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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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Plainte.
En quel obscur seiour le Ciel m’a-il reduit,
Mes beaux iours sont voilez d’vne effroyable nuit,
Et dans vn mesme instant comme l’herbe fauchee,
Ma ieunesse est seichee.
Mes discours sont changez en funebres regrets,
Et mon ame d’ennuis est si fort esperduë,
Qu’ayant perdu Madame en ces tristes forests,
Ie crie, & ne sçay point ce qu’elle est deuenuë.
O bois ! ô prez ! ô monts ! qui me fustes iadis
En l’Auril de mes iours vn heureux Paradis,
Quand de mille douceurs la faueur de Madame
Entretenoit mon ame,
Or que la triste absence en l’Enfer où ie suis,
D’vn piteux souuenir me tourmente & me tuë,
Pour consoler mon mal & flater mes ennuis,
Helas ! respondez-moi, qu’est-elle deuenuë ?
Où sont ces deux beaux yeux ? que sont-ils deuenus ?
Où sont tant de beautez, d’Amours & de Venus,
Qui regnoient dans sa veuë, ainsi que dans mes veines,
Les soucis & les peines ?
Helas ! fille de l’air qui sens ainsi que moy,
Dans les prisons d’Amour, ton ame detenuë,
Compagne de mon mal assiste mon émoy,
Et responds à mes cris, qu’est-elle deuenuë ?
Ie voy bien en ce lieu triste & desesperé
Du naufrage d’amour ce qui m’est demeuré,
Et bien que loin d’icy le destin l’ait guidee,
Ie m’en forme l’idee.
Ie voy dedans ces fleurs les tresors de son teint,
La fierté de son ame en la mer toute esmeuë,
Tout ce qu’on voit icy viuement me la peint,
Mais il ne me peint pas ce qu’elle est deuenuë.
Las voicy bien l’endroit où premier ie la vy,
Où mon cœur de ses yeux si doucement rauy,
Reiettant tout respect descouurit à la belle,
Son amitié fidelle.
Ie reuoy bien le lieu : mais ie ne reuoy pas
La Reyne de mon cœur qu’en ce lieu i’ai perduë.
O bois ! ô prez ! ô monts ! ses fidelles esbats,
Helas ! respondez-moy, qu’est-elle deuenuë ?
Durant que son bel œil ces lieux embellissoit,
L’agreable Printemps sous ses pieds florissoit,
Tout rioit aupres d’elle, & la terre paree
Estoit énamouree.
Ores que le malheur nous en a sçeu priuer,
Mes yeux tousiours moüillez d’vne humeur continuë
Ont changé leurs saisons en la saison d’hyuer
N’ayant sçeu découurir ce qu’elle est deuenuë.
Mais quel lieu fortuné si long temps la retient ?
Le Soleil qui s’absente au matin nous reuient,
Et par vn tour reglé sa cheuelure blonde
Esclaire tout le monde.
Si tost que sa lumiere à mes yeux se perdit,
Elle est comme vn éclair pour iamais disparuë,
Et quoy que i’aye faict malheureux & maudit
Ie n’ay peu descouurir ce qu’elle est deuenuë.
Mais Dieu, i’ay beau me plaindre, & tousiours soupirer
I’ay beau de mes deux yeux deux fontaines tirer,
I’ay beau mourir d’amour & de regret pour elle,
Chacun me la recelle.
O bois ! ô prez ! ô monts ! ô vous qui la cachez !
Et qui contre mon gré l’auez tant retenuë,
Si iamais de pitié vous vous vistes touchez,
Helas ! respondez-moi, qu’est-elle deuenuë ?
Fut-il iamais mortel si malheureux que moy ?
Ie ly mon infortune en tout ce que ie voy,
Tout figure ma perte, & le Ciel & la Terre
A l’enuy me font guerre.
Le regret du passé cruellement me point,
Et rend, l’obiet present, ma douleur plus aiguë,
Mais las ! mon plus grand mal est de ne sçauoir point,
Entre tant de mal-heurs, ce qu’elle est deuenuë.
Ainsi de toutes parts ie me sens assaillir,
Et voyant que l’espoir commence à me faillir,
Ma douleur se rengrege, & mon cruel martyre
S’augmente & deuient pire.
Et si quelque plaisir s’offre deuant mes yeux,
Qui pense consoler ma raison abattuë,
Il m’afflige, & le Ciel me seroit odieux,
Si là haut i’ignorois ce qu’elle est deuenuë.
Gesné de tant d’ennuis, ie m’estonne comment
Enuironné d’Amour & du fascheux tourment,
Qu’entre tant de regrets son absence me liure,
Mon esprit a peu viure.
Le bien que i’ay perdu me va tyrannisant,
De mes plaisirs passez mon ame est combatuë,
Et ce qui rend mon mal plus aigre & plus cuisant,
C’est qu’on ne peut sçauoir ce qu’elle est deuenuë.
Et ce cruel penser qui sans cesse me suit,
Du traict de sa beauté me pique iour & nuict,
Me grauant en l’esprit la miserable histoire
D’vne si courte gloire.
Et ces biens qu’en mes maux encor il me faut voir
Rendroient d’vn peu d’espoir mon ame entretenuë,
Et m’y consolerois si ie pouuois sçauoir
Ce qu’ils sont deuenus & qu’elle est deuenuë.
Plaisirs si tost perdus, helas ! où estes vous ?
Et vous chers entretiens qui me sembliez si doux,
Où estes-vous allez ? & où s’est retiree
Ma belle Cytheree ?
Ha triste souuenir d’vn bien si tost passé,
Las ! pourquoy ne la voy-ie ? ou pourquoy l’ay-ie veuë ?
Ou pourquoy mon esprit d’angoisses oppressé,
Ne peut-il descouurir ce qu’elle est deuenuë.
En vain, helas ! en vain, la vas-tu dépaignant
Pour flatter ma douleur, si le regret poignant
De m’en voir separé, d’autant plus me tourmente
Qu’on me la represente.
Seulement au sommeil i’ay du contentement,
Qui la fait voir presente à mes yeux toute nuë,
Et chatouille mon mal d’vn faux ressentiment,
Mais il ne me dit pas ce qu’elle est deuenuë.
Encor ce bien m’afflige, il n’y faut plus songer,
C’est se paistre de vent que la nuict s’alleger
D’vn mal qui tout le iour me poursuit & m’outrage
D’vne impiteuse rage.
Retenu dans des nœuds qu’on ne peut deslier,
Il faut priué d’espoir que mon cœur s’esuertuë
Ou de mourir bien tost, ou bien de l’oublier,
Puis qu’on ne peut sçauoir ce qu’elle est deuenuë.
Comment ! que ie l’oublie ? Hà Dieu ie ne le puis,
L’oubly n’efface point les amoureux ennuis
Que ce cruel tyran a graué dans mon ame
En des lettres de flame.
Il me faut par la mort finir tant de douleurs,
Ayons donc à ce point l’ame bien resoluë,
Et finissant nos iours finissons nos mal-heurs,
Puis qu’on ne peut sçauoir ce qu’elle est deuenuë.
Adieu donc clairs Soleils, si diuins & si beaux,
Adieu l’honneur sacré des forests & des eaux,
Adieu monts, adieu prez, adieu campagne verte
De vos beautez deserte.
Las ! receuez mon ame en ce dernier adieu,
Puis que de mon mal-heur ma fortune est vaincuë,
Miserable amoureux ie vay quiter ce lieu,
Pour sçauoir aux Enfers ce qu’elle est deuenuë.
Ainsi dit Amiante alors que de sa voix
Il entama les cœurs des roches & des bois,
Plorant & souspirant la perte d’Iacee,
L’obiet de sa pensee.
Affin de la trouuer, il s’encourt au trespas,
Et comme sa vigueur peu à peu diminuë,
Son ombre plore & crie en descendant là bas,
Esprits, hé ! dites-moy, qu’est-elle deuenuë ?
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