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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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Elegie Zelotipiqve.
Bien que ie sçache au vray tes façons & tes ruses,
I’ay tant & si long temps excusé tes excuses,
Moy-mesme ie me suis mille fois démenty,
Estimant que ton cœur par douceur diuerty,
Tiendroit ses laschetez à quelque conscience :
Mais en fin ton humeur force ma patience.
I’accuse ma foiblesse, & sage à mes despens,
Si ie t’aymay iadis ores ie m’en repens,
Et brisant tous ces nœuds, dont i’ay tant fait de conte,
Ce qui me fut honneur m’est ores vne honte.
Pensant m’oster l’esprit, l’esprit tu m’as rendu,
I’ay regaigné sur moy ce que i’auois perdu,
Ie tire vn double gain d’vn si petit dommage,
Si ce n’est que trop tard ie suis deuenu sage.
Toutes-fois le bon-heur nous doibt rendre contans,
Et pourueu qu’il nous vienne il vient tousiours à temps.
Mais i’ay doncq’ supporté de si lourdes iniures,
I’ay doncq’ creu de ses yeux les lumieres pariures,
Qui me naurant le cœur me promettoient la paix,
Et donné de la foy à qui n’en eut iamais !
I’ay doncq’ leu d’autre main ses lettres contre-faites,
I’ay doncq’ sçeu ses façons, recogneu ses deffaites,
Et comment elle endort de douceur sa maison,
Et trouue à s’excuser quelque fauce raison,
Vn procés, vn accord, quelque achapt, quelques ventes,
Visites de cousins, de freres, & de tantes,
Pendant qu’en autre lieu sans femmes & sans bruict,
Sous pretexte d’affaire elle passe la nuict :
Et cependant aueugle en ma peine enflammee,
Ayant sçeu tout cecy ie l’ay tousiours aymee :
Pauure sot que ie suis, ne deuoy-ie à l’instant
Laisser là ceste ingrate & son cœur inconstant ?
Encor’ seroit ce peu si d’amour emportee,
Ie n’auois à son teint, & sa mine affettee,
Leu de sa passion les signes euidans,
Que l’amour imprimoit en ses yeux trop ardans.
Mais qu’est il de besoin d’en dire d’auantage,
Iray-ie rafraichir sa honte & mon dommage ?
A quoy de ses discours diray-ie le deffaut,
Comme pour me piper elle parle vn peu haut,
Et comme bassement à secretes volees,
Elle ouure de son cœur les flames recelees,
Puis sa voix rehaussant en quelques mots ioyeux,
Elle cuide charmer les ialoux curieux,
Faict vn conte du Roy, de la Reyne, & du Louure,
Quand malgré que i’en aye amour me le découure,
Me déchifre aussi-tost son discours indiscret,
(Helas ! rien aux ialoux ne peut estre secret)
Me fait veoir de ses traits l’amoureux artifice,
Et qu’aux soupçons d’amour trop simple est sa malice,
Ces heurtemens de pieds en feignant de s’asseoir,
Faire sentir ses gands, ses cheueux, son mouchoir,
Ces rencontres de mains, & mille autres caresses,
Qu’vsent à leurs amans les plus douces maistresses,
Que ie tais par honneur craignant qu’auecq’ le sien
En vn discours plus grand i’engageasse le mien ?
Cherche doncq’ quelque sot au tourment insensible
Qui souffre ce qui m’est de souffrir impossible,
Car pour moy i’en suis las (ingrate) & ie ne puis
Durer plus longuement en la peine où ie suis,
Ma bouche incessamment aux plaintes est ouuerte,
Tout ce que i’apperçoy semble iurer ma perte,
Mes yeux tousiours pleurans de tourment éueillez,
Depuis d’vn bon sommeil ne se sont veuz sillez,
Mon esprit agité fait guerre à mes pensees,
Sans auoir reposé vingt nuicts se sont passees,
Ie vais comme vn Lutin deça delà courant,
Et ainsi que mon corps mon esprit est errant.
Mais tandis qu’en parlant du feu qui me surmonte,
Ie despeins en mes vers ma douleur & ta honte,
Amour dedans le cœur m’assaut si viuement,
Qu’auecque tout desdain ie perds tout iugement.
Vous autres que i’emploie à l’espier sans cesse,
Au logis, en visite, au sermon, à la Messe,
Cognoissant que ie suis amoureux & ialoux,
Pour flatter ma douleur que ne me mentez vous ?
Ha pourquoy m’estes vous, à mon dam, si fidelles ?
Le porteur est fascheux de fascheuses nouuelles,
Defferez à l’ardeur de mon mal furieux,
Feignez de n’en rien voir, & vous fermez les yeux.
Si dans quelque maison sans femme elle s’arreste,
S’on luy fait au Palais quelque signe de teste,
S’elle rit à quelqu’vn, s’elle appelle vn valet,
S’elle baille en cachete ou reçoyue vn poullet,
Si dans quelque recoin quelque vieille incogneue,
Marmotant vn Pater luy parle ou la saluë,
Déguisez en le fait, parlez m’en autrement,
Trompant ma ialousie & vostre iugement,
Dites moy qu’elle est chaste, & qu’elle en a la gloire,
Car bien qu’il ne soit vray si ne le puis-ie croire,
De contraires efforts mon esprit agité,
Douteux s’en court de l’vne à l’autre extremité,
La rage de la hayne & l’amour me transporte,
Mais i’ay grand peur enfin que l’amour soit plus forte.
Surmontons par mespris ce desir indiscret,
Au moins s’il ne se peut l’aymeray-ie à regret,
Le bœuf n’ayme le ioug que toutesfois il traine,
Et meslant sagement mon amour à la hayne,
Donnons luy ce que peut ou que doit receuoir
Son merite égallé iustement au deuoir.
En Conseiller d’Estat de discours ie m’abuse,
Vn Amour violent aux raisons ne s’amuse,
Ne sçay ie que son œil ingrat à mon tourment,
Me donnant ce desir m’osta le iugement ?
Que mon esprit blessé nul bien ne se propose,
Qu’aueugle & sans raison ie confonds toute chose,
Comme vn homme insensé qui s’emporte au parler,
Et dessigne auec l’œil mille chasteaux en l’air.
C’en est fait pour iamais la chance en est iettee,
D’vn feu si violent mon ame est agittee,
Qu’il faut bon-gré, mal-gré laisser faire au destin,
Heureux si par la mort i’en puis estre à la fin,
Et si ie puis mourant en ceste frenesie,
Voir mourir mon amour auecq’ ma ialousie.
Mais Dieu que me sert il en pleurs me consommer,
Si la rigueur du Ciel me contrainct de l’aymer ?
Où le Ciel nous incline à quoy sert la menace ?
Sa beauté me rappelle où son deffaut me chasse,
Aymant & desdaignant par contraires efforts,
Les façons de l’esprit & les beautez du corps :
Ainsi ie ne puis viure auec elle, & sans elle.
Ha Dieu que fusses-tu ou plus chaste ou moins belle,
Ou peusses-tu congnoistre, & voir par mon trespas,
Qu’auecque ta beauté ton humeur ne sied pas :
Mais si ta passion est si forte & si viue,
Que des plaisirs des sens ta raison soit captiue,
Que ton esprit blessé ne soit maistre de soy,
Ie n’entends en cela te prescrire vne loy,
Te pardonnant par moy ceste fureur extresme,
Ainsi comme par toy ie l’excuse en moy mesme :
Car nous sommes tous deux en nostre passion,
Plus dignes de pitié que de punition.
Encor en ce mal-heur où tu te precipites,
Doibs-tu par quelque soin t’obliger tes merites,
Cognoistre ta beauté, & qu’il te faut auoir,
Auecques ton Amour esgard à ton deuoir.
Mais sans discretion tu vas à guerre ouuerte,
Et par sa vanité triumphant de ta perte,
Il monstre tes faueurs, tout haut il en discourt,
Et ta honte & sa gloire entretiennent la Court.
Cependant me iurant tu m’en dis des iniures,
O Dieux ! qui sans pitié punissez les pariures,
Pardonnez à Madame, ou changeant vos effects,
Vengez plustost sur moy les pechez qu’elle a faicts.
S’il est vray sans faueur que tu l’escoutes plaindre,
D’où vient pour son respect que l’on te voit contraindre,
Que tu permets aux siens lire en tes passions,
De veiller iour & nuict dessus tes actions,
Que tousiours d’vn vallet ta carrosse est suiuie,
Qui rend comme espion compte exact de ta vie,
Que tu laisse vn chacun pour plaire à ses soupçons,
Et que parlant de Dieu tu nous faits des leçons,
Nouuelle Magdelaine au desert conuertie,
Et iurant que ta flamme est du tout amortie,
Tu pretends finement par ceste mauuaitié,
Luy donner plus d’Amour, à moy plus d’amitié,
Et me cuidant tromper tu voudrois faire accroire,
Auecque faux serments que la neige fust noire.
Mais comme tes propos, ton art est descouuert,
Et chacun en riant en parle à cœur ouuert,
Dont ie creue de rage, & voyant qu’on te blasme,
Trop sensible en ton mal de regret ie me pasme,
Ie me ronge le cœur, ie n’ay point de repos,
Et voudrois estre sourd pour l’estre à ces propos,
Ie me hay de te voir ainsi mesestimee,
T’aymant si dignement i’ayme ta renommee,
Et si ie suis ialoux ie le suis seulement
De ton honneur, & non de ton contentement.
Fay tout ce que tu fais, & plus s’il se peut faire,
Mais choisi pour le moins ceux qui se peuuent taire.
Quel besoin peut-il estre, insensee en Amour,
Ce que tu fais la nuict, qu’on le chante le iour ?
Ce que fait vn tout seul, tout vn chacun le sçache ?
Et monstres en Amour ce que le monde cache ?
Mais puis que le Destin à toy m’a sçeu lier,
Et qu’oubliant ton mal ie ne puis t’oublier,
Par ces plaisirs d’Amour tous confits en delices,
Par tes apas iadis à mes vœuz si propices,
Par ces pleurs que mes yeux & les tiens ont versez,
Par mes souspirs, au vent sans profit dispersez,
Par les Dieux qu’en pleurant tes sermens appellerent,
Par tes yeux qui l’esprit par les miens me volerent,
Et par leurs feux si clairs & si beaux à mon cœur,
Excuse par pitié ma ialouse rancœur,
Pardonne par mes pleurs au feu qui me commande :
Si mon peché fut grand ma repentance est grande,
Et voy dans le regret dont ie suis consommé,
Que i’eusse moins failly, si i’eusse moins aymé.
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