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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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A Monsieur le Marquis de Cœuures.
Satyre VII.
Sotte, & facheuse humeur, de la plus part des hommes
Qui suyuant ce qu’ils sont, iugent ce que nous sommes,
Et sucrant d’vn soûris vn discours ruineux,
Acusent vn chacun des maux qui sont en eux,
Nostre Melancolique en sçauoit bien que dire,
Qui nous pique en riant, & nous flate sans rire,
Qui porte vn cœur de sang, desous vn front blemy,
Et duquel il vaut moins estre amy qu’ennemy.
Vous qui tout au contraire auez dans le courage
Les mesmes mouuemens qu’on vous lit au visage,
Et qui parfaict amy voz amis espargnez,
Et de mauuais discours leur vertu n’eborgnez,
Dont le cœur grand, & ferme, au changement ne ploye,
Et qui fort librement, en l’orage s’employe,
Ainsi qu’vn bon patron, qui soigneux, sage, & fort,
Sauue ses compagnons, & les conduit à bord.
Congnoissant doncq’ en vous vne vertu facille
A porter les defauts d’vn esprit imbecille,
Qui dit sans aucun fard, ce qu’il sent librement,
Et dont iamais le cœur, la bouche ne dement,
Comme à mon confesseur vous ouurant ma pensée,
De ieunesse, & d’Amour, follement incensée,
Ie vous conte le mal, où trop enclin ie suis,
Et que prest à laisser ie ne veux & ne puis,
Tant il est mal aisé d’oster auecq’ estude,
Ce qu’on a de nature, ou par longue habitude.
Puis la force me manque, & n’ay le iugement
De conduire ma barque en ce rauissement,
Au gouffre du plaisir la courante m’emporte ;
Tout ainsi qu’vn cheual qui a la bouche forte,
I’obeis au caprice, & sans discretion,
La raison ne peut rien dessus ma passion.
Nulle loy ne retient mon ame abandonnée,
Ou soit par volonté, ou soit par Destinée
En vn mal euident ie clos l’œil à mon bien :
Ny conseil, ny raison, ne me seruent de rien.
Ie choppe par dessein, ma faute est volontaire,
Ie me bande les yeux, quand le Soleil m’éclaire :
Et contant de mon mal ie me tien trop heureux
D’estre comme ie suis, en tous lieux amoureux,
Et comme à bien aymer mille causes m’inuitent,
Aussi mille beautez mes amours ne limitent,
Et courant çà, & là, ie trouue tous les iours,
En des suiets nouueaux de nouuelles amours.
Si de l’œil du desir, vne femme i’auise,
Ou soit belle, ou soit laide, ou sage, ou mal aprise,
Elle aura quelque trait qui de mes sens vainqueur,
Me passant par les yeux me bleçera le cœur :
Et c’est comme vn miracle, en ce monde où nous sommes,
Tant l’aueugle apetit ensorcelle les hommes
Qu’encore qu’vne femme aux amours fasse peur,
Que le Ciel, & Venus, la voye à contre-cœur,
Toutesfois estant femme, elle aura ses delices,
Releuera sa grace auecq’ des artifices,
Qui dans l’estat d’amour la sçauront maintenir,
Et par quelques atraits les amans retenir.
Si quelqu’vne est difforme, elle aura bonne grace,
Et par l’art de l’Esprit, embellira sa face,
Captiuant les Amans des mœurs, ou du discours,
Elle aura du credit en l’Empire d’amours.
En cela l’on cognoist que la Nature est sage,
Qui voyant les deffaux du fœminin ouurage,
Qu’il seroit sans respect, des hommes meprisé,
L’anima d’vn esprit, & vif, & deguisé :
D’vne simple innocence elle adoucit sa face,
Elle luy mist au sein, la ruse, & la falace,
Dans sa bouche la foy, qu’on donne à ses discours,
Dont ce sexe trahit les Cieux, & les amours,
Et selon plus ou moins qu’elle estoit belle, ou laide,
Sage elle sçeut si bien vser d’vn bon remede,
Diuisant de l’esprit, la grace, & la beauté,
Qu’elle les separa d’vn & d’autre costé,
De peur qu’en les ioignant quelqu’vne eust l’auantage,
Auecq’ vn bel esprit d’auoir vn beau visage.
La belle du depuis ne le recherche point,
Et l’esprit rarement à la beauté se ioint.
Or affin que la laide autrement inutille,
Dessous le ioug d’amour rendit l’homme seruille,
Elle ombragea l’esprit d’vn morne aueuglement,
Auecques le desir troublant le iugement,
De peur que nulle femme, ou fust laide, ou fust belle,
Ne vescust sans le faire, & ne mourust pucelle.
D’où vient que si souuent les hommes offusquez
Sont de leurs apetis si lourdement moquez,
Que d’vne laide femme ils ont l’ame eschauffée,
Dressent à la laideur d’eux mesmes vn trophée,
Pensent auoir trouué la febue du gasteau,
Et qu’au sarail du Turc il n’est rien de si beau.
Mais comme les beautez soit des corps, ou des ames,
Selon l’obiect des sens sont diuerses aux Dames,
Aussi diuersement les hommes sont domtez,
Et font diuers effets les diuerses beautez :
(Estrange prouidence, & prudente methode
De Nature qui sert vn chascun à sa mode.)
Or moy qui suis tout flame & de nuit & de iour,
Qui n’haleine que feu, ne respire qu’amour,
Ie me laisse emporter à mes flames communes,
Et cours sous diuers vens de diuerses fortunes,
Rauy de tous obiects, i’ayme si viuement,
Que ie n’ay pour l’amour ny chois, ny iugement :
De toute election, mon ame est depourueuë,
Et nul obiect certain ne limite ma veuë.
Toute femme m’agrée, & les perfections
Du corps ou de l’esprit troublent mes passions.
I’ayme le port de l’vne, & de l’autre la taille,
L’autre d’vn trait lacif, me liure la bataille,
Et l’autre dedaignant d’vn œil seuere, & dous,
Ma peine, & mon amour, me donne mille coups,
Soit qu’vne autre modeste à l’impourueu m’auise,
De vergongne, & d’amour mon ame est toute éprise,
Ie sens d’vn sage feu mon esprit enflamer,
Et son honnesteté me contrainct de l’aymer.
Si quelque autre afettée en sa douce malice,
Gouuerne son œillade auecq’ de l’artifice,
I’ayme sa gentillesse, & mon nouueau desir
Se la promet sçauante en l’amoureux plaisir.
Que l’autre parle liure, & fasse des merueilles,
Amour qui prend par tout me prend par les oreilles,
Et iuge par l’esprit parfaict en ses acords,
Des points plus acomplis que peut auoir le corps :
Si l’autre est au rebours des lettres nonchalante,
Ie croy qu’au fait d’amour elle sera sçauante,
Et que nature habille à couurir son deffaut
Luy aura mis au lict tout l’esprit qu’il luy faut.
Ainsi de toute femme à mes yeux opposée,
Soit parfaite en beauté, ou soit mal composée,
De mœurs, ou de façons, quelque chose m’en plaist,
Et ne sçay point comment, ny pourquoy, ny que c’est.
Quelque obiect que l’esprit, par mes yeux, se figure,
Mon cœur tendre à l’amour, en reçoit la pointure :
Comme vn miroir en soy toute image reçoit,
Il reçoit en amour quelque obiect que ce soit,
Autant qu’vne plus blanche, il ayme vne brunette,
Si l’vne a plus d’esclat, l’autre est plus sadinette,
Et plus viue de feu, d’amour, & de desir,
Comme elle en reçoit plus, donne plus de plaisir.
Mais sans parler de moy que toute amour emporte,
Voyant vne beauté folatrement acorte,
Dont l’abord soit facile, & l’œil plain de douceur,
Que semblable à Venus on l’estime sa sœur,
Que le Ciel sur son front ait posé sa richesse,
Qu’elle ait le cœur humain, le port d’vne Déesse,
Qu’elle soit le tourment, & le plaisir des cœurs,
Que Flore sous ses pas fasse naistre des fleurs,
Au seul trait de ses yeux, si puissans sur les ames,
Les cœurs les plus glacez sont tous brulans de flames,
Et fut-il de metail, ou de bronze, ou de roc,
Il n’est Moine si sainct qui n’en quittast le froc.
Ainsi moy seulement sous l’Amour ie ne plie,
Mais de tous les mortels la nature accomplie
Flechit sous cest Empire, & n’est homme icy bas,
Qui soit exempt d’amour, non plus que du trepas.
Ce n’est doncq’ chose estrange (estant si naturelle)
Que ceste passion me trouble la ceruelle,
M’empoisonne l’esprit, & me charme si fort,
Que i’aimeray, ie croye, encore apres ma mort.
Marquis voilà le vent dont ma nef est portée,
A la triste mercy de la vague indomtée,
Sans cordes, sans timon, sans etoille, ny iour,
Reste ingrat, & piteux de l’orage d’amour,
Qui contant de mon mal, & ioyeux de ma perte,
Se rit de voir de flots ma poitrine couuerte,
Et comme sans espoir flote ma passion,
Digne non de risée, ains de compassion.
Cependant incertain du cours de la tempeste,
Ie nage sur les flots, & releuant la teste,
Ie semble depiter naufrage audacieux,
L’infortune, les vents, la marine, & les Cieux,
M’egayant en mon mal comme vn melancolique
Qui repute à vertu son humeur frenetique,
Discourt de son caprice, en caquete tout haut :
Aussi comme à vertu i’estime ce deffaut,
Et quand tout par malheur iureroit mon dommage,
Ie mourray fort contant mourant en ce voyage.
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