre de Regnier tirait des derniers instants du défunt & de la cause même de sa fin un intérêt particulier[72]. Un autre motif d’urgence poussait Toussaint du Bray à mettre son nouveau livre en vente, le privilége du 13 avril 1608 allait expirer dans les premiers jours de 1614, il était opportun de précipiter la publication.
[72] L’insertion de l’ode la C. P. est une allusion non équivoque à la mort du poëte & vient corroborer l’opinion suivant laquelle l’édition de 1613 est une réimpression posthume.
On peut encore du fait suivant tirer une nouvelle preuve que l’édition de 1613 était regardée comme une édition posthume, accueillie avec réserve. En 1619, le libraire parisien Anthoine Estoc publia les poésies de Regnier. Il prit dans 1613 dix-sept satires, trois élégies, & le Discours au Roy qui termine le volume. Il laissa de côté les autres pièces qu’il savait avoir été ajoutées à l’œuvre du poëte défunt contrairement à ses intentions.
Il ne faudrait pas attribuer ces suppressions à d’autres scrupules, car Anthoine Estoc fut le premier éditeur du Parnasse satyrique. Il écarta donc les pièces libres de 1613, non par égard pour le lecteur, mais par respect pour la volonté de l’auteur.
D’autres particularités font connaître les auteurs de l’édition. La pléiade satirique, dont Regnier avait été l’étoile la plus brillante, se trouvait alors fort entamée : Sigognes était mort ; Berthelot & Motin restaient seuls ; Colletet, Frenicle & Théophile devaient renforcer le groupe un peu plus tard. Motin, ami de Regnier, lié avec Forquevaux & d’autres familiers du poëte, était à même de recueillir les œuvres inédites & les pièces anonymes qui, dans une réimpression des satires, semblaient un complément de l’œuvre déjà connue. Du reste, il possédait personnellement des morceaux dont il était redevable à son intimité avec Regnier. Il se mit donc à l’œuvre en hâte & un peu confusément, car il tira des œuvres de Passerat, imprimées en 1606, un sonnet, & il omit d’emprunter aux poésies de Rapin, publiées en 1610, au Temple d’Apollon, paru en 1611, les pièces que renfermaient ces divers ouvrages. D’autre part, soit qu’il fût mal servi par ses souvenirs ou qu’il eût été induit en erreur, il accueillait dans les quatrains celui que les manuscrits[73] attribuent à Théodore de Bèze :
[73] Bibl. nat. Fonds français, no 1662, fo 27.
Enfin il faisait entrer dans l’œuvre de Regnier les stances sur le Choix des divins oiseaux, boutade dont le véritable auteur lui était bien connu[74].
[74] Après la mort de Motin, cette pièce fut publiée sous son nom ; mais elle garda toujours sa place dans l’œuvre de Regnier. Il est probable que les deux poëtes commirent ensemble ce péché de plume.
De son côté, Berthelot ne restait pas inactif. Le moment lui paraissait venu d’ajouter à l’œuvre du maître l’œuvre des rimeurs qui se disaient ses élèves. Il s’agissait de dérober au poëte quelques rayons de sa gloire. On peut estimer que Motin se plia d’abord à ces desseins. La disposition des poésies de l’édition de 1613, le classement des pièces les moins importantes avant le Discours au Roy, qui délimite ainsi l’œuvre de Regnier de celle de ses imitateurs, ne pourraient pas s’expliquer sans une telle hypothèse.
Un titre général devait être imposé à cet assemblage répugnant. Il était ainsi conçu : Les Satyres du Sr Regnier, reueües, corrigées & augmentées de plusieurs Satyres des sieurs de Sigogne, Motin, Touvant & Berthelot, qu’autres des plus beaux esprits de ce temps. Tout était convenu, lorsqu’une rupture éclata entre Motin & Berthelot. La cause du désaccord échappe à toutes les investigations. Toussaint du Bray voulut peut-être se renfermer dans les termes stricts de son privilége & éviter tout risque de conflit avec Antoine du Breuil, son confrère, l’éditeur du livre des Muses gaillardes, dont une grosse partie entrait dans l’édition projetée. Quoi qu’il en soit, les poésies de Regnier parurent seules, &, après la mort de Motin, en 1616, Berthelot, réalisant enfin le plan formé trois ans auparavant, donna au public la réimpression collective des Satyres.
C’est de ce livre, apprécié à sa juste valeur par les bibliophiles du XVIIe siècle, comme on l’a vu plus haut par la lettre de Lhuillier[75], que l’on tire habituellement, sans motif sérieux qui en établisse l’authenticité, les épigrammes & les stances commençant par ces vers :
L’édition de 1616 offre encore une particularité. Elle a servi de modèle à toutes les réimpressions qui ont paru jusqu’à 1645. De 1616 à 1628, le nombre des pièces varie peu. A partir de 1623, il s’accroît de Stances au Roy, pour Théophile. Le volume sert de véhicule à des supplications en faveur de l’exilé. Ces poésies subsistent longtemps après qu’elles n’ont plus d’objet. Enfin, à compter de 1628, les poésies libertines sont, à chaque réimpression, éliminées par la volonté de la censure. Ainsi, en 1635 (Paris, N. & J. de la Coste), ces morceaux, qui s’élevaient primitivement à soixante & onze, sont réduits à trente-cinq.
En 1642, une nouvelle phase de publication commence. Des étrangers, les Elzeviers, faisant acte d’éditeurs français, dégagent l’œuvre de Regnier. Guidés par des savants & par des bibliophiles : les frères Dupuy, gardes de la Bibliothèque du Roi, l’avocat général Jérôme Bignon, le duc de Montausier & le chancelier Seguier[76], ils suppriment d’abord les satires que Berthelot avait jointes aux pièces de Regnier, & de celles-ci mêmes ils écartent les pièces douteuses ou répugnantes. Ils éliminent ainsi le quatrain du Dieu d’amour, les stances sur le Choix des divins oiseaux & l’ode sur la C. P. En même temps ils revisent, complètent & châtient le texte. Par exemple, à l’aide de l’édition des satires d’Ant. du Breuil (Paris, 1614) & du second livre des Délices de la poésie françoise (Paris, 1620), ils complètent la satire de l’Impuissance. Ils tirent du Temple d’Apollon & du Cabinet des Muses les stances En quel obscur séjour, l’ode Jamais ne pourray ie bannir & le dialogue de Cloris & Phylis. Des possesseurs de pièces inédites leur communiquent deux satires, une élégie[77] & des vers spirituels[78]. Enfin, sur des indications inexactes, ils font entrer dans l’œuvre du poëte une ode apocryphe intitulée Louanges de Macette[79].
[76] Voir les dédicaces placées en tête du Sénèque de 1639, du Commines de 1648 & des Lettres de Grotius ad Gallos, même année. Elles établissent les relations des Elzeviers & montrent la reconnaissance dont ils se sentaient pénétrés à l’égard de leurs protecteurs.
[77] Ces trois pièces commencent ainsi :
[78] Sous ce titre général se trouvent les stances Quand sur moy je jette les yeux, l’hymne sur la nativité de Notre-Seigneur, trois sonnets & le commencement d’un poëme sacré.
[79] Cette ode paraît avoir été prise des manuscrits de la Bibl. nat. F. fr. (ancien fonds de Mesmes), no 884, fo 194.
Ces améliorations évidentes ont entraîné à leur suite des perfectionnements douteux. Nous avons dit tout à l’heure que les Elzeviers avaient châtié le texte de Regnier. L’expression est juste. Le châtiment alla jusqu’à la torture. Toutes les expressions surannées, & en 1642 on pouvait en voir beaucoup dans les Satyres, furent rajeunies. Douloir & cuider firent place à s’affliger & à penser ; ici-bas fut substitué à çà bas. Les qualificatifs trop forts, hargneux, par exemple, furent adoucis. On choisit pour en tenir lieu le mot honteux, dont le sens est bien différent. Pour des raisons de méticuleuse pudeur, sade, qui dans Willon (Regr. de la B. H.) a donné sadinet, devint l’expression doucette ; plats, trop familier dans le sens de propos, fut considéré comme un synonyme de faits. Tous ces changements conduisirent à des contre-sens. Parler librement[80] fut mis pour parler livre ; des arts tout nouveaux sembla convenablement rendu par des airs tout nouveaux. Des vers, dont la quantité ne satisfaisait pas l’oreille, furent allongés d’une syllabe, le tout en dépit de la leçon de l’auteur & des traditions littéraires[81]. Des gens du monde, avec leurs vues sur les bienséances poétiques, s’étaient unis à des étrangers ignorans des intimités de la langue. On comprend ce que de tels alliés durent introduire de caprices & de maladresses dans les poésies de Regnier.
[80] Cette expression parler livre se rencontre chez Regnier en deux endroits, satires VII & XIII. Les Elzeviers, après avoir, en 1642, substitué au texte leur version, parler libre & librement, ont en 1652, mais seulement dans la satire VII, rétabli la leçon originale.
[81] Des altérations plus graves ont été commises dans le dialogue de Cloris & Phylis. Le vers
a été modifié de la sorte :
& le vers
& les trois suivants, rejetés huit vers plus loin, se trouvent intercalés contre toute raison dans une tirade à laquelle ils n’appartiennent point.
Le travail des Elzeviers, œuvre de fantaisie & de raison, s’accomplit lentement. La première réimpression due à leurs soins (selon la copie imprimée à Paris, CIↃ IↃ XLII.) parut quatre ans après que Jean Elzevier se fut établi à Paris. Elle ne comprend comme poésies nouvelles que les morceaux tirés du Temple d’Apollon. Mais on y remarque déjà les suppressions dont il a été fait mention, & les corrections qui ont été signalées plus haut. En 1545 Jean Elzevier, de retour en son pays, fut remplacé par son cousin Daniel, qui passa quatre années à Paris. C’est dans cet espace de temps assez court que furent recueillis les éléments de l’édition de 1652, donnée à Leiden, sous les noms de Jean & Daniel Elsevier. Cette dernière réimpression, grossie de morceaux importants, parmi lesquels, il est vrai, figurent à tort les Louanges de Macette, est une reconstitution précieuse de l’œuvre de notre premier satirique. Elle a été exécutée à l’étranger, & elle en porte la preuve en plus d’une page ; mais elle a été préparée par des bibliophiles parisiens, & nous pouvons la revendiquer comme un livre français.
Pendant plus d’un demi-siècle, l’édition de Jean & Daniel Elzevier servit de modèle aux réimpressions de Regnier. Mais le temps était arrivé des publications avec commentaires. Rabelais, Montaigne venaient de paraître accompagnés des notes de Le Duchat & de Coste, lorsqu’un avocat de Lyon, ex-échevin de cette ville, Brossette[82], entreprit de donner, avec des remarques critiques, un meilleur texte de Regnier. Le nouvel annotateur était un humaniste instruit & défiant de lui-même, ce qui n’est pas une mince qualité. Il n’épargna point ses peines & recourut à tous les érudits en renom de son temps. Lorsqu’il ne trouva pas de lui-même les éclaircissements qu’il jugeait nécessaires, il fit appel au savoir de La Monnoye & du président Bouhier[83]. D’autre part, il demandait au dessinateur Humblot un important frontispice, des vignettes & des fleurons qui furent gravés par N. Tardieu, Baquoy, Matthey & Crepy le fils, pour le titre & les principales divisions du volume. En même temps qu’une bonne édition, Brossette voulait publier un beau livre. Cet ouvrage parut donc en grand format vers la fin de 1729, à Londres[84], & non à Paris, comme le dit Brunet, sous la rubrique de Londres.
[82] Brossette avait publié en 1716 sa première édition de Boileau commencée sous les yeux de l’auteur. Quand le vieux poëte, écrivant à son commentateur, l’entretenait de Regnier, il ne manquait pas d’ajouter, notre commun ami. Cette appréciation intime vaut bien des éloges pompeux, & Brossette, en donnant au public une réimpression de Regnier, n’a probablement fait qu’exécuter une des volontés dernières du législateur du Parnasse.
[83] La correspondance du président Bouhier (manus. de la Bibl. nat. F. fr., 24,409, fo 391 à 395) contient quatre lettres de La Monnoye des 15 septembre 1726, 7 octobre 1729, 16 septembre & 2 décembre 1732. Toutes sont relatives à l’édition de Regnier, & à la contrefaçon de cet ouvrage par l’abbé Lenglet du Fresnoy. Je dois cette intéressante indication à l’obligeance de M. Tamizey de Larroque.
[84] Chez Lyon & Woodman, in-4o, XXII-403, plus trois feuillets de table & d’errata.
Dans ce volume, les poésies de Regnier étaient disposées suivant un ordre méthodique : satires, épîtres, élégies, poésies mêlées, épigrammes & poésies spirituelles. Le texte, corrigé à l’aide de l’édition de 1608, était accompagné d’éclaircissements historiques & de notes où les variantes & les imitations étaient indiquées avec soin. Sur certains points cependant, Brossette se contente trop facilement[85]. Il paraît n’avoir point connu l’édition de 1609, & il recueille des leçons de peu de valeur dans des réimpressions qui ne méritent aucun crédit[86].
[85] Quoique Brossette n’intervienne pas habituellement dans le texte de l’auteur, il a pris sur lui de modifier le vers
Le commentateur pensait que mouvans était une faute d’impression, & qu’il fallait écrire mourans. Or le mot employé par Regnier était bien l’expression à conserver. On en retrouve l’équivalent chez tous les poëtes qui mettent dans la bouche d’une vieille des critiques contre les amoureux dont une courtisane doit fuir le commerce :
(J. du Bellay, éd. Marty-Laveaux, II, 370.)
(De Lespine, Recueil des plus beaux vers de ce temps, 1609, p. 425.)
[86] Brossette a fait entrer comme pièces nouvelles, dans les poésies de Regnier, le sonnet sur la mort de Rapin, l’épitaphe recueillie par Garasse & l’épigramme contre Vialart tirée de l’Anti-Baillet.
Malgré ces imperfections, le commentaire de Brossette a été souvent reproduit[87] & il servit de modèle à M. Viollet-le-Duc[88] & à M. Ed. de Barthélemy[89]. L’édition même de 1729 a donné lieu à deux contrefaçons en 1730 & en 1733. La première, in-4o de 400 pages, plus deux feuillets de table, n’est qu’une simple réimpression donnée à Amsterdam, chez Pierre Humbert. Le frontispice & la vignette dessinés par Humblot pour le titre de l’ouvrage & l’en-tête des satires ont été grossièrement copiés, & ils portent pour unique signature celle du graveur Seiller Schafthus[90]. La fidélité de l’ornementation n’est pas allée au delà, mais l’obéissance typographique s’est étendue fort loin, car de la page XIII à la page 383, la contrefaçon ne diffère point de l’original. Il en est tout autrement de la réimpression de 1733, qui est une œuvre d’insigne tromperie[91]. L’anonyme auteur de ce livre s’est approprié l’avertissement de Brossette. Il y a intercalé un paragraphe où il s’excuse des lacunes de sa première édition & manifeste l’espoir que son nouvel ouvrage sera favorablement accueilli du public.
[87] Paris, Lequien, 1822, in-8o de 398 pp. ; Paris, Delahays, 1860, avec de nouvelles remarques par M. Prosper Poitevin.
[88] Paris, Didot, 1822 ; Desoer, 1823 ; Jannet, 1853.
[89] Paris, Poulet-Malassis, 1862.
Cette édition comprend trente-deux pièces nouvelles dont nous discuterons la valeur en examinant ci-après les manuscrits de la Bibliothèque nationale.
[90] Sur le titre même se trouve une vignette signée : Humblot inv. & Daudet fecit.
[91] Voici le titre exact de ce livre : « Satyres & autres œuvres de Regnier, accompagnées de remarques historiques. Nouvelle édition considérablement augmentée. A Londres, chez Jacob Tonson, libraire du Roy & du Parlement, M.DCC.XXXIII. »
Il forme un in-4o de XX-416 pp. plus deux feuillets de table. Les vers de Regnier sont suivis, p. 350, de stances sur les Proverbes d’amour, de l’ode sur le Combat de Regnier & de Berthelot, enfin de Poésies choisies des sieurs Motin, Berthelot & autres poëtes célèbres du temps de Regnier.
L’ornementation du volume a été très-soignée. Le titre fait face à un frontispice de Natoire gravé par L. Cars, & il porte lui-même une vignette de Cochin. Quatre vignettes formant fleurons pour les satires, les épîtres, les élégies & les poésies diverses, ont été également dessinées par Natoire & gravées par Cochin. Trois autres enfin signées de Bouché & de L. Cars complètent cet ensemble de figures, en tête de la dédicace des satires, & pp. XX, 53, 95, 108, 225, 231, 245, 284, 367 & 413. Enfin chaque page de texte est entourée d’un encadrement rouge qui ajoute à l’aspect du volume.
En dépit de cette supercherie, l’édition de 1733 fut rapidement reconnue pour l’œuvre d’un faussaire. Les pièces que l’auteur regrettait de n’avoir pas connues en 1729 étaient celles-là mêmes que les Elzeviers avaient éliminées de leurs réimpressions & d’autres poésies du même genre qui avaient été recueillies par les éditeurs du Cabinet satyrique. La trouvaille ne valait guère qu’on lui fît tant d’honneur. Elle était du nombre des conquêtes qui doivent être réalisées sans grand bruit. L’indiscrétion seule du nouvel éditeur dévoilait en lui des tendances étrangères à Brossette.
En conséquence, grâce au Cabinet satyrique[92] & à l’engouement de l’éditeur de 1733 pour ce recueil, la réimpression des œuvres de Regnier comprit de plus que la précédente : l’Ode sur une vieille maquerelle, p. 299 ; les Stances sur la Ch. P., p. 307 ; l’Ode sur le même sujet, p. 308 ; le Discours d’une vieille maquerelle, p. 315, & sept épigrammes : le Dieu d’amour, l’Amour est une affection, Magdelon n’est point difficile, Hier la langue me fourcha, Lorsque i’estois comme inutile, Dans un chemin & Lizette à qui l’on faisoit tort.
[92] L’édition du Mont-Parnasse, de l’imprimerie de messer Apollo, due à Lenglet du Fresnoy, est celle qui servit pour l’accroissement des poésies de Regnier. La comparaison des textes ne laisse aucun doute sur ce point.
Le manque de goût de l’éditeur se révéla d’une manière encore plus marquée dans le commentaire dont il crut devoir accompagner le texte de Regnier. Au lieu de compléter les remarques existantes à l’aide d’observations précises & véritablement neuves, il y ajouta des réflexions à double sens & hors de propos. Il s’abandonna sur le texte de l’auteur à des critiques dérisoires, & dans les notes de Brossette il intercala des digressions bouffonnes. Quelques exemples pris au hasard édifieront le lecteur sur cet ouvrage qui est par excellence un livre de mauvaise foi.
L’expression trousser les bras (S. I) ne paraît pas noble. Cette appréciation délicate est suivie d’une remarque moins relevée : « on trousse autre chose que les bras. »
Le mot semence (S. II) semble bien autrement répugnant. Voici l’arrêt qui frappe ce malheureux : « Expression qui ne doit pas entrer dans un discours qui peut être lu par des gens d’honneur. Tout au plus un médecin & un chirurgien en doivent-ils parler entre eux. »
Regnier s’était un jour plaint, dans sa deuxième satire,
mais il avait gardé sa foi à son maître, attendant avec patience, non la fortune, mais la récompense de ses services. Tant de désintéressement irrite le commentateur. Il s’emporte : « Regnier, écrit-il, avait tort d’être fidèle à outrance : ce n’est pas toujours le moyen sûr de s’avancer auprès des grands. Les voici donc, ces moyens : les servir dans des ministères agréables, mais secrets ; demander avec importunité ; se faire craindre de ceux que l’on approche, & les obliger par là d’acheter votre silence. J’ai connu des ministres…, il falloit leur montrer les dents pour les obliger à faire ce qu’on leur demandoit. Ainsi trêve de zèle avec les grands[93]. »
[93] L’édition de 1733 donne parfois de meilleures explications que celle de 1729 ; mais le cas est rare. Fustés de vers (S. IV), par exemple, que Brossette avait traduit par fournis de vers, est plus justement interprété par battus. Du reste dans la vieille langue du droit, fusté signifie bâtonné, fouetté de verges.
L’auteur de ces belles maximes, de ces remarques de bon goût était un intrigant de lettres & de cabinet, également porté pour vivre vers les travaux littéraires & les missions diplomatiques, l’abbé Lenglet du Fresnoy[94]. Ce qu’il fit pour Regnier, il le répéta neuf ans après pour le Journal de Henri IV qui avait été publié en 1732 par l’abbé d’Olivet. Enfin, il le renouvela plus tard encore dans sa réédition du Journal de Henri III.
[94] Voir sur ce curieux personnage Année littéraire, 1755, III, let. VI, p. 116, & les Mémoires pour servir à l’Histoire de la vie & des ouvrages de M. l’abbé Lenglet du Fresnoy. Londres & Paris, Duchesne, 1761.
Lenglet du Fresnoy ne se borna pas à s’approprier le travail de Brossette. Il voulut faire servir le nom du commentateur de Regnier à une odieuse vengeance. Ennemi de Jean-Baptiste Rousseau qu’il soupçonnait de l’avoir calomnié auprès du prince Eugène, il écrivit, pour la placer en tête de son édition de Regnier, une épître diffamatoire contre Rousseau. Celui-ci, averti à temps, obtint du marquis de Fénelon, ambassadeur en Hollande, la suppression de cette œuvre d’infamie. De son côté Brossette, par l’intervention du lieutenant général de police, reçut de l’abbé Lenglet une lettre d’excuses[95]. En conséquence, un carton fut placé en tête du Regnier, pp. III & IV, & l’imprimeur substitua à l’épître scandaleuse la dédicace au Roy qui, faisant suite à l’ode de Motin, ne fut pourtant point supprimée. Ainsi s’explique le double emploi que l’on remarque aujourd’hui dans tous les exemplaires de 1733.
[95] Ce curieux épisode d’histoire littéraire se trouve raconté bien au long dans les lettres de Rousseau, VI, 91 & 208, & dans celles de Brossette au président Bouhier, des 16 septembre & 2 décembre 1732.
Nous venons de passer en revue les diverses phases de l’histoire des éditions de Regnier. Nous nous sommes appliqué à délimiter exactement les périodes de publications. Il nous reste à faire connaître celles des poésies attribuées à Regnier qui ne peuvent trouver place dans une édition de ses œuvres parce qu’elles sont, les unes trop licencieuses & les autres manifestement apocryphes, la plupart enfin dépourvues d’une authenticité évidente.
Ces pièces se trouvent dans divers recueils imprimés & dans deux manuscrits de la Bibliothèque nationale.
Le premier de ces ouvrages est le Recueil des plus excellens vers satyriques de ce temps, trouvés dans les cabinets des sieurs de Sigognes, Regnier, Motin, qu’autres des plus signalés poëtes de ce siècle. A Paris, chez Anthoine Estoc, MDCXVII. In-12 de 222 pages. Ce volume contient de Regnier : le Dialogue de l’âme de Villebroche parlant à deux courtisanes, une des Marets du Temple & l’autre de l’Isle du Palais, & le Dialogue de Perrette parlant à la divine Macette[96].
[96] Ces deux pièces, la première de 21 strophes de 6 vers, & la deuxième de 25 strophes de même mesure, sont entrées avec le nom de Sigognes dans le Cabinet satyrique. Elles commencent par ces vers :
Perrette, si l’on en peut croire Tallemant, serait Mlle du Tillet (V. éd. in-8o, I, 191). Sigognes a écrit le combat d’Ursine (Mme de Poyane) & de Perrette (V. le Cab. sat., Rouen, 1627, p. 497).
Ces deux dialogues, attribués à Regnier par le Recueil d’Anthoine Estoc, se trouvent encore dans les dernières éditions des Bigarrures du Seigneur des Accords, livre III in fine, à la suite des Epitaphes.
D’autres pièces se rencontrent avec le nom de Regnier dans un recueil non moins rare que le précédent : les Délices satyriques ou suite du Cabinet des vers satyriques de ce temps, &c.[97] Paris, Anthoine de Sommaville, 1620. En dehors des épigrammes connues : l’Argent tes beaux jours, Quelque moine de par le monde & le Tombeau d’un Courtisan, ce sont des stances commençant par ce vers :
une satire contre une vieille courtisane :
& une épigramme nouvelle :
[97] Voir les Variétés bibliographiques de M. Édouard Tricotel. Paris, Gay, 1863, pp. 221 & suivantes.
[98] Ces trois pièces ont été reproduites dans le Parnasse satyrique, mais la dernière est anonyme.
Le dernier recueil imprimé où l’on rencontre des poésies sous le nom de Regnier est le Parnasse satyrique du sieur Théophile[99]. Il a fourni à M. Viollet-le-Duc les pièces dont il a grossi son édition des œuvres du poëte chartrain : les stances Si vostre œil tout ardant d’amour & de lumière, celles qui sont adressées à la belle Cloris & enfin la complainte Vous qui violentez. On peut encore y prendre ou du moins y lire les stances
& deux sonnets[101] commençant ainsi :
[99] Le Parnasse a paru en 1622. Voir la Doctrine curieuse, du P. Garasse, p. 321.
[100] D’après le manuscrit 122 fr. in-fo, B. L., de l’Arsenal, cette pièce serait de Théophile.
[101] Il y a dans le Parnasse satyrique, sous le nom de Regnier, un sonnet dont le premier vers est :
Ce poëme est faussement attribué à Regnier. Il figure en effet dans les écrits satiriques publiés contre le roi & ses mignons en 1578, & recueillis par L’Estoile. Voir les Mémoires Journaux, édit. Jouaust, 1875, I, 337.
Nous avons également écarté de la liste des Poésies de Regnier, suivant le Parnasse, les pièces qui dans ce recueil sont des réimpressions du Temple d’Apollon : Iamais ne pourray-ie bannir ; & des Délices satyriques. Voir plus haut, p. 97, Je ne suis pas & Encor que ton teint.
Après avoir signalé les poésies attribuées à Regnier dans les recueils dont il a été fait mention plus haut, notre devoir est d’indiquer les manuscrits où de semblables pièces peuvent se trouver. Il y en a trois, l’un est à l’Arsenal & les deux autres à la Bibliothèque Richelieu.
Le premier (Ars., manus. de Conrart, XVIIIe vol. in-4o, pp. 323 & 324) offre des attributions plus importantes qu’étendues. Elles éclaircissent un passage des satires en nous révélant la jalousie de Regnier contre du Perron[102] :
[102] C’est à l’obligeance de M. Tricotel que nous devons cette intéressante indication.
Desportes, protecteur de Regnier, avait été bien plus efficacement celui de du Perron. Après l’avoir converti au catholicisme, il en avait fait le lecteur, puis le confesseur d’Henri III. Peu à peu, l’abbé était devenu évêque d’Évreux & cardinal. Pendant cette brillante fortune, due à beaucoup d’audace dans la poésie & dans la politique, car du Perron, qui grossoyait des in-folio sur des questions diplomatiques, écrivait des sonnets & de petits vers pour les dames de la cour, Regnier attendait vainement un peu de bien. Aussi, quoiqu’il se soit rarement montré accessible à l’envie, n’a-t-il pu résister à la tentation qui poussait un satirique à se moquer d’un bel esprit gâté par le succès. Les trois épigrammes recueillies par Conrart ont pour objet un livre du cardinal : du Leger & du Pesant, ses traductions de Virgile & enfin ses infidélités amoureuses. La fantaisie scientifique de du Perron ne nous est point parvenue ; mais ses imitations des poëtes latins sont dans toutes les anthologies des premières années du XVIIe siècle, &, dans ces volumes mêmes, un lecteur attentif peut noter les évolutions galantes de l’abbé, digne élève de Desportes.
Les manuscrits de la Bibliothèque nationale diffèrent essentiellement de ceux qui viennent d’être cités. Le premier (no 884, fonds fr.)[103] a fait partie de la collection de Mesmes où il portait le no 163. C’est un in-folio de 347 ff., comprenant, avec un Sommaire discours de la Poésie, des odes, des stances, des sonnets & des épigrammes satiriques de toute provenance. Malgré l’excentricité libertine des pièces qui composent ce volume, il est facile de reconnaître qu’un copiste intelligent a été chargé de grouper tous ces poëmes. L’écriture élégante & nette est des premières années du XVIIe siècle. Les mesures du vers, les formes des mots sont exactement observées. Enfin, pour le critique le plus sévère, ce sottisier a la valeur d’un document. Les nudités de langage qu’il recèle ne sont pas seulement des esquisses de chronique littéraire, ce sont aussi des tableaux secrets de l’histoire de nos mœurs. Dans ce manuscrit, dont l’auteur s’est montré fort ménager d’attributions, le nom de Regnier figure (pp. 307 & 318) sous une pièce que nous connaissons déjà, l’épigramme
reproduite par P. Jannet dans son édition de 1867 (Paris, Picart), & les stances
[103] Ancien fonds. R., 7237.
Il se lit enfin (p. 105) au pied d’une ode satirique de dix-neuf strophes commençant par ce vers :
[104] Ce poëme a paru dans le Cabinet satyrique parmi les pièces attribuées à Sigognes. Cette restitution nous semble fort hasardée.
D’autres poésies de Regnier se rencontrent dans le même volume, mais elles ne sont pas signées. On trouve ainsi, ffos 251, 285 & 336, les épigrammes :
& de plus, fo 316, les stances
[105] A ces poésies anonymes il faut ajouter, ffos 127 & 130, les deux Dialogues mentionnés ci-dessus, p. 96 ; l’ode Belle & sauoureuse Macette, fo 194, &, fo 125, le Combat de Renyer & de Berthelot.
Le manuscrit 12491 (ancien no 4725 du supplt français) ne peut être comparé au précédent. Il a une origine incertaine, &, ce qui lui ôte encore plus de valeur, il est l’œuvre d’un scribe négligent & illettré. Les omissions, les non-sens & les fautes de langue sont accumulés dans ce grand in-folio[106]. Il semble que ce recueil ait été formé vers 1640 par quelque habitant du Blaisois. La plupart des pièces classées dans l’ordre de leur date embrassent une période de seize ans, de 1630 à 1656. Elles ont trait aux événements du jour, aux réjouissances locales. Il s’y trouve des vaudevilles contre les gens en vue, des stances contre le tabac & plusieurs ballets[107]. Parmi ces poésies, l’auteur du manuscrit a fait entrer un assez grand nombre de pièces intéressant la famille Hurault, notamment l’évêque de Chartres, le comte de Limours, le marquis de Rostaing, M. d’Esclimont & Mlle de Cheverny.
[106] Il renferme 642 pages & vingt feuillets liminaires d’une grosse écriture, de la même main de la première à la dernière pièce.
[107] Voir p. 110 le Ballet des Impériales & celui de la Naissance de Pantagruel, dansés à Blois en 1625 & 1626 par M. le comte de Limours & M. d’Esclimont, au temps du carnaval.
Voir aussi, p. 146, l’Entrée du ballet des Gredins, dansé à Cheverny, en 1637, par Mlle de Cheverny. Signalons encore, pp. 231 & 254, les vers sur un chien perdu, par le sieur Chesneau, domestique du marquis de Rostaing, 1646, & sur la maladie dudit marquis, en 1647, & enfin, p. 129, une pièce sur le bastiment & les yssues du chasteau de Cheverny, 1633.
Le prélat tient naturellement une grande place, & d’après les pièces recueillies en son honneur & le nom des poëtes qui les ont signées, on pourrait conclure que l’abbaye de Royaumont était une retraite ouverte aux poëtes maltraités par la fortune. Baïf le fils, Dameron paraissent avoir été les familiers de l’évêque. D’autres moins favorisés, Jourdain & Regnesson, attestent en leurs vers la bienveillance de leur Mécène.
Regnier occupe un rang à part dans le manuscrit[108]. Les poésies qui lui sont attribuées consistent surtout en lettres rimées pour l’évêque dans le genre de la dix-neuvième satire :
[108] Pages 45 à 60. On lit en tête de la première page : Plusieurs vers estant de suitte du sieur Regnier de différentes annees, qui n’ont esté imprimés dans ses œuvres & trouvés après sa mort.
Nous mentionnons, p. 8, pour mémoire, le huitain :
Elles sont au nombre de douze & commencent à partir de 1606[109], bien qu’il soit constant que l’auteur n’ait pas été admis dans l’intimité de Philippe Hurault avant la fin de 1609. Au Surplus, les questions de date n’ont pas d’utilité pour repousser les attributions du manuscrit. Le texte des pièces suffit à montrer qu’elles ne sont pas de Regnier. A la fin de la première épître, l’auteur déclare qu’il n’a jamais voyagé en Italie. Plus loin, lettre V, de 1610, il est question du garde des sceaux qui succéda au marquis de Sillery, disgracié en mai 1616. Les anachronismes ne se bornent pas là. Dans une apostrophe satirique de 1612, contre le maréchal d’Ancre & sa femme, le poëte s’exprime ainsi :
[109] V. l’édition des Œuvres de Regnier de M. Ed. de Barthélemy. Paris, Malassis, 1862, pp. 251 à 278.
Cette pièce, mal datée, ne peut être de Regnier, puisque le marquis d’Ancre est devenu maréchal le 20 novembre 1613, un mois après la mort du poëte chartrain.
L’élégie de 1613 : Amy, pourquoy me veux-tu tant reprendre, nous jette en d’autres particularités. Elle nous montre Regnier marié, s’excusant d’avoir caché son union, & par de plats badinages se consolant à l’avance des infortunes conjugales qui lui pourraient advenir.
L’épigramme J’ai l’esprit lourd comme vne souche, de 1612, se termine plus méchamment encore. Le poëte insulte les maîtres que Regnier a constamment vénérés, Desportes & Ronsard.
Lorsque les erreurs matérielles sont moins évidentes, la niaiserie de la pensée & la bassesse du style déparent cruellement les vers en tête desquels une main d’ignorant a mis le nom d’un véritable poëte, celui-là même qui a adressé à l’évêque de Chartres sa quinzième satire :
Quelque répugnante que soit l’analyse des pauvretés poétiques attribuées à Regnier par le manuscrit 12491, un exemple nous paraît nécessaire pour montrer sur quelles misères le goût est appelé à se prononcer. Une ode de 1613, Sur la naissance de saint Jean, contient la strophe suivante :
Devant un tel abaissement de toute poésie, l’esprit le plus scrupuleux peut sans hésitation décider que ces platitudes ne sont pas de l’auteur de Macette. En ses plus mauvais moments, Regnier n’est point tombé si bas, & c’est lui faire injure que de chercher sérieusement dans cet amas de rimes la part du poëte.
Il semble plus juste & plus conforme à la vérité de signaler, dans le manuscrit en question, les pièces recueillies déjà dans d’autres ouvrages. On en comptera quatre :
Le Combat de Regnier & de Berthelot, sous la date de 1607, les stances Encor que ton œil soit esteint, l’épigramme Lisette à qui l’on faisoit tort, & enfin le sonnet incomplet, Delos flotant sur l’onde[110].
[110] Cette dernière pièce se retrouve dans L’Estoile avec le nom de Regnier.
Au delà de ces constatations, l’incertitude commence. Des pièces matériellement apocryphes se mêlent à des poésies que leur facture rend suspectes. La défiance naît de tous côtés & n’épargne même pas des morceaux qui ont quelque apparence d’authenticité, comme la lettre de 1609, Après avoir fort estriué, & l’épigramme de Margot[111].
[111] Voir Regnier, édition citée, pp. 256 & 374.
Une dernière infidélité du manuscrit 12491, & la plus grave parce qu’elle dénote chez son auteur une ignorance inexplicable, vient discréditer encore les attributions qui portent le nom de Regnier. On lit en effet sous la date de 1613, à la fin des prétendues œuvres du poëte chartrain, une pièce qui n’est autre que la célèbre paraphrase de Malherbe sur le psaume Lauda anima mea Dominum.
Ces stances ont été publiées pour la première fois en 1626, dans le Recueil des plus beaux vers de messieurs Malherbe, Racan, &c. On les retrouve dans l’édition originale des poésies de Malherbe[112].
[112] Voir, au sujet de cette pièce, le Bulletin du Bibliophile, année 1859, p. 348. Le rédacteur du bulletin essaye de justifier le copiste en avançant qu’une note manuscrite de 1613 a plus d’autorité qu’une publication postérieure à la mort de Malherbe. Or le manuscrit 12491 ne remonte pas au delà de 1635 & les vers en litige ont été imprimés du vivant de leur auteur.
Ces investigations à toute extrémité, au delà même de l’œuvre de Regnier, ont été entreprises pour satisfaire les lecteurs curieux de tout ce qui concerne notre premier satirique. Après avoir cherché la vérité sur l’existence si peu connue du poëte chartrain, après avoir tenté une histoire des diverses éditions des satires, il nous restait encore à faire connaître les recueils imprimés & manuscrits où se trouve le nom de Regnier. En ceci surtout un redoublement de prudence nous était imposé. La restitution d’un texte a pour complément la suppression de tout ce qui peut paraître d’une authenticité suspecte, d’après les données de l’histoire ou suivant les règles du goût.