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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index

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ODE A REGNIER

SVR SES SATYRES.

Qui de nous se pourroit vanter
De n’estre point en seruitude ?
Si l’heur le courage & l’estude
Ne nous en sçauroient exempter :
Si chacun languit abbatu
Serf de l’espoir qui l’importune,
Et si mesme on voit la vertu
Estre esclaue de la fortune
L’vn se rend aux plus grands subiect,
Les grands le sont à la contrainte,
L’autre aux douleurs, l’autre à la crainte,
Et l’autre à l’amoureux obiect :
Le monde est en captiuité,
Nous sommes tous serfs de nature,
Ou vifs de nostre volupté,
Ou morts de nostre sepulture.
Mais en ce temps de fiction
Et que ses humeurs on deguise,
Temps où la seruile feintise
Se fait nommer discretion :
Chacun faisant le reserué,
Et de son plaisir son Idole,
Regnier, tu t’es bien conserué
La liberté de la parole.
Ta libre & veritable voix
Monstre si bien l’erreur des hommes,
Le vice du temps où nous sommes,
Et le mespris qu’on fait des loix :
Que ceux qu’il te plaist de toucher
Des poignants traits de ta Satyre,
S’ils n’auoient honte de pecher,
En auroient de te l’ouïr dire.
Pleust à Dieu que tes vers si doux
Contraires à ceux de Tyrtée
Flechissent l’audace indontée,
Qui met nos Guerriers en couroux :
Alors que la ieune chaleur
Ardents au düel les fait estre,
Exposant leur forte valeur,
Dont ils deburoient seruir leur maistre.
Flatte leurs cœurs trop valeureux,
Et d’autres desseins leur imprimes,
Laisses là les faiseurs de rymes,
Qui ne sont iamais malheureux :
Sinon quand leur temerité
Se feint vn merite si rare,
Que leur espoir precipité
A la fin deuient vn Icare.
Si l’vn d’eux te vouloit blasmer
Par coustume ou par ignorance,
Ce ne seroit qu’en esperance
De s’en faire plus estimer.
Mais alors d’vn vers menaçant
Tu luy ferois voir que ta plume
Est celle d’vn Aigle puissant,
Qui celles des autres consume.
Romprois-tu pour eux l’vnion
De la Muse & de ton genie,
Asseruy soubs la tyrannie
De leur commune opinion ?
Croy plustost que iamais les Cieux
Ne regarderent fauorables
L’enuie, & que les enuieux
Sont tousiours les plus miserables.
N’escry point pour vn foible honneur,
Tasche seulement de te plaire,
On est moins prisé du vulgaire
Par merite, que par bon-heur.
Mais garde que le iugement
D’vn insolent te face blesme :
Ou tu deuiendras autrement
Le propre Tyran de toy-mesme.
Regnier la loüange n’est rien,
Des faueurs elle a sa naissance,
N’estant point en nostre puissance,
Ie ne la puis nommer vn bien.
Fuy donc la gloire qui deçoit
La vaine & credule personne,
Et n’est pas à qui la reçoit,
Elle est à celuy qui la donne.

Motin.


Difficile est Satyram non scribere.

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