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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index

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Satyre.

Perclus d’vne jambe, & des bras,
Tout de mon long entre deux dras,
Il ne me reste que la langue
Pour vous faire cette harangue.
Vous sçavés que i’ay pension,
Et que l’on a pretention,
Soit par sotise, ou par malice,
Embarrassant le Benefice,
Me rendre, en me torchant le bec,
Le ventre creux comme vn rebec.
On m’en baille en discours de belles,
Mais de l’argent point de nouvelles ;
Encore au lieu de payement,
On parle d’vn retranchement,
Me faisant au nez grise mine,
Que l’Abbaye est en ruine,
Et ne vaut pas, beaucoup s’en faut,
Les deux mille francs qu’il me faut ;
Si bien que ie juge, à son dire,
Malgré le feu Roy nostre Sire,
Qu’il desireroit volontiers
Lâchement me reduire au tiers.
Ie laisse à part ce facheux conte ;
Au Primtemps que la bile monte
Par les veines dans le cerveau,
Et que l’on sent au renouveau,
Son Esprit fécond en sornettes,
Il fait mauvais se prendre aux Poëtes ;
Toutesfois, ie suis de ces Gens
De toutes choses négligens,
Qui vivant au iour la iournée,
Ne contrôllent leur destinée,
Oubliant, pour se mettre en paix,
Les injures & les bien-faits,
Et s’arment de Philosophie ;
Il est pourtant fou qui s’y fie ;
Car la Dame indignation
Est vne forte passion.
Estant donc en mon lit malade,
Les yeux creux, & la bouche fade,
Le teint iaune comme vn espy,
Et non pas l’esprit assoupy,
Qui dans ses caprices s’égaye,
Et souvent se donne la baye,
Se feignant, pour passer le temps,
Avoir cent mille escus contans,
Avec cela large campagne ;
Ie fais des chasteaux en Espagne,
I’entreprens partis sur partis,
Toutesfois, je vous avertis,
Pour le Sel, que ie m’en deporte,
Que ie n’en suis en nulle sorte,
Non plus que du droit Annuël,
Ie n’ayme point le Casuël,
I’ay bien vn avis d’autre estoffe,
Dont du Luat le Philosophe,
Désigne rendre au Consulat
Le nez fait comme vn cervelat :
Si le Conseil ne s’y oppose,
Vous verrez vne belle chose.
Mais laissant-là tous ces proiets,
Ie ne manque d’autres suiets,
Pour entretenir mon caprice
En vn fantastique exercice ;
Ie discours des neiges d’antan,
Ie prens au nid le vent d’autan,
Ie pete contre le Tonnerre,
Aux papillons ie fais la guerre,
Ie compose Almanachs nouveaux,
De rien ie fais brides à Veaux,
A la S. Iean ie tends aux Gruës,
Ie plante des pois par les ruës,
D’vn baston ie fais vn cheval,
Ie voy courir la Seine à val,
Et beaucoup de choses, beau sire,
Que ie ne veux, & n’ose dire.
Apres cela, ie peinds en l’air,
I’apprens aux asnes à voler,
Du Bordel ie fais la Chronique,
Aux chiens j’apprens la Rhetorique ;
Car, enfin, ou Plutarque ment,
Ou bien ils ont du iugement.
Ce n’est pas tout, ie dis sornettes,
Ie dégoise des Chansonnettes,
Et vous dis, qu’auec grand effort,
La Nature pâtit tres-fort.
Ie suis si plein que ie regorge,
Si vne fois ie rens ma gorge,
Eclatant ainsi qu’vn petard,
On dira, le Diable y ayt part.
Voila comme le temps ie passe,
Si ie suis las, ie me délasse,
I’écris, ie lis, ie mange & boy,
Plus heureux cent fois que le Roy,
(Ie ne dis pas le Roy de France,)
Si ie n’estois court de finance.
Or, pour finir, voila comment
Ie m’entretiens bisarrement,
Et prenez-moy les plus extremes
En sagesse, ils vivent de mesmes,
N’estant l’humain entendement
Qu’vne grotesque seulement.
Vuidant des bouteilles cassées,
Ie m’embarasse en mes pensées,
Et quand i’y suis bien embrouïllé,
Ie me couvre d’vn sac mouïllé.
Faute de papier, bona sere,
Qui a de l’argent, si le serre.
Votre Serviteur à iamais,
Maistre Ianin du Pontalais.
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