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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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Satyre X.
Ce mouuement de temps peu cogneu des humains,
Qui trompe nostre espoir, nostre esprit, & nos mains,
Cheuelu sur le front & chauue par derriere,
N’est pas de ces oyseaux qu’on prend à la pantiere,
Non plus que ce milieu des vieux tant debatu,
Où l’on mist par despit à l’abry la vertu,
N’est vn siege vaccant au premier qui l’occupe,
Souuent le plus Mattois ne passe que pour Dupe :
Ou par le iugement il faut perdre son temps
A choisir dans les mœurs ce Milieu que i’entens.
Or i’excuse en cecy nostre foiblesse humaine,
Qui ne veut, ou ne peut, se donner tant de peine,
Que s’exercer l’esprit en tout ce qu’il faudroit,
Pour rendre par estude vn lourdaut plus adroit.
Mais ie n’excuse pas les Censeurs de Socrate,
De qui l’esprit rongneux de soy-mesme se grate,
S’idolatre, s’admire, & d’vn parler de miel,
Se va preconisant consin de Larcanciel :
Qui baillent pour raisons des chansons & des bourdes,
Et tous sages qu’ils sont font les fautes plus lourdes :
Et pour sçauoir gloser sur le Magnificat,
Tranchent en leurs discours de l’esprit delicat,
Controllent vn chacun, & par apostasie
Veulent paraphraser dessus la fantasie :
Aussi leur bien ne sert qu’à monstrer le deffaut,
Et semblent se baigner quand on chante tout haut,
Qu’ils ont si bon cerueau, qu’il n’est point de sottise
Dont par raison d’estat leur esprit ne s’aduise.
Or il ne me chaudroit insensez ou prudens
Qu’ils fissent à leurs frais Messieurs les intendans,
A chaque bout de champ si sous ombre de chere
Il ne m’en falloit point payer la folle enchere.
Vn de ces iours derniers par des lieux destournez
Ie m’en allois resuant le manteau sur le nez,
L’âme bizarément de vappeurs occupee
Comme vn Poëte qui prend les vers à la pippee :
En ces songes profonds où flottoit mon esprit,
Vn homme par la main hazardement me prit,
Ainsi qu’on pourroit prendre vn dormeur par l’oreille,
Quand on veut qu’à minuict en sursaut il s’esueille,
Ie passe outre d’aguet sans en faire semblant,
Et m’en vois à grands pas tout froid & tout tremblant :
Craignant de faire encor’ auec ma patience
Des sottises d’autruy nouuelle penitence.
Tout courtois il me suit, & d’vn parler remis,
Quoy ? Monsieur, est-ce ainsi qu’on traite ses amis,
Ie m’arreste contraint d’vne façon confuse,
Grondant entre mes dents ie barbotte vne excuse :
De vous dire son nom il ne guarit de rien,
Et vous iure au surplus qu’il est homme de bien,
Que son cœur conuoiteux d’ambition ne créue
Et pour ses factions qu’il n’ira point en Gréue :
Car il aime la France, & ne souffriroit point,
Le bon seigneur qu’il est, qu’on la mist en pourpoint.
Au compas du deuoir il regle son courage,
Et ne laisse en depost pourtant son auantage,
Selon le temps il met ses partis en auant,
Alors que le Roy passe, il gaigne le deuant,
Et dans la Gallerie, encor’ que tu luy parles,
Il te laisse au Roy Iean, & s’en court au Roy Charles.
Mesme aux plus auancez demandant le pourquoy
Il se met sur vn pied, & sur le quant à moy,
Et seroit bien fasché le Prince assis à table
Qu’vn autre en fust plus pres, ou fist plus l’agreable,
Qui plus suffisamment entrant sur le deuis
Fist mieux le Philosophe ou dist mieux son auis,
Qui de chiens ou d’oyseaux eust plus d’experience,
Ou qui déuidast mieux vn cas de conscience :
Puis dittes comme vn sot qu’il est sans passion,
Sans gloser plus auant sur sa perfection.
Auec maints hauts discours, de chiens, d’oyseaux, de bottes,
Que les vallets de pied sont fort suiects aux crottes,
Pour bien faire du pain il faut bien enfourner,
Si Domp-Pedre est venu qu’il s’en peut retourner,
Le Ciel nous fist ce bien qu’encor’ d’assez bonne heure,
Nous vinsmes au Logis où ce Monsieur demeure,
Où sans historier le tout par le menu,
Il me dict vous soyez Monsieur le bien venu.
Apres quelque propos, sans propos & sans suitte
Auecq’ un froid Adieu ie minutte ma fuitte,
Plus de peur d’accident que de discretion :
Il commence vn sermon de son affection,
Me rid, me prend, m’embrasse, auec ceremonie,
Quoy ? vous ennuyez-vous en nostre compagnie ?
Non non, ma foy dit-il, il n’ira pas ainsi,
Et puis que ie vous tiens, vous soupperez icy.
Ie m’excuse, il me force, ô Dieux quelle iniustice ?
Alors, mais las trop tard ie cogneus mon supplice :
Mais pour l’auoir cogneu, ie ne peux l’éuiter,
Tant le destin se plaist à me persecuter.
A peine à ces propos eut-il fermé la bouche,
Qu’il entre à l’estourdi vn sot faict à la fourche,
Qui pour nous saluër laissant choir son chappeau,
Fist comme vn entre-chat auec vn escabeau,
Trebuschant sur le cul, s’en va deuant derriere,
Et grondant se fascha qu’on estoit sans lumiere :
Pour nous faire sans rire aualler ce beau saut
Le Monsieur sur la veuë excuse ce deffaut,
Que les gens de sçauoir ont la visiere tendre :
L’autre se releuant deuers nous se vint rendre,
Moins honteux d’estre cheut, que de s’estre dressé
Et luy demandast-il s’il s’estoit point blessé.
Apres mille discours dignes d’vn grand volume,
On appelle vn vallet, la chandelle s’allume :
On apporte la nappe, & met-on le couuert,
Et suis parmy ces gens comme vn homme sans vert,
Qui fait en rechignant aussi maigre visage
Qu’vn Renard que Martin porte au Louure en sa cage.
Vn long-temps sans parler ie regorgeois d’ennuy
Mais n’estant point garand des sottises d’autruy,
Ie creu qu’il me falloit d’vne mauuaise affaire
En prendre seulement ce qui m’en pouuoit plaire.
Ainsi considerant ces hommes & leurs soings,
Si ie n’en disois mot ie n’en pense pas moings,
Et iugé ce lourdaut à son nez autentique,
Que c’estoit vn Pedant, animal domestique,
De qui la mine rogue & le parler confus,
Les cheueux gras & longs, & les sourcils touffus
Faisoient par leur sçauoir, comme il faisoit entendre,
La figue sur le nez au Pedant d’Alexandre.
Lors ie fus asseuré de ce que i’auois creu,
Qu’il n’est plus Courtisan de la Cour si recreu,
Pour faire l’entendu qu’il n’ait pour quoy qu’il vaille,
Vn Poëte, vn Astrologue, ou quelque Pedentaille,
Qui durant ses Amours auec son bel esprit
Couche de ses faueurs l’histoire par escrit.
Maintenant que l’on voit & que ie vous veux dire,
Tout ce qui se fist là digne d’vne satyre,
Ie croirois faire tort à ce Docteur nouueau,
Si ie ne luy donnois quelques traicts de pinceau ;
Mais estant mauuais peintre ainsi que mauuais Poëte,
Et que i’ay la ceruelle & la main mal adroitte,
O Muse ie t’inuoque ! emmielle moy le bec,
Et bandes de tes mains les nerfs de ton rebec,
Laisse moy là Phœbus chercher son auanture,
Laisse moy son B. mol, prend la clef de Nature,
Et vien simple sans fard, nuë & sans ornement,
Pour accorder ma fluste auec ton instrument.
Dy moy comme sa race autres fois ancienne
Dedans Rome accoucha d’vne Patricienne,
D’où nasquit dix Catons & quatre vingts Preteurs,
Sans les Historiens & tous les Orateurs :
Mais non, venons à luy, dont la maussade mine
Ressemble vn de ces Dieux des coutaux de la Chine,
Et dont les beaux discours plaisamment estourdis
Feroient creuer de rire vn sainct de Paradis.
Son teint iaune enfumé de couleur de malade,
Feroit donner au Diable, & ceruze, & pommade,
Et n’est blanc en Espaigne à qui ce Cormoran
Ne fasse renier la loy de l’Alcoran.
Ses yeux bordez de rouge esgarez sembloient estre,
L’vn à Mont-marthe, & l’autre au chasteau de Bicestre :
Toutesfois redressant leur entre-pas tortu,
Ils guidoient la ieunesse au chemin de vertu.
Son nez haut releué sembloit faire la nique
A l’Ouide Nason, au Scipion Nasique,
Où maints rubiz balez tous rougissants de vin
Monstroient vn HAC ITVR à la pomme de pin :
Et preschant la vendange asseuroient en leur trongne,
Qu’vn ieune Medecin vit moins qu’vn vieux yurongne.
Sa bouche est grosse & torte, & semble en son porfil,
Celle-là d’Alizon qui retordant du fil
Fait la moüe aux passans, & feconde en grimace,
Baue comme au Prin-temps vne vieille limace.
Vn rateau mal rangé pour ses dents paroissoit,
Où le chancre & la roüille en monceaux s’amassoit,
Dont pour lors ie congneus grondant quelques parolles
Qu’expert il en sçauoit creuer ses euerolles,
Qui me fist bien iuger qu’aux veilles des bons iours
Il en souloit roigner ses ongles de velours.
Sa barbe sur sa ioüe esparse à l’auanture,
Où l’art est en colere auecque la nature,
En Bosquets s’esleuoit, où certains animaux
Qui des pieds, non des mains, luy faisoient mille maux.
Quant au reste du corps il est de telle sorte
Qu’il semble que ses reins & son espaule torte
Façent guerre à sa teste, & par rebellion,
Qu’ils eussent entassé Osse sur Pellion :
Tellement qu’il n’a rien en tout son attelage
Qui ne suiue au galop la trace du visage.
Pour sa robbe elle fut autre qu’elle n’estoit
Alors qu’Albert le Grand aux festes la portoit ;
Mais tousiours recousant piece à piece nouuelle,
Depuis trente ans c’est elle, & si ce n’est pas elle :
Ainsi que ce vaisseau des Grecs tant renommé
Qui suruescut au temps qu’il auoit consommé :
Vne taigne affamée estoit sur ses espaules,
Qui traçoit en Arabe vne Carte des Gaules :
Les pieces & les trous semez de tous costez,
Representoient les Bourgs, les monts, & les Citez :
Les filets separez qui se tenoient à peine,
Imitoient les ruisseaux coulans dans vne pleine.
Les Alpes en iurant luy grimpoient au collet,
Et Sauoy’ qui plus bas ne pend qu’à vn fillet.
Les puces & les poux & telle autre quenaille,
Aux plaines d’alentour se mettoient en bataille,
Qui les places d’autruy par armes vsurpant
Le titre disputoient au premier occupant.
Or dessous ceste robbe illustre & venerable,
Il auoit vn iupon, non celuy de Constable :
Mais vn qui pour vn temps suiuit l’arriere-ban,
Quand en premiere nopce il seruit de caban
Au croniqueur Turpin, lors que par la campagne
Il portoit l’arbalestre au bon Roy Charlemagne :
Pour asseurer si c’est, ou laine, ou soye, ou lin,
Il faut en deuinaille estre maistre Gonin.
Sa ceinture honorable ainsi que ses iartieres,
Furent d’vn drap du seau, mais i’entends de lizieres
Qui sur maint Cousturier ioüerent maint rollet,
Mais pour l’heure presente ils sangloient le mulet.
Vn mouchoir & des gans auecq’ ignominie
Ainsi que des larrons pendus en compagnie,
Luy pendoient au costé, qui sembloit en lambeaux,
Crier en se mocquant vieux linge, & vieux drapeaux :
De l’autre brimballoit vne clef fort honneste,
Qui tire à sa cordelle vne noix d’arbaleste.
Ainsi ce personnage en magnifique arroy,
Marchant pedetentim s’en vint iusques à moy
Qui sentis à son nez, à ses leures décloses,
Qu’il fleuroit bien plus fort, mais non pas mieux que roses.
Il me parle latin, il allegue, il discourt,
Il reforme à son pied les humeurs de la Court :
Qu’il a pour enseigner vne belle maniere,
Que sans robe il a veu la matiere premiere,
Qu’Epicure est yurongne, Hypocrate vn bourreau,
Que Bartolle & Iason ignorent le barreau :
Que Virgille est passable, encor’ qu’en quelques pages,
Il meritast au Louure estre chifflé des Pages,
Que Pline est inesgal, Terence vn peu ioly,
Mais sur tout il estime vn langage poly.
Ainsi sur chasque Autheur il trouue de quoy mordre,
L’vn n’a point de raisons, & l’autre n’a point d’ordre,
L’autre auorte auant temps des œuures qu’il conçoit,
Or il vous prend Macrobe & luy donne le foit,
Ciceron il s’en taist d’autant que l’on le crie
Le pain quotidian de la Pedanterie,
Quant à son iugement il est plus que parfait
Et l’immortalité n’ayme que ce qu’il fait,
Par hazard disputant si quelqu’vn luy replique,
Et qu’il soit à quia, vous estes heretique :
Ou pour le moins fauteur, ou vous ne sçauez point
Ce qu’en mon manuscrit i’ay noté sur ce point.
Comme il n’est rien de simple aussi rien n’est durable,
De pauure on deuient riche, & d’heureux miserable,
Tout se change qui fist qu’on changea de discours,
Apres maint entretien, maints tours, & maints retours,
Vn valet se leuant le chapeau de la teste
Nous vint dire tout haut que la souppe estoit preste :
Ie congneu qu’il est vray ce qu’Homere en escrit,
Qu’il n’est rien qui si fort nous resueille l’esprit,
Car i’eus au son des plats l’ame plus alteree
Que ne l’auroit vn chien au son de la curee :
Mais comme vn iour d’Esté où le Soleil reluit,
Ma ioye en moins d’vn rien comme vn éclair s’enfuit,
Et le Ciel qui des dents me rid à la pareille,
Me bailla gentiment le lieure par l’oreille :
Et comme en vne montre où les passe-volans
Pour se monstrer soldats sont les plus insolens :
Ainsi parmy ces gens vn gros vallet d’estable,
Glorieux de porter les plats dessus la table,
D’vn nez de Maiordome, & qui morgue la faim,
Entra seruiette au bras & fricassee en main,
Et sans respect du lieu, du Docteur ny des sausses,
Heurtant table & treteaux, versa tout sur mes chausses :
On le tance, il s’excuse, & moy tout resolu,
Puis qu’à mon dam le Ciel l’auoit ainsi voulu,
Ie tourne en raillerie vn si fascheux mistere
De sorte que Monsieur m’obligea de s’en taire.
Sur ce point on se laue, & chacun en son rang,
Se met dans vne chaire ou s’assied sur vn banc :
Suiuant ou son merite, ou sa charge, ou sa race.
Des niais sans prier ie me mets en la place,
Où i’estois resolu faisant autant que trois,
De boire & de manger comme aux veilles des Rois :
Mais à si beau dessein defaillant la matiere,
Ie fus enfin contraint de ronger ma littiere,
Comme vn asne affamé qui n’a chardons ny foing,
N’ayant pour lors dequoy me saouler au besoing.
Or entre tous ceux-là qui se mirent à table,
Il n’en estoit pas vn qui ne fust remarcable,
Et qui sans esplucher n’aualast l’Eperlan :
L’vn en titre d’office exerçoit vn berlan,
L’autre estoit des suiuants de Madame Lipee,
Et l’autre cheualier de la petite espee,
Et le plus sainct d’entr’eux (sauf le droict du cordeau)
Viuoit au Cabaret pour mourir au bordeau.
En forme d’Eschiquier les plats rangez sur table,
N’auoient ny le maintien, ny la grace accostable,
Et bien que nos disneurs mengeassent en Sergens,
La viande pourtant ne prioit point les gens :
Mon Docteur de Menestre en sa mine alteree,
Auoit deux fois autant de mains que Briaree,
Et n’estoit quel qu’il fust morceau dedans le plat,
Qui des yeux & des mains n’eust vn escheq & mat.
D’où i’aprins en la cuitte aussi bien qu’en la cruë,
Que l’âme se laissoit piper comme vne Gruë,
Et qu’aux plats comme au lict auec lubricité
Le peché de la chair tentoit l’humanité.
Deuant moy iustement on plante vn grand potage,
D’où les mousches à ieun se sauuoient à la nage :
Le broüet estoit maigre, & n’est Nostradamus
Qui l’Astrolabe en main ne demeurast camus,
Si par galanterie ou par sottise expresse
Il y pensoit trouuer vne estoille de gresse :
Pour moy si i’eusse esté sur la mer de Leuant,
Où le vieux Louchaly fendit si bien le vent,
Quand sainct Marc s’habilla des enseignes de Trace,
Ie l’acomparerois au golphe de Patrasse,
Pource qu’on y voyoit en mille & mille parts
Les moûches qui flottoient en guise de Soldarts,
Qui morts sembloient encor’ dans les ondes salees
Embrasser les charbons des Galeres bruslees.
I’oy ce semble quelqu’vn de ces nouueaux Docteurs,
Qui d’estoc & de taille estrillent les Autheurs,
Dire que ceste exemple est fort mal assortie :
Homere, & non pas moy t’en doit la garantie,
Qui dedans ses escrits, en des certains effets
Les compare peut-estre aussi mal que ie faits.
Mais retournons à table où l’esclanche en ceruelle
Des dents & du chalan separoit la querelle,
Et sur la nappe allant de quartier en quartier
Plus dru qu’vne nauette au trauers d’vn mestier,
Glissoit de main en main où sans perdre auantage
Ebrechant le cousteau tesmoignoit son courage :
Et durant que Brebis elle fut parmy nous
Elle sçeut brauement se deffendre des loups,
Et de se conseruer elle mist si bon ordre,
Que morte de vieillesse elle ne sçauroit mordre :
A quoy glouton oyseau du ventre renaissant
Du fils du bon Iapet te vas-tu repaissant,
Assez, & trop long-temps, son poulmon tu gourmandes,
La faim se renouuelle au change des viandes :
Laissant là ce larron, vien icy desormais
Où la tripaille est fritte en cent sortes de mets.
Or durant ce festin Damoyselle famine
Auec son nez etique, & sa mourante mine,
Ainsi que la charté par Edit l’ordonna,
Faisoit vn beau discours dessus l’alezina,
Et nous torchant le bec aleguoit Symonide
Qui dict pour estre sain qu’il faut mascher à vuide.
Au reste à manger peu, Monsieur beuuoit d’autant,
Du vin qu’à la tauerne on ne payoit contant,
Et se faschoit qu’vn Iean bleçé de la Logique,
Luy barboüilloit l’esprit d’vn ergo Sophistique.
Esmiant quant à moy du pain entre mes doigts,
A tout ce qu’on disoit doucet ie m’accordois :
Leur voyant de piot la ceruelle eschauffée,
De peur (comme l’on dict) de courroucer la Fée.
Mais à tant d’accidents l’vn sur l’autre amasséz,
Sçachant qu’il en falloit payer les pots cassez :
De rage sans parler ie m’en mordois la léure
Et n’est Iob de despit qui n’en eust pris la chéure :
Car vn limier boiteux de galles damassé
Qu’on auoit d’huile chaude & de souffre gressé,
Ainsi comme vn verrat enueloppé de fange,
Quand sous le corcelet la crasse luy demange,
Se bouchonne par tout, de mesme en pareil cas
Ce rongneux las d’aller se frottoit à mes bas
Et fust pour estriller ses galles ou ses crottes,
De sa grace il gressa mes chausses pour mes bottes
En si digne façon que le frippier Martin
Auec sa malle-tache y perdroit son Latin.
Ainsi qu’en ce despit le sang m’eschauffoit l’ame,
Le monsieur son Pedant à son aide reclame,
Pour soudre l’argument, quand d’vn sçauant parler,
Il est, qui fait la mouë aux chimeres en l’air.
Le Pedant tout fumeux de vin & de doctrine
Respond, Dieu sçait comment le bon Iean se mutine
Et sembloit que la gloire en ce gentil assaut
Fust à qui parleroit non pas mieux mais plus haut,
Ne croyez en parlant que l’vn ou l’autre dorme,
Comment vostre argument dist l’vn n’est pas en forme,
L’autre tout hors du sens, mais c’est vous, mal-autru
Qui faites le sçauant & n’estes pas congru.
L’autre, Monsieur le sot ie vous feray bien taire.
Quoy ? comment ? est-ce ainsi qu’on frape Despautere ?
Quelle incongruité, vous mentez par les dents,
Mais vous, ainsi ces gens à se picquer ardents,
S’en vindrent du parler à tic tac, torche, lorgne,
Qui casse le museau, qui son riual éborgne,
Qui iette vn pain, vn plat, vne assiette, vn couteau,
Qui pour vne rondache empoigne vn escabeau,
L’vn faict plus qu’il ne peut, & l’autre plus qu’il n’ose,
Et pense en les voyant voir la Metamorphose,
Où les Centaures souz au Bourg Athracien,
Voulurent chauds de rains faire nopces de chien,
Et cornus du bon pere encorner le Lapite,
Qui leur fist à la fin enfiler la garitte,
Quand auecque des plats, des treteaux, des tisons,
Par force les chassant my-morts de ses maisons,
Il les fist gentiment apres la Tragedie,
De Cheuaux deuenir gros Asnes d’Arcadie :
Noz gens en ce combat n’estoient moins inhumains,
Car chacun s’escrimoit & des pieds & des mains :
Et comme eux tous sanglants en ces doctes alarmes,
La fureur aueuglee en main leur mist des armes :
Le bon Iean crie au meurtre, & ce Docteur harault,
Le Monsieur dist tout-beau, l’on apelle Girault.
A ce nom voyant l’homme & sa gentille trongne,
En memoire aussi-tost me tomba la Gascongne.
Ie cours à mon manteau, ie descens l’escalier,
Et laisse auec ces gens Monsieur le cheualier
Qui vouloit mettre barre entre ceste canaille.
Ainsi sans coup ferir ie sors de la bataille,
Sans parler de flambeau, ny sans faire autre bruit,
Croyez qu’il n’estoit pas, O nuict ialouse nuict,
Car il sembloit qu’on eust aueuglé la nature,
Et faisoit vn noir brun d’aussi bonne teinture,
Que iamais on en vit sortir des Gobelins,
Argus pouuoit passer pour vn des Quinze vingts :
Qui pis-est il pleuuoit d’vne telle maniere,
Que les reins par despit me seruoient de goutiere :
Et du haut des maisons tomboit vn tel degout,
Que les chiens alterez pouuoient boire debout.
Alors me remettant sur ma philosophie,
Ie trouue qu’en ce monde il est sot qui se fie,
Et se laisse conduire, & quant aux Courtisans,
Qui doucets & gentils font tant les suffisans,
Ie trouue les mettant en mesme patenostre,
Que le plus sot d’entr’eux est aussi sot qu’vn autre :
Mais pour ce qu’estant là ie n’estois dans le grain,
Aussi que mon manteau la nuict craint le serain,
Voyant que mon logis estoit loin, & peut estre
Qu’il pourroit en chemin changer d’air & de maistre,
Pour esuiter la pluye à l’abry de l’auuent,
I’allois doublant le pas, comme vn qui fend le vent,
Quand bronchant lourdement en vn mauuais passage
Le Ciel me fist ioüer vn autre personnage :
Car heurtant vne porte en pensant m’accoter,
Ainsi qu’elle obeit ie viens à culbuter :
Et s’ouurant à mon heurt, ie tombay sur le ventre,
On demande que c’est, ie me releue, i’entre :
Et voyant que le chien n’aboyoit point la nuict,
Que les verroux gressez ne faisoient aucun bruit :
Qu’on me rioit au nez, & qu’vne chambriere
Vouloit monstrer ensemble, & cacher la lumiere :
I’y suis, ie le voy bien, ie parle l’on respond,
Où sans fleurs de bien dire, ou d’autre art plus profond,
Nous tombasmes d’accord, le monde ie contemple,
Et me retrouue en lieu de fort mauuais exemple :
Toutesfois il falloit en ce plaisant malheur,
Mettre pour me sauuer en danger mon honneur.
Puis donc que ie suis là, & qu’il est pres d’vne heure,
N’esperant pour ce iour de fortune meilleure,
Ie vous laisse en repos, iusques à quelques iours,
Que sans parler Phœbus ie feray le discours
De mon giste, où pensant reposer à mon ayse,
Ie tombé par malheur de la poisle en la braise.
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