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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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Discovrs
D’vne Maquerelle.
Depuis que ie vous ay quitté
Ie m’en suis allé depité,
Voire aussi remply de colere
Qu’vn voleur qu’on meine en gallere,
Dans vn lieu de mauuais renom
Où iamais femme n’a dit non,
Et là ie ne vis que l’hostesse,
Ce qui redoubla ma tristesse,
Mon amy, car i’auois pour lors
Beaucoup de graine dans le corps.
Ceste vieille branslant la teste,
Me dit excusez, c’est la feste
Qui fait que l’on ne trouue rien,
Car tout le monde est Ian de bien,
Et si i’ay promis en mon ame
Qu’à ce iour pour euiter blasme,
Ce peché ne seroit commis.
Mais vous estes de nos amis,
Parmanenda ie vous le iure,
Il faut pour ne vous faire iniure,
Apres mesme auoir eu le soing
De venir chez nous de si loing,
Que ma chambriere i’enuoye
Iusques à l’escu de Sauoye :
Là mon amy tout d’vn plain saut
On trouuera ce qu’il vous faut.
Que i’ayme les hommes de plume,
Quand ie les voy mon cœur s’allume,
Autresfois i’ay parlé Latin,
Discourons vn peu du destin,
Peut-il forcer les professies,
Les pourceaux ont-ils des vessies,
Dites nous quel autheur escrit
La naissance de l’Antechrist.
O le grand homme que Virgille,
Il me souuient de l’Euangile
Que le prestre a dit auiourd’huy :
Mais vous prenez beaucoup d’ennuy :
Ma seruante est vn peu tardiue,
Si faut-il vrayment qu’elle arriue
Dans vn bon quart d’heure d’icy,
Elle m’en fait tousiours ainsi.
En attendant prenez vn siege
Vos escarpins n’ont point de liege,
Vostre collet fait vn beau tour.
A la guerre de Montcontour
On ne portoit point de rotonde :
Vous ne voulez pas qu’on vous tonde,
Les choses grands sont de saison,
Ie fus autresfois de maison
Docte, bien parlante, & habille
Autant que fille de la ville,
Ie me faisois bien decroter,
Et nul ne m’entendoit peter
Que ce ne fust dedans ma chambre.
I’auoy tousiours vn collier d’ambre,
Des gands neufs, mes soulliers noircis,
I’eusse peu captiuer Narcis,
Mais hélas ! estant ainsi belle
Ie ne fus pas long temps pucelle,
Vn cheualier d’authorité
Achepta ma virginité,
Et depuis auec vne drogue,
Ma mere qui faisoit la rogue
Quand on me parloit de cela
En trois iours me repucela.
I’estois faicte à son badinage :
Apres pour seruir au mesnage,
Vn prelat me voulant auoir,
Son argent me mist en deuoir
De le seruir, & de luy plaire,
Toute chose requiert sallaire :
Puis apres voyant en effect
Mon pucelage tout refait,
Ma mere en son mestier sçauante,
Me mit vne autresfois en vente,
Si bien qu’vn ieune tresorier,
Fust le troisiesme aduenturier
Qui fit boüillir nostre marmite :
I’apris autresfois d’vn Hermite
Tenu pour vn sçauant parleur,
Qu’on peut desrober vn voleur,
Sans se charger la conscience,
Dieu m’a donné ceste science.
Cest homme aussi riche que lait,
Me fist espouser son valet,
Vn homme qui se nommoit Blaise.
Ie ne fus onc tant à mon aise
Qu’à l’heure que ce gros manant
Alloit les restes butinant,
Non pas seullement de son maistre,
Mais du cheualier & du prestre.
De ce costé i’eus mille frans,
Et i’auois ià depuis deux ans
Auec ma petite pratique,
Gaigné de quoy leuer boutique
De tauernier à Mont-lhery
Où naquist mon pauure mary,
Helas ! que c’estoit vn bon homme,
Il auoit esté iusqu’à Rome,
Il chantoit comme vn rossignol,
Il sçauoit parler Espagnol
Il ne receuoit point d’escornes
Car il ne porta pas les cornes,
Depuis qu’auecques luy ie fus.
Il auoit les membres touffus,
Le poil est vn signe de force,
Et ce signe a beaucoup d’amorce,
Parmy les femmes du mestier.
Il estoit bon arbalestrier,
Sa cuisse estoit de belle marge,
Il auoit l’espaule bien large,
Il estoit ferme de roignons,
Non comme ces petits mignons,
Qui font de la saincte nitouche,
Aussi tost que leur doigt vous touche,
Ils n’osent pousser qu’à demy,
Celuy-là poussoit en amy,
Et n’auoit ny muscle ny veine
Qu’il ne poussast sans perdre haleine :
Mais tant & tant il a poussé,
Qu’en poussant il est trespassé.
Soudain que son corps fust en terre,
L’enfant amour me fist la guerre,
De façon que pour mon amant,
Ie prins vn bateleur Normant,
Lequel me donna la verolle,
Puis luy pretay sur sa parole,
Auant que ie cogneusse rien
A son mal, presque tout mon bien.
Maintenant nul de moy n’a cure,
Ie fleschy aux loix de nature,
Ie suis aussi seiche qu’vn os,
Ie ferois peur aux huguenos
En me voyant ainsi ridee,
Sans dents & la gorge bridee,
S’ils ne mettoient nos visions
Au rang de leurs derisions.
Ie suis vendeuse de chandelle
Il ne s’en voit point de fidelle,
En leur estat, comme ie suis,
Ie cognois bien ce que ie puis,
Ie ne puis aimer la ieunesse
Qui veut auoir trop de finesse,
Car les plus fines de la Cour
Ne me cachent point leur amour.
Telle va souuant à l’Eglise
De qui ie cognois la feintise,
Telle qui veut son fait nier
Dit que c’est pour communier,
Mais la chose m’est indiquee,
C’est pour estre communiquee
A ses amys par mon moyen,
Comme Heleine fust au Troyen.
Quand la vieille sans nulle honte,
M’eust acheué son petit conte,
Vn Commissaire illec passa,
Vn sergent la porte poussa,
Sans attendre la chambriere
Ie sortis par l’huis de derriere,
Et m’en allay chez le voisin
Moitié figue & moitié raisin,
N’ayant ny tristesse ny ioye
De n’auoir point trouué la proye.
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