← Retour
Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
16px
100%
Macette
Satyre XIII.
La fameuse Macette à la Cour si connuë,
Qui s’est aux lieux d’honneur en credit maintenuë,
Et qui depuis dix ans, iusqu’en ses derniers iours,
A soustenu le prix en l’escrime d’amours,
Lasse en fin de seruir au peuple de quintaine,
N’estant passe-volant, soldat ny capitaine,
Depuis les plus chetifs iusques aux plus fendants,
Qu’elle n’ait desconfit & mis dessus les dents,
Lasse, di-ie, & non soule enfin s’est retiree
Et n’a plus autre obiet que la voute Etheree,
Elle qui n’eust auant que plorer son delit
Autre ciel pour obiet que le ciel de son lict,
A changé de courage, & confitte en destresse
Imite auec ses pleurs la saincte pecheresse,
Donnant des sainctes loix à son affection,
Elle a mis son amour à la deuotion.
Sans art elle s’habille & simple en contenance,
Son teint mortifié presche la continence,
Clergesse elle fait ià la leçon aux prescheurs,
Elle lit sainct Bernard, la Guide des Pecheurs,
Les Meditations de la mere Therese,
Sçait que c’est qu’hypostase, auecque synderese,
Iour & nuict elle va de conuent en conuent,
Visite les saincts lieux, se confesse souuent,
A des cas reseruez grandes intelligences,
Sçait du nom de Iesus toutes les Indulgences,
Que valent chapelets, grains benits enfilez,
Et l’ordre du cordon des peres recollez.
Loin du monde elle fait sa demeure & son giste,
Son œil tout penitent ne pleure qu’eau beniste,
En fin c’est vn exemple en ce siecle tortu
D’amour, de charité, d’honneur & de vertu.
Pour Beate par tout le peuple la renomme,
Et la Gazette mesme a des-ià dit à Rome
La voyant aymer Dieu & la chair maistriser
Qu’on n’attend que sa mort pour la canoniser.
Moy mesme qui ne croy de leger aux merueilles,
Qui reproche souuent mes yeux & mes oreilles,
La voyant si changée en vn temps si subit,
Ie creu qu’elle l’estoit d’ame comme d’habit,
Que Dieu la retiroit d’vne faute si grande,
Et disois à par moy, mal vit qui ne s’amende,
Ià des-ià tout deuot contrit & penitent,
Ie fus à son exemple esmeu d’en faire autant,
Quand par arrest du Ciel qui hait l’hypocrisie,
Au logis d’vne fille où i’ay ma fantaisie,
N’ayant pas tout à fait mis fin à ses vieux tours,
La vieille me rendit tesmoin de ses discours.
Tapy dans vn recoin & couuert d’vne porte
I’entendy son propos, qui fut de ceste sorte,
Ma fille, Dieu vous garde & vous vueille benir,
Si ie vous veux du mal, qu’il me puisse aduenir,
Qu’eussiez vous tout le bien dont le Ciel vous est chiche,
L’ayant ie n’en seroy plus pauure ny plus riche :
Car n’estant plus du monde au bien ie ne pretens,
Ou bien si i’en desire, en l’autre ie l’attens,
D’autre chose icy bas, le bon Dieu ie ne prie :
A propos, sçauez-vous ? on dit qu’on vous marie,
Ie sçay bien vostre cas, vn homme grand, adroit,
Riche & Dieu sçait s’il a tout ce qu’il vous faudroit,
Il vous ayme si fort, aussi pourquoy ma fille
Ne vous aimeroit-il, vous estes si gentille,
Si mignonne & si belle, & d’vn regard si doux,
Que la beauté plus grande est laide aupres de vous :
Mais tout ne respond pas au traict de ce visage,
Plus vermeil qu’vne rose & plus beau qu’vn riuage,
Vous deuriez estant belle auoir de beaux habits,
Esclater de satin, de perles, de rubis.
Le grand regret que i’ay, non pas à Dieu ne plaise,
Que i’en ay’ de vous voir belle & bien à vostre aise :
Mais pour moy ie voudrois que vous eussiez au moins
Ce qui peut en amour satisfaire à vos soins,
Que cecy fust de soye & non pas d’estamine.
Ma foy les beaux habits seruent bien à la mine,
On a beau s’agencer & faire les doux yeux,
Quand on est bien paré on en est tousiours mieux :
Mais sans auoir du bien, que sert la renommee ?
C’est vne vanité confusement semee,
Dans l’esprit des humains vn mal d’opinion,
Vn faux germe auorté dans nostre affection.
Ces vieux contes d’honneur dont on repaist les Dames
Ne sont que des appas pour les debiles ames
Qui sans chois de raison ont le cerueau perclus.
L’honneur est vn vieux sainct que l’on ne chomme plus.
Il ne sert plus de rien, sinon d’vn peu d’excuse,
Et de sot entretien pour ceux là qu’on amuse,
Ou d’honneste refus quand on ne veut aymer,
Il est bon en discours pour se faire estimer :
Mais au fonds c’est abus sans excepter personne,
La sage le sçait vendre où la sotte le donne.
Ma fille c’est par là qu’il vous en faut auoir,
Nos biens comme nos maux sont en nostre pouuoir,
Fille qui sçait son monde a saison oportune,
Chacun est artisan de sa bonne fortune,
Le mal-heur par conduite au bonheur cedera.
Aydez vous seulement & Dieu vous aydera.
Combien pour auoir mis leur honneur en sequestre,
Ont elles aux atours eschangé le limestre,
Et dans les plus hauts rangs esleué leurs maris :
Ma fille c’est ainsi que l’on vit à Paris,
Et la vefue aussi bien comme la mariee,
Celle est chaste sans plus qui n’en est point priee.
Toutes au fait d’amour se chaussent en vn poinct
Et Ieanne, que tu vois dont on ne parle point,
Qui fait si doucement la simple & la discrete
Elle n’est pas plus chaste, ains elle est plus secrete,
Elle a plus de respect non moins de passion
Et cache ses amours sous sa discretion.
Moy mesme croiriez vous pour estre plus âgee
Que ma part comme on dit en fust desià mangee,
Non ma foy ie me sents & dedans & dehors
Et mon bas peut encor vser deux ou trois corps.
Mais chasque âge a son temps, selon le drap la robe,
Ce qu’vn temps on a trop en l’autre on le desrobe :
Estant ieune i’ay sceu bien vser des plaisirs,
Ores i’ay d’autres soins en semblables desirs,
Ie veux passer mon temps & couurir le mystere,
On trouue bien la cour dedans vn monastere,
Et apres maint essay en fin i’ay reconnu
Qu’vn homme comme vn autre est vn moine tout nu,
Puis outre le sainct vœu qui sert de couuerture,
Ils sont trop obligez au secret de nature
Et sçauent plus discrets apporter en aymant,
Auecque moins d’esclat plus de contentement.
C’est pourquoy desguisant les boüillons de mon ame,
D’vn long habit de cendre enuelopant ma flame,
Ie cache mon dessein aux plaisirs adonné,
Le peché que l’on cache est demi pardonné,
La faute seullement ne gist en la deffence,
Le scandale & l’opprobre est cause de l’offence,
Pourueu qu’on ne le sçache il n’importe comment,
Qui peut dire que non ne peche nullement,
Puis la bonté du Ciel nos offences surpasse,
Pourueu qu’on se confesse on a tousiours sa grace,
Il donne quelque chose à nostre passion,
Et qui ieune n’a pas grande deuotion,
Il faut que pour le monde à la feindre il s’exerce :
« C’est entre les deuots vn estrange commerce,
« Vn trafic par lequel au ioly temps qui court,
« Toute affaire fascheuse est facile à la Cour.
Ie sçay bien que vostre âge encore ieune & tendre,
Ne peut ainsi que moy ces mysteres comprendre :
Mais vous deuriez ma fille en l’âge où ie vous voy,
Estre riche, contente, auoir fort bien dequoy,
Et pompeuse en habits, fine, accorte & rusee,
Reluire de ioyaux ainsi qu’vne espousée :
Il faut faire vertu de la necessité,
Qui sçait viure icy bas n’a iamais pauureté,
Puis qu’elle vous deffend des dorures l’vsage,
Il faut que les brillants soient en vostre visage,
Que vostre bonne grace en acquiere pour vous :
« Se voir du bien, ma fille, il n’est rien de si doux,
« S’enrichir de bonne heure est vne grand’ sagesse,
« Tout chemin d’acquerir se ferme à la vieillesse
« A qui ne reste rien auec la pauureté,
« Qu’vn regret espineux d’auoir iadis esté,
Où lors qu’on a du bien, il n’est si decrepite
Qui ne trouue (en donnant) couuercle à sa marmite.
Non, non, faites l’amour, & vendez aux amans
Vos accueils, vos baisers & vos embrassemens,
C’est gloire & non pas honte en ceste douce peine
Des acquests de son lict accroistre son domaine,
Vendez ces doux regards, ces attraicts, ces appas,
Vous mesme vendez vous, mais ne vous liurez pas,
Conseruez vous l’esprit, gardez vostre franchise,
Prenez tout s’il se peut, ne soyez iamais prise.
Celle qui par amour s’engage en ces mal-heurs,
Pour vn petit plaisir, a cent mille douleurs,
Puis vn homme au desduit ne vous peut satisfaire,
Et quand plus vigoureux il le pourroit bien faire,
Il faut tondre sur tout & changer à l’instant,
L’enuie en est bien moindre & le gain plus contant.
Sur tout soyez de vous la maistresse & la dame,
Faites s’il est possible, vn miroir de vostre ame,
Qui reçoit tous obiects & tout content les pert,
Fuyez ce qui vous nuist, aymez ce qui vous sert,
Faites profit de tout, & mesme de vos pertes,
A prendre sagement ayez les mains ouuertes,
Ne faites s’il se peut iamais present ny don,
Si ce n’est d’vn chabot pour auoir vn gardon.
Par fois on peut donner pour les galands attraire,
A ces petits presents ie ne suis pas contraire,
Pourueu que ce ne soit que pour les amorcer :
Les fines en donnant se doiuent efforcer
A faire que l’esprit & que la gentillesse
Face estimer les dons & non pas la richesse.
Pour vous estimez plus qui plus vous donnera,
Vous gouuernant ainsi Dieu vous assistera,
Au reste n’espargnez ny Gaultier ni Garguille,
Qui se trouuera pris ie vous pri’ qu’on l’estrille,
Il n’est que d’en auoir, le bien est tousiours bien,
Et ne vous doit chaloir ny de qui, ny combien.
Prenez à toutes mains, ma fille & vous souuienne,
Que le gain a bon goust de quelque endroit qu’il vienne.
Estimez vos amans selon le reuenu :
Qui donnera le plus qu’il soit le mieux venu,
Laissez la mine à part, prenez garde à la somme,
Riche vilain vaut mieux que pauure Gentil-homme :
Ie ne iuge pour moy les gens sur ce qu’ils sont,
Mais selon le profit & le bien qu’ils me font.
Quand l’argent est meslé l’on ne peut reconnoistre
Celuy du seruiteur d’auec celuy du maistre,
L’argent d’vn cordon bleu n’est pas d’autre façon
Que celuy d’vn fripier ou d’vn aide à maçon,
Que le plus & le moins y mette difference
Et tienne seullement la partie en souffrance,
Que vous restablirez du iour au lendemain
Et tousiours retenez le bon bout à la main,
De crainte que le temps ne destruise l’affaire,
Il faut suiure de pres le bien que l’on differe
Et ne le differer qu’entant que l’on le peut,
Ou se puisse aisement restablir quand on veut.
Tous ces beaux suffisans, dont la cour est semee,
Ne sont que triacleurs & vendeurs de fumee,
Ils sont beaux, bien peignez, belle barbe au menton :
Mais quand il faut payer, au diantre le teston,
Et faisant des mouuans & de l’ame saisie,
Ils croyent qu’on leur doit pour rien la courtoisie,
Mais c’est pour leur beau nez : le puits n’est pas commun,
Si i’en auois vn cent, ils n’en auroient pas vn.
Et le Poëte croté auec sa mine austere
Vous diriez à le voir que c’est vn secretaire,
Il va melancolique & les yeux abaissez,
Comme vn Sire qui plaint ses parens trespassez,
Mais Dieu sçait, c’est vn homme aussi bien que les autres.
Iamais on ne luy voit aux mains des patenostres,
Il hante en mauuais lieux, gardez vous de cela,
Non, si i’estoy de vous, ie le planteroy là.
Et bien il parle liure, il a le mot pour rire :
Mais au reste apres tout, c’est vn homme à Satyre,
Vous croiriez à le voir qu’il vous deust adorer,
Gardez, il ne faut rien pour vous des-honorer.
Ces hommes mesdisans ont le feu sous la leure,
Ils sont matelineurs, prompts à prendre la cheure,
Et tournent leurs humeurs en bijarres façons,
Puis ils ne donnent rien si ce n’est des chansons :
Mais non, ma fille non, qui veut viure à son aise,
Il ne faut simplement vn amy qui vous plaise,
Mais qui puisse au plaisir ioindre l’vtilité,
En amour autrement c’est imbecilité,
Qui le fait à credit n’a pas grande resource,
On y fait des amis, mais peu d’argent en bourse.
Prenez moy ces Abbez, ces fils de financiers
Dont depuis cinquante ans les peres vsuriers,
Volans à toutes mains, ont mis en leur famille
Plus d’argent que le Roy n’en a dans la Bastille,
C’est là que vostre main peut faire de beaux cous,
Ie sçay de ces gens là qui languissent pour vous :
Car estant ainsi ieune en vos beautez parfaites,
Vous ne pouuez sçauoir tous les coups que vous faites,
Et les traicts de vos yeux haut & bas eslancez,
Belle, ne voyent pas tous ceux que vous blessez,
Tel s’en vient plaindre à moy qui n’ose le vous dire,
Et tel vous rit de iour qui toute nuict souspire,
Et se plaint de son mal, d’autant plus vehement,
Que vos yeux sans dessein le font innocemment.
En amour l’innocence est vn sçauant mystere,
Pourueu que ce ne soit vne innocence austere,
Mais qui sçache par art donnant vie & trespas,
Feindre auecques douceur qu’elle ne le sçait pas :
Il faut aider ainsi la beauté naturelle,
L’innocence autrement est vertu criminelle,
Auec elle il nous faut & blesser & garir,
Et parmy les plaisirs faire viure & mourir.
Formez vous des desseins dignes de vos merites,
Toutes basses amours sont pour vous trop petites,
Ayez dessein aux dieux, pour de moindres beautez
Ils ont laissé iadis les cieux des-habitez.
Durant tous ces discours, Dieu sçait l’impatience :
Mais comme elle a tousiours l’œil à la deffiance,
Tournant deçà delà vers la porte où i’estois,
Elle vist en sursaut comme ie l’escoutois,
Elle trousse bagage, & faisant la gentille,
Ie vous verray demain, à Dieu, bon soir ma fille.
Ha vieille, dy-ie lors, qu’en mon cœur ie maudis,
Est-ce là le chemin pour gaigner Paradis,
Dieu te doint pour guerdon de tes œuures si sainctes,
Que soient auant ta mort tes prunelles esteintes,
Ta maison descouuerte & sans feu tout l’Hyuer,
Auecque tes voisins iour & nuict estriuer
Et trainer sans confort triste & desesperee,
Vne pauure vieillesse & tousiours alteree.
Chargement de la publicité...