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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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Satyre XVII.
Non non i’ay trop de cœur pour laschement me rendre,
L’amour n’est qu’vn enfant dont l’on se peut deffendre,
Et l’homme qui flechit sous sa ieune valleur,
Rend par ses laschetez coulpable son malheur,
Il se defait soy-mesme & soy-mesme s’outrage,
Et doibt son infortune à son peu de courage :
Or moy pour tout l’effort qu’il fasse à me domter,
Rebelle à sa grandeur ie le veux effronter,
Et bien qu’auec les Dieux on ne doiue debattre,
Comme vn nouueau Toitan si le veux-ie combatre,
Auecq’ le desespoir ie me veux asseurer,
C’est salut aux vaincuz de ne rien esperer.
Mais helas ! c’en est faict quand les places sont prises,
Il n’est plus temps d’auoir recours aux entreprises,
Et les nouueaux desseins d’vn salut pretendu
Ne seruent plus de rien lors que tout est perdu.
Ma raison est captiue en triomphe menee,
Mon ame déconfite au pillage est donnee,
Tous mes sens m’ont laissé seul & mal aduerty,
Et chacun s’est rangé du contraire party,
Et ne me reste plus de la fureur des armes,
Que des cris, des sanglots, des souspirs & des larmes :
Dont ie suis si troublé qu’encor ne sçay-ie pas,
Où pour trouuer secours ie tourneray mes pas.
Aussi pour mon salut que doi-ie plus attendre,
Et quel sage conseil en mon mal puis-ie prendre,
S’il n’est rien icy bas de doux & de clement,
Qui ne tourne visage à mon contentement ?
S’il n’est astre esclairant en la nuict solitaire,
Ennemy de mon bien qui ne me soit contraire,
Qui ne ferme l’oreille à mes cris furieux :
Il n’est pour moy là haut ny clemence, ny Dieux,
Au Ciel comme en la terre il ne faut que i’attende
Ny pitié ny faueur au mal qui me commande,
Car encor’ que la dame en qui seule ie vy,
M’ait auecque douceur sous ses loix asseruy,
Que ie ne puisse croire en voyant son visage,
Que le Ciel l’ait formé si beau pour mon dommage,
Ny moins qu’il soit possible en si grande beauté
Qu’auecque la douceur loge la cruauté,
Pourtant toute esperance en mon ame chancelle,
Il suffit pour mon mal que ie la trouue belle.
Amour qui pour obiect n’a que mes desplaisirs,
Rend tout ce que i’adore ingrat à mes desirs,
Toute chose en aymant est pour moy difficile,
Et comme mes souspirs ma peine est infertile.
D’autre part sçachant bien qu’on n’y doit aspirer,
Aux cris i’ouure la bouche & n’ose souspirer,
Et ma peine estouffee auecques le silence,
Estant plus retenue a plus de violence.
Trop heureux si i’auois en ce cruel tourment,
Moins de discretion & moins de sentiment,
Ou sans me relascher à l’effort du martyre,
Que mes yeux, ou ma mort, mon amour peussent dire.
Mais ce cruel enfant insolent deuenu,
Ne peut estre à mon mal plus longtemps retenu,
Il me contrainct aux pleurs, & par force m’arrache
Les cris qu’au fond du cœur la reuerence cache.
Puis doncq’ que mon respect peut moins que sa douleur
Ie lasche mon discours à l’effort du mal-heur,
Et pousse des ennuis dont mon ame est atteinte,
Par force ie vous fais ceste piteuse plainte,
Qu’encore ne rendrois ie en ces derniers efforts,
Si mon dernier souspir ne la iette dehors.
Ce n’est pas toutesfois que pour m’escouter plaindre,
Ie tasche par ces vers à pitié vous contraindre,
Ou rendre par mes pleurs vostre œil moins rigoureux,
La plainte est inutile à l’homme mal-heureux :
Mais puis qu’il plaist au Ciel par vos yeux que ie meure,
Vous direz que mourant ie meurs à la bonne heure,
Et que d’aucun regret mon trespas n’est suiuy,
Sinon de n’estre mort le iour que ie vous vy,
Si diuine & si belle, & d’attrais si pourueuë.
Ouy ie deuois mourir des trais de vostre veuë,
Auec mes tristes iours mes miseres finir,
Et par feu comme Hercule immortel deuenir.
I’eusse bruslant là haut en des flammes si claires,
Rendu de vos regards tous les Dieux tributaires,
Qui seruant comme moy de trophee à vos yeux,
Pour vous aymer en terre eussent quitté les Cieux.
Eternisant par tout ceste haute victoire,
I’eusse engraué là haut leur honte & vostre gloire,
Et comme en vous seruant aux pieds de vos Autels,
Ils voudroient pour mourir n’estre point immortels.
Heureusement ainsi i’eusse peu rendre l’ame,
Apres si bel effect d’vne si belle flamme.
Aussi bien tout le temps que i’ay vescu depuis,
Mon cœur gesné d’amour n’a vescu qu’aux ennuis,
Depuis de iour en iour s’est mon ame enflammee,
Qui n’est plus que d’ardeur & de peine animee,
Sur mes yeux esgarez ma tristesse se lit,
Mon age auant le temps par mes maux s’enuieillit,
Au gré des passions mes amours sont contraintes,
Mes vers bruslans d’amour ne resonnent que plaintes,
De mon cœur tout fletry l’alegresse s’enfuit,
Et mes tristes pensers comme oyseaux de la nuict,
Volant dans mon esprit à mes yeux se presentent,
Et comme ils font du vray du faux ils m’espouuantent,
Et tout ce qui repasse en mon entendement,
M’apporte de la crainte & de l’estonnement :
Car soit que ie vous pense ingrate ou secourable,
La playe de vos yeux est tousiours incurable,
Tousiours faut il perdant la lumiere & le iour,
Mourir dans les douleurs ou les plaisirs d’amour.
Mais tandis que ma mort est encore incertaine
Attendant qui des deux mettra fin à ma peine,
Ou les douceurs d’amour, ou bien vostre rigueur,
Ie veux sans fin tirer les souspirs de mon cœur,
Et deuant que mourir ou d’vne ou d’autre sorte,
Rendre en ma passion si diuine & si forte,
Vn viuant tesmoignage à la posterité,
De mon amour extresme, & de vostre beauté,
Et par mille beaux vers que vos beaux yeux m’inspirent,
Pour vostre gloire atteindre où les sçauans aspirent,
Et rendre memorable aux siecles à venir,
De vos rares vertus le noble souuenir.
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