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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index

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A Monsieur de Bethune estant Ambassadeur pour Sa Maiesté à Rome.

Satyre VI.

Bethune si la charge où ta vertu s’amuse,
Te permet êcouter les chansons que la Muse,
Desus les bords du Tibre & du mont Palatin,
Me fait dire en François au riuage Latin,
Où comme au grand Hercule, à la poictrine large,
Nostre Atlas de son fais sur ton dos se descharge,
Te commet de l’Estat l’entier gouuernement,
Ecoute ce discours tissu bijarement,
Où ie ne pretens point escrire ton Histoire :
Ie ne veux que mes vers s’honorent en la gloire
De tes nobles ayeux, dont les faits releuez,
Dans les cœurs des Flamens sont encore grauez,
Qui tiennent à grandeur de ce que tes Ancestres
En armes glorieux furent iadis leurs maistres.
Ni moins comme ton frere aidé de ta vertu,
Par force, & par conseil, en France a combatu
Ces auares Oyseaux dont les grifes gourmandes
Du bon Roy des François rauissoient les viandes,
Suget trop haut pour moy, qui doy sans m’egarer,
Au champ de sa valeur, la voir & l’admirer.
Aussi selon le corps on doit tailler la robe :
Ie ne veux qu’à mes vers vostre Honneur se derobe,
Ny qu’en tissant le fil de voz faits plus qu’humains,
Dedans ce Labirinte il m’eschape des mains :
On doit selon la force entreprendre la paine,
Et se donner le ton suyuant qu’on a d’halaine,
Non comme vn fou chanter de tort, & de trauers.
Laissant doncq’ aux sçauans à vous paindre en leurs vers,
Haut esleuez en l’air sur vne aisle dorée,
Dignes imitateurs des enfans de Borée,
Tandis qu’à mon pouuoir mes forces mesurant,
Sans prendre ny Phœbus, ny la Muse à garant,
Ie suyuray le caprice en ces pays estranges
Et sans paraphraser tes faits, & tes loüanges,
Ou me fantasier le cerueau de soucy,
Sur ce qu’on dit de France, ou ce qu’on voit icy,
Ie me deschargeray d’vn fais que ie dedaigne,
Suffisant de creuer vn Genet de Sardaigne,
Qui pourroit defaillant en sa morne vigueur,
Succomber soubs le fais que i’ay desus le cœur.
Or ce n’est point de voir, en regne la sottise,
L’Auarice, & le Luxe, entre les gens d’Eglise,
La Iustice à l’ancan, l’Innocent opressé,
Le conseil corrompu suiure l’interessé,
Les estats peruertis toute chose se vendre,
Et n’auoir du credit qu’au pris qu’on peut dependre :
Ny moins que la valeur n’ait icy plus de lieu,
Que la noblesse coure en poste à l’hostel Dieu,
Que les ieunes oisifs aux plaisirs s’abandonnent,
Que les femmes du tans soient à qui plus leur donnent,
Que l’vsure ait trouué (bien que ie n’ay dequoy
Tant elle a bonnes dents) que mordre desus moy.
Tout cecy ne me pese, & l’esprit ne me trouble,
Que tout s’y peruertisse il ne m’en chaut d’vn double,
Du tans, ni de l’estat il ne faut s’affliger,
Selon le vent qui fait l’homme doit nauiger.
Mais ce dont ie me deuls est bien vne autre chose
Qui fait que l’œil humain iamais ne se repose,
Qu’il s’abandonne en proye aux soucis plus cuisans.
Ha ! que ne suis-ie Roy pour cent ou six vingts ans,
Par vn Edit public qui fust irreuocable,
Ie bannirois l’Honneur, ce monstre abominable,
Qui nous trouble l’esprit & nous charme si bien,
Que sans luy les humains icy ne voyent rien,
Qui trahit la nature, & qui rend imparfaite
Toute chose qu’au goust les delices ont faicte.
Or ie ne doute point, que ces esprits bossus,
Qui veulent qu’on les croye en droite ligne yssus
Des sept sages de Grece, à mes vers ne s’oposent,
Et que leurs iugemens desus le mien ne glosent :
Comme de faire entendre à chacun que ie suis
Aussi perclus d’esprit comme Pierre du Puis,
De vouloir sottement que mon discours se dore
Au despens d’vn suget que tout le monde adore,
Et que ie suis de plus priué de iugement,
De t’offrir ce caprice ainsi si librement,
A toy qui des ieunesse apris en son escolle,
As adoré l’Honneur, d’effect, & de parolle,
Qui l’as pour vn but sainct, en ton penser profond,
Et qui mourrois plustost, que luy faire vn faux bond.
Ie veux bien auoir tort en cette seulle chose,
Mais ton doux naturel fait que ie me propose
Librement te montrer à nu mes passions,
Comme à cil qui pardonne aux imperfections :
Qu’ils n’en parlent doncq’ plus & qu’estrange on ne trouue
Si ie hay plus l’Honneur qu’vn mouton vne louue,
L’Honneur que soubs faux tiltre habite auecque nous,
Qui nous oste la vie & les plaisirs plus doux,
Qui trahit nostre espoir & fait que lon se paine
Apres l’esclat fardé d’vne aparance vaine :
Qui seure les desirs & passe mechamment
La plume par le becq’ à nostre sentiment,
Qui nous veut faire entendre en ses vaines chimeres,
Que pour ce qu’il nous touche, il se perd si noz meres,
Noz femmes, & noz sœurs, font leurs maris ialoux,
Comme si leurs desirs dependissent de nous.
Ie pense quant à moy que cest homme fust yure,
Qui changea le premier l’vsage de son viure,
Et rangeant soubs des loys, les hommes escartez,
Bastit premierement & villes & citez,
De tours & de fossez renforça ses murailles,
Et r’enferma dedans cent sortes de quenailles.
De cest amas confus, naquirent à l’instant,
L’enuie, le mespris, le discord inconstant,
La peur, la trahison, le meurtre, la vengeance,
L’horrible desespoir ; & toute ceste engeance
De maux, qu’on voit regner en l’Enfer de la court,
Dont vn pedant de Diable en ses leçons discourt
Quand par art il instruit ses escoliers pour estre,
(S’il se peut faire) en mal plus grands clers que leur maistre.
Ainsi la liberté du monde s’enuola,
Et chascun se campant qui deçà, qui delà,
De hayes, de buissons remarqua son partage,
Et la fraude fist lors la figue au premier age.
Lors du Mien, & du Tien naquirent les proces,
A qui l’argent depart bon, ou mauuais succes,
Le fort batit le foible, & luy liura la guerre,
De là l’Ambition fit anuahir la terre,
Qui fut auant le tans que suruindrent ces maux,
Vn hospital commun à tous les animaux,
Quand le mary de Rhée au siecle d’innocence,
Gouuernoit doucement le monde en son enfance :
Que la terre de soy le fourment raportoit,
Que le chesne de Masne & de miel degoutoit :
Que tout viuoit en paix, qu’il n’estoit point d’vsures :
Que rien ne se vendoit, par poix ny par mesures :
Qu’on n’auoit point de peur qu’vn Procureur fiscal
Formast sur vne eguille vn long proces verbal :
Et se iettant d’aguet dessus vostre personne,
Qu’vn Barisel vous mist dedans la Tour de Nonne.
Mais si tost que le Fils le Pere dechassa,
Tout sans desus desous icy se renuersa.
Les soucis, les ennuis, nous broüillerent la teste,
Lon ne pria les saincts, qu’au fort de la tempeste,
Lon trompa son prochain, la medisance eut lieu,
Et l’Hipocrite fist barbe de paille à Dieu,
L’homme trahit sa foy, d’où vindrent les Notaires,
Pour attacher au ioug les humeurs volontaires.
La fain, & la cherté se mirent sur le rang,
La fiebure, les charbons, le maigre flux de sang,
Commencerent d’eclore, & tout ce que l’Autonne,
Par le vent de midy, nous aporte & nous donne.
Les soldats puis apres, ennemis de la paix,
Qui de l’auoir d’autruy ne se soulent iamais,
Troublerent la campagne, & saccageant noz villes,
Par force en noz maisons, violerent noz filles,
D’où naquit le Bordeau qui s’eleuant debout,
A l’instant comme vn Dieu s’etendit tout par tout,
Et rendit Dieu mercy ces fiebures amoureuses,
Tant de galants pelez, & de femmes galeuses,
Que les perruques sont & les drogues encor,
(Tant on en a besoing) aussi cheres que l’or.
Encore tous ces maux ne seroient que fleurettes,
Sans ce maudit Honneur, ce conteur de sornettes,
Ce fier serpent qui couue vn venin soubs des fleurs,
Qui noye iour & nuict noz esprits en noz pleurs :
Car pour ces autres maux c’estoient legeres paines,
Que Dieu donna selon les foiblesses humaines.
Mais ce traistre cruël excedant tout pouuoir,
Nous fait suër le sang soubs vn pesant deuoir,
De Chimeres nous pipe & nous veut faire acroire
Qu’au trauail seulement doibt consister la gloire,
Qu’il faut perdre & someil, & repos, & repas,
Pour tâcher d’aquerir vn suget qui n’est pas,
Ou s’il est, que iamais aux yeux ne se decouure,
Et perdu pour vn coup iamais ne se recouure,
Qui nous gonfle le cœur de vapeurs & de vent,
Et d’exces par luy mesme il se perd bien souuent.
Puis on adorera ceste menteuse Idolle,
Pour Oracle on tiendra ceste croyance folle,
Qu’il n’est rien de si beau que tomber bataillant,
Qu’au despens de son sang, il faut estre vaillant,
Mourir d’vn coup de lance, ou du choc d’vne pique,
Comme les Paladins de la saison antique,
Et respendant l’esprit, blessé par quelque endroit,
Que nostre Ame s’enuolle en Paradis tout droit.
Ha ! que c’est chose belle & fort bien ordonnée,
Dormir dedans vn lict la grasse matinee,
En Dame de Paris, s’habiller chaudement,
A la table s’asseoir, manger humainement,
Se reposer vn peu, puis monter en carosse,
Aller à Gentilly caresser vne rosse,
Pour escroquer sa fille & venant à l’effect,
Luy monstrer comme Iean, à sa mere le fait.
Ha ! Dieu pourquoy faut-il que mon esprit ne vaille,
Autant que cil qui mist les Souris en bataille,
Qui sceut à la Grenouille aprendre son caquet,
Ou que l’autre qui fist en vers vn Sopiquet,
Ie ferois esloigné de toute raillerie,
Vn pœme grand, & beau, de la poltronnerie,
En depit de l’honneur, & des femmes qui l’ont,
D’effect sous la chemise, ou d’aparance au front,
Et m’asseure pour moy qu’en ayant leu l’Histoire,
Elles ne seroient plus si sottes que d’y croire.
Mais quand ie considere où l’Ingrat nous reduit,
Comme il nous ensorcelle & comme il nous seduit,
Qu’il assemble en festin, au Regnard, la Ciguoigne,
Et que son plus beau ieu ne gist rien qu’en sa troigne :
Celuy le peut bien dire à qui des le berceau,
Ce malheureux Honneur a tint le becq en l’eau,
Qui le traine à tastons, quelque part qu’il puisse estre,
Ainsi que fait vn chien, vn aueugle, son maistre :
Qui s’en va doucement apres luy, pas à pas,
Et librement se fie à ce qu’il ne voit pas.
S’il veut que plus long tans à ces discours ie croye,
Qu’il m’offre à tout le moins quelque chose qu’on voye,
Et qu’on sauoure, affin qu’il se puisse sçauoir
Si le goust dement point ce que l’œil en peut voir.
Autrement quant à moy ie lui fay banqueroute,
Estant imperceptible il est comme la Goutte :
Et le mal qui caché nous oste l’embon-point,
Qui nous tuë à veu’ d’œil, & que l’on ne voit point.
On a beau se charger de telle marchandise,
A peine en auroit on vn Catrin à Venise,
Encor qu’on voye apres, courir certains cerueaux,
Comme apres les raisins, courent les Estourneaux.
Que font tous ces vaillans de leur valeur gueriere,
Qui touchent du penser l’Etoille poussiniere,
Morguent la Destinee & gourmendent la mort,
Contre qui rien ne dure, & rien n’est assez fort,
Et qui tout transparants de claire renommée,
Dressent cent fois le iour, en discours vne armee,
Donnent quelque bataille, & tuant vn chacun,
Font que mourir & viure à leur dire n’est qu’vn :
Releuez, emplumez, braues comme sainct George,
Et Dieu sçait cependant s’ils mentent par la gorge,
Et bien que de l’honneur, ils facent des leçons,
Enfin au fond du sac, ce ne sont que chansons.
Mais mon Dieu que ce Traistre est d’vne estrange sorte,
Tandis qu’à le blasmer la raison me transporte,
Que de luy ie mesdis, il me flate, & me dit
Que ie veux par ces vers acquerir son credit,
Que c’est ce que ma Muse en trauaillant pourchasse,
Et mon intention qu’estre en sa bonne grace,
Qu’en medisant de luy ie le veux requerir,
Et tout ce que ie fay que c’est pour l’aquerir.
Si ce n’est qu’on diroit qu’il me l’auroit fait faire,
Ie l’irois apeller comme mon aduersaire,
Aussi que le duël est icy defendu,
Et que d’vne autre part i’ayme l’Indiuidu.
Mais tandis qu’en colere à parler ie m’areste,
Ie ne m’aperçoy pas, que la viande est preste,
Qu’icy non plus qu’en France on ne s’amuse pas
A discourir d’honneur quand on prend son repas,
Le sommelier en haste, est sorty de la caue,
Desia Monsieur le maistre, & son monde se laue,
Trefues auecq’ l’honneur, ie m’en vais tout courant,
Decider au Tinel vn autre different.
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