← Retour
Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
16px
100%
Elegie.
L’homme s’oppose en vain contre la destinée,
Tel a domté sur mer la tempeste obstinée,
Qui deceu dans le port, esprouue en vn instant
Des accidens humains le reuers inconstant,
Qui le jette au danger, lors que moins il y pense.
Ores, à mes depens i’en fais l’experience,
Moy, qui tremblant encor du naufrage passé,
Du bris de mon navire au rivage amassé,
Bâtissois vn autel aux Dieux legers des Ondes,
Iurant mesme la mer, & ses vagues profondes,
Instruit à mes dépens, & prudent au danger,
Que je me garderois de croire de leger,
Sçachant qu’injustement il se plaint de l’orage,
Qui remontant sur mer fait vn second naufrage.
Cependant ay-ie à peine essuyé mes cheveux,
Et payé dans le port l’offrande de mes vœux,
Que d’vn nouveau desir le courant me transporte,
Et n’ay pour l’arrester la raison assez forte.
Par vn destin secret mon cœur s’y voit contraint,
Et par vn si doux nœud si doucement estreint,
Que me trouvant espris d’vne ardeur si parfaite,
Trop heureux en mon mal, ie benis ma defaite,
Et me sens glorieux, en vn si beau tourment,
De voir que ma grandeur serve si dignement ;
Changement bien étrange en vne amour si belle !
Moy, qui rangeois au joug la terre vniuerselle,
Dont le nom glorieux aux Astres eslevé,
Dans le cœur des mortels par vertu s’est gravé,
Qui fis de ma valeur le hazard tributaire,
A qui rien, fors l’Amour, ne put estre contraire,
Qui commande par tout, indomptable en pouvoir,
Qui sçay donner des loix, & non les recevoir ;
Ie me voy prisonnier aux fers d’vn ieune Maistre,
Où ie languis esclave, & fais gloire de l’estre,
Et sont à le servir tous mes vœux obligez ;
Mes palmes, mes lauriers en myrthes sont changez,
Qui servant de trophée aux beautez que i’adore,
Font en si beau suiet que ma perte m’honnore.
Vous, qui dés le berceau de bon œil me voyez,
Qui du troisiéme Ciel mes destins envoyez,
Belle & sainte planete, Astre de ma naissance,
Mon bon-heur plus parfait, mon heureuse influënce,
Dont la douceur preside aux douces passions,
Venus, prenez pitié de mes affections,
Soyez-moy favorable, & faites à cette heure,
Plustost que découvrir mon amour, que ie meure :
Et que ma fin témoigne, en mon tourment secret,
Qu’il ne vescut iamais vn amant si discret,
Et qu’amoureux constant, en vn si beau martyre,
Mon trépas seulement mon amour puisse dire.
Ha ! que la passion me fait bien discourir !
Non, non, vn mal qui plaist, ne fait jamais mourir.
Dieux ! que puis-je donc faire au mal qui me tourmente !
La patience est foible, & l’amour violente,
Et me voulant contraindre en si grande rigueur,
Ma plainte se dérobbe, & m’échappe du cœur,
Semblable à cet enfant, que la Mere en colere,
Apres vn châtiment veut forcer à se taire,
Il s’efforce de crainte à ne point soupirer,
A grand peine ose-t-il son haleine tirer ;
Mais nonobstant l’effort, dolent en son courage,
Les sanglots, à la fin, debouchent le passage,
S’abandonnant aux cris, ses yeux fondent en pleurs,
Et faut que son respect défere à ses douleurs.
De mesme, ie m’efforce au tourment qui me tuë,
En vain de le cacher mon respect s’evertuë,
Mon mal, comme vn torrent, pour vn temps retenu,
Renversant tout obstacle, est plus fier devenu.
Or puis-que ma douleur n’a pouvoir de se taire,
Et qu’il n’est ni desert, ni rocher solitaire,
A qui de mon secret ie m’osasse fier,
Et que jusqu’à ce point ie me dois oublier,
Que de dire ma peine en mon cœur si contrainte,
A vous seule, en pleurant, j’addresse ma complainte ;
Aussi puis-que vostre œil m’a tout seul asservy,
C’est raison que luy seul voye comme ie vy,
Qu’il voye que ma peine est d’autant plus cruelle,
Que seule en l’Vnivers, ie vous estime belle ;
Et si de mes discours vous entrez en courroux,
Songez qu’ils sont en moy, mais qu’ils naissent de vous,
Et que ce seroit estre ingrate en vos defaites,
Que de fermer les yeux aux playes que vous faites.
Donc, Beauté plus qu’humaine, objet de mes plaisirs,
Delices de mes yeux, & de tous mes desirs,
Qui regnez sur les cœurs d’vne contrainte aimable,
Pardonnez à mon mal, hélas ! trop veritable,
Et lisant dans mon cœur que valent vos attraits,
Le pouvoir de vos yeux, la force de vos traits,
La preuve de ma foy, l’aigreur de mon martyre,
Pardonnez à mes cris de l’avoir osé dire,
Ne vous offencez point de mes justes clameurs,
Et si mourant d’amour, ie vous dis que ie meurs.
Chargement de la publicité...