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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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Complainte.
Stances.
Vous qui violentez nos volontez subiectes,
Oyez ce que ie dis, voyez ce que vous faictes :
Plus vous la fermerez, plus ferme elle sera,
Plus vous la forcerez, plus elle aura de force.
Plus vous l’amortirez, plus elle aura d’amorce,
Plus elle endurera, plus elle durera.
Cachez-la, serrez-la, tenez-la bien contrainte,
L’atache de nos cœurs d’vne amoureuse estraincte
Nous couple beaucoup plus que l’on ne nous desioinct ;
Nos corps sont desunis, nos ames enlacees,
Nos corps sont separez & non point nos pensees :
Nous sommes desunis, & ne le sommes point.
Vous me faictes tirer profit de mon dommage,
En croissant mon tourment vous croissez mon courage ;
En me faisant du mal vous me faictes du bien,
Vous me rendez content me rendant miserable,
Sans vous estre obligé ie vous suis redeuable,
Vous me faictes beaucoup & ne me faictes rien.
Ce n’est pas le moyen de me pouuoir distraire,
L’ennemy se rend fort voyant son aduersaire,
Au fort de mon malheur ie me roidis plus fort.
Ie mesure mes maux auecques ma constance :
I’ay de la passion & de la patience,
Ie vis iusqu’à la mort, i’ayme iusqu’à la mort.
Bandez vous contre moi : que tout me soit contraire,
Tous vos efforts sont vains, & que pourrez-vous faire ?
Ie sens moins de rigueur que ie n’ay de vigueur.
Comme l’or se rafine au milieu de la flamme,
Ie despite ce feu où i’espure mon ame,
Et vay contre-carrant ma force & ma langueur.
Le Palmier genereux, d’vne constante gloire
Tousiours s’opiniastre à gaigner la victoire,
Qui ne se rend iamais à la mercy du poids,
Le poids le faict plus fort & l’effort le renforce,
Et surchargeant sa charge on renforce sa force.
Il esleue le faix en esleuant son bois.
Et le fer refrappé sous les mains résonnantes
Deffie des marteaux les secousses battantes,
Est battu, combattu & non pas abbatu,
Ne craint beaucoup le coup, se rend impenetrable,
Se rend en endurant plus fort & plus durable,
Et les coups redoublez redoublent sa vertu,
Par le contraire vent en soufflantes bouffées
Le feu va ratisant ses ardeurs estouffées :
Il bruit au bruit du vent, souffle au soufflet venteux,
Murmure, gronde, cracque à longues hallenees,
Il tonne, estonne tout de flammes entonnees :
Ce vent disputé bouffe & bouffit despiteux.
Le faix, le coup, le vent, roidit, durcit, embraze
L’arbre, le fer, le feu par antiperistase.
On me charge, on me bat, on m’esuente souuent.
Roidissant, durcissant & bruslant en mon ame,
Ie fais comme la palme & le fer & la flamme
Qui despite le faix & le coup & le vent.
Le faix de mes trauaux esleue ma constance,
Le coup de mes malheurs endurcit ma souffrance,
Le vent de ma fortune attise mes desirs.
Toy pour qui ie patis, subiect de mon attente,
O ame de mon ame, sois contente & constante,
Et ioyeuse iouys de mes tristes plaisirs.
Nos deux corps sont à toy, ie ne suis plus que d’ombre,
Nos ames sont à toy, ie ne sers que de nombre,
Las, puis que tu es tout, & que ie ne suis rien,
Ie n’ay rien en t’ayant, ou i’ay tout au contraire.
Auoir, & rien, & tout, comme se peut-il faire ?
C’est que i’ay tous les maux, & ie n’ay point de bien.
I’ay vn ciel de desirs, vn monde de tristesse,
Vn vniuers de maux, mille feux de détresse,
I’ay vn ciel de sanglots & vne mer de pleurs,
I’ay mille iours d’enuis, mille iours de disgrace,
Vn printemps d’esperance, & vn hyuer de glace,
De souspirs vn automne, vn esté de chaleurs.
Clair soleil de mes yeux, si ie n’ay ta lumiere,
Vne aueugle nuee enuite ma paupiere,
Vne pluie de pleurs decoule de mes yeux,
Les clairs esclairs d’amour, les esclats de son foudre
Entrefendent mes nuicts & m’ecrasent en poudre :
Quand i’entonne mes cris, lors i’estonne les Cieux.
Vous qui lisez ces vers larmoyez tous mes larmes,
Souspirez mes souspirs vous qui lisiez mes Carmes,
Car vos pleurs & mes pleurs amortiront mes feux,
Vos souspirs, mes souspirs animeront ma flame,
Le feu s’estaint de l’eau & le soufle l’enflamme.
Pleurez doncques tousiours & ne souspirez plus.
Tout moite, tout venteux, ie pleure, ie souspire
Pour esteignant mon feu, amortir le martyre,
Mais l’humeur est trop loing, & le soufle trop pres.
Le feu s’esteint soudain, soudain il se renflamme.
Si les eaux de mes pleurs amortissent ma flamme,
Les vents de mes desirs la ratisent apres.
La froide Sallamandre au chaud antipatique,
Met parmy le brasier sa froideur en pratique,
Et la bruslante ardeur n’y nuict que point ou peu ;
Ie dure dans le feu comme la Sallamandre,
Le chaud ne la consomme, il ne me met en cendre,
Elle ne craint la flamme, & ie ne crains le feu.
Mais elle est sans le mal, & moy sans le remede,
Moi extremement chaud, elle extremement froide,
Si ie porte mon feu, elle porte son glas,
Loing ou pres de la flamme, elle ne craint la flamme,
Ou pres ou loing du feu, i’ay du feu dans mon ame,
Elle amortit son feu, & ie ne l’esteins pas.
Belle ame de mon corps, bel esprit de mon ame,
Flamme de mon esprit & chaleur de ma flamme,
I’enuie tous les vifs, i’enuie tous les morts,
Ma vie, si tu veux, ne peut estre rauie,
Veu que ta vie est plus la vie de ma vie
Que ma vie n’est pas la vie de mon corps.
Ie vis par & pour toy ainsi que pour moy mesme,
Tu vis par & pour moy ainsi que pour toy mesme :
Nous n’auons qu’vne vie & n’auons qu’vn trespas.
Ie ne veux pas ta mort, ie desire la mienne,
Mais ma mort est ta mort, & ma vie est la tienne,
Aussi ie veux mourir & ie ne le veux pas.
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