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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index

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A Monsieur de Forqueuaus.

Satyre XVI.

Puisque le iugement nous croist par le dommage,
Il est temps Forqueuaus, que ie deuienne sage,
Et que par mes trauaux i’apprenne à l’auenir
Comme en faisant l’amour on se doit maintenir :
Apres auoir passé tant & tant de trauerses,
Auoir porté le ioug de cent beautez diuerses,
Auoir en bon soldat combatu nuict & iour,
Ie dois estre routier en la guerre d’Amour,
Et comme vn vieux guerrier blanchi dessous les armes
Sçauoir me retirer des plus chaudes alarmes,
Destourner la fortune, & plus fin que vaillant,
Faire perdre le coup au premier assaillant,
Et sçauant deuenu par vn long exercice,
Conduire mon bonheur auec de l’artifice,
Sans courir comm’ vn fou saizy d’aueuglement,
Que le caprice emporte, & non le iugement :
Car l’esprit en amour sert plus que la vaillance,
Et tant plus on s’efforce, & tant moins on auance.
Il n’est que d’estre fin & de soir, ou de nuit,
Surprendre si l’on peut l’ennemy dans le lit.
Du temps que ma ieunesse à l’amour trop ardente
Rendoit d’affection mon ame violente,
Et que de tous costés sans chois ou sans raison
I’allois comme vn limier apres la venaison,
Souuent de trop de cœur i’ay perdu le courage,
Et piqué des douceurs d’vn amoureux visage
I’ay si bien combatu, serré flanc contre flanc,
Qu’il ne m’en est resté vne goutte de sang :
Or sage à mes despens i’esquiue la bataille,
Sans entrer dans le champ i’attens que l’on m’assaille,
Et pour ne perdre point le renom que i’ay eu,
D’vn bon mot du vieux temps ie couure tout mon ieu,
Et sans estre vaillant ie veux que l’on m’estime,
Ou si parfois encor i’entre en [la] vieille escrime,
Ie gouste le plaisir sans en estre emporté,
Et prens de l’exercice au pris de ma santé :
Ie resigne aux plus forts ces grands coups de maitrise,
Accablé sous le fais ie fuy toute entreprise,
Et sans plus m’amuser aux places de renom
Qu’on ne peut emporter qu’à force de Canon,
I’ayme vne amour facile & de peu de defense,
Si ie voi qu’on me rit, c’est là que ie m’auance,
Et ne me veux chaloir du lieu, grand ou petit,
La viande ne plaist que selon l’appetit.
Toute amour a bon goust pourueu qu’elle recrée
Et s’elle est moins louable, elle est plus asseurée :
Car quand le ieu déplait sans soupçon, ou danger
De coups, ou de poison, il est permis changer.
Aymer en trop haut lieu vne Dame hautaine
C’est aimer en soucy le trauail, & la peine,
C’est nourrir son amour de respect, & de soin,
Ie suis saoul de seruir le chapeau dans le poing,
Et fuy plus que la mort l’amour d’vne grand Dame,
Tousiours comme vn forçat il faut estre à la rame,
Nauiger iour, & nuit, & sans profit aucun
Porter tout seul le fais de ce plaisir commun :
Ce n’est pas, Forqueuaus, cela que ie demande,
Car si ie donne vn coup, ie veux qu’on me le rende,
Et que les combatans à l’egal collerez,
Se donnent l’vn à l’autre autant de coups fourez :
C’est pourquoy ie recherche vne ieune fillette
Experte des longtemps à courir l’eguillette,
Qui soit viue & ardente au combat amoureux,
Et pour vn coup receu qui vous en rende deux.
La grandeur en amour est vice insupportable,
Et qui sert hautement est tousiours miserable,
Il n’est que d’estre libre, & en deniers contans,
Dans le marché d’amour acheter du bon temps,
Et pour le prix commun choisir sa marchandise,
Ou si l’on n’en veut prendre au moins on en deuise,
L’on taste, l’on manie & sans dire combien,
On se peut retirer, l’obiect n’en couste rien :
Au sauoureux traffic de ceste mercerie,
I’ay consumé les iours les plus beaux de ma vie,
Marchant des plus rusez & qui le plus souuent,
Payoit ses creanciers de promesse & de vent,
Et encore n’estoit le hazard, & la perte,
I’en voudrois pour iamais tenir boutique ouuerte,
Mais la risque m’en fasche & si fort m’en deplaist
Qu’au malheur que ie crains ie postpose l’acquest,
Si bien que redoutant la verolle & la goutte,
Ie banny ces plaisirs & leur fais banqueroutte,
Et resigne aux mignons, aueuglez en ce ieu,
Auecques les plaisirs tous les maux que i’ay eu,
Les boutons du printemps, & les autres fleurettes
Que l’on cueille au iardin des douces amourettes,
Le Mercure, & l’eau fort me sont à contre-cœur,
Ie hay l’eau de Gaiac, & l’estoufante ardeur
Des fourneaux enfumez où l’on perd sa substance
Et où lon va tirant vn homme en quintessence.
C’est pourquoy tout à coup ie me suis retiré,
Voulant d’oresnauant demeurer asseuré,
Et comme vn marinier eschappé de l’orage,
Du haure seurement contempler le naufrage,
Ou si par fois encor ie me remets en mer,
Et qu’vn œil enchanteur me contraigne d’aymer,
Combattant mes esprits par vne douce guerre
Ie veux en seureté nauiger terre à terre :
Ayant premierement visité le vaisseau,
S’il est bien calfeutré, ou s’il ne prend point l’eau.
Ce n’est pas peu de cas de faire vn long voyage,
Ie tiens vn homme fous qui quitte le riuage,
Qui s’abandonne aux vents, & pour trop presumer
Se commet aux hazards de l’amoureuse mer :
Expert en ses trauaux pour moy ie la deteste,
Et la fuy tout ainsi comme ie fuy la peste.
Mais aussi, Forqueuaus, comme il est mal-aisé
Que nostre esprit ne soit quelquefois abusé
Des appas enchanteurs de cest enfant volage,
Il faut vn peu baisser le col sous le seruage,
Et donner quelque place aux plaisirs sauoureux :
Car c’est honte de viure & de n’estre amoureux :
Mais il faut en aymant s’aider de la finesse,
Et sçauoir rechercher vne simple maistresse,
Qui sans vous asseruir vous laisse en liberté,
Et ioigne le plaisir auecq la seureté,
Qui ne sache que c’est que d’estre courtisee,
Qui n’ait de maint amour la poitrine embrasee,
Qui soit douce & nicette, & qui ne sache pas,
Apprentiue au mestier, que vallent les appas,
Que son œil, & son cœur, parlent de mesme sorte,
Qu’aucune affection hors de soy ne l’emporte,
Bref qui soit toute à nous, tant que la passion
Entretiendra nos sens en ceste affection :
Si parfois son esprit ou le nostre se lasse
Pour moy ie suis d’auis que l’on change de place,
Qu’on se range autre part, & sans regret aucun
D’absence ou de mespris que l’on ayme vn chacun :
Car il ne faut iurer aux beautez d’vne Dame,
Ains changer par le temps & d’amour & de flame.
C’est le change qui rend l’homme plus vigoureux,
Et qui iusqu’au tombeau le faict estre amoureux :
Nature se maintient pour estre variable,
Et pour changer souuent son estat est durable :
Aussi l’affection dure eternellement,
Pourueu sans se lasser qu’on change à tout moment,
De la fin d’vne amour l’autre naist plus parfaitte,
Comme on voit vn grand feu naistre d’vne bluette.
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