← Retour

Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index

16px
100%

Dialogue.

Cloris & Phylis.

CLORIS.

Phylis œil de mon cœur & moitié de moy mesme,
Mon amour, qui te rend le visage si blesme ?
Quels sanglots, quels souspirs, quelles nouuelles pleurs,
Noyent de tes beautez les graces & les fleurs ?

PHYLIS.

Ma douleur est si grande & si grand mon martyre
Qu’il ne se peut Cloris, ny comprendre ny dire.

CLORIS.

Ces maintiens égarez, ces pensers esperdus,
Ces regrets & ces cris par ces bois espandus :
Ces regards languissans en leurs flammes discrettes,
Me sont de ton Amour les parolles secrettes.

PHYLIS.

Hà Dieu qu’vn diuers mal diuersement me point !
I’ayme ! hélas non, Cloris, non non, ie n’ayme point.

CLORIS.

La honte ainsi dément ce que l’Amour decelle,
La flamme de ton cœur par tes yeux étincelle :
Et ton silence mesme en ce profond malheur,
N’est que trop eloquent à dire ta douleur :
Tout parle en ton visage, & te voulant contraindre,
L’Amour vient malgré toy sur ta léure à se plaindre :
Pourquoy veux-tu Phylis, aymant comme tu fais,
Que l’Amour se demente en ses propres effets ?
Ne sçay-tu que ces pleurs, que ces douces œillades,
Ces yeux qui se mourant font les autres malades,
Sont theatres du cœur où l’Amour vient iouër
Les pensers que la bouche a honte d’auouër ?
N’en fay doncq’ point la fine & vainement ne cache
Ce qu’il faut malgré toy que tout le monde sçache,
Puis que le feu d’Amour dont tu veux triompher,
Se monstre d’autant plus qu’on le pense estouffer.
L’Amour est vn enfant nud, sans fard & sans crainte,
Qui se plaist qu’on le voye & qui fuit la contrainte :
Force doncq tout respect, & ma fillete croy
Qu’vn chacun est suiet à l’Amour comme toy.
En ieunesse i’aymé, ta mere fit de mesme :
Lycandre aima Lisis, & Felisque Philesme :
Et si l’aage esteignit leur vie & leurs souspirs,
Par ces plaines encor’ on en sent les Zephirs ;
Ces fleuues sont encor’ tout enflez de leurs larmes,
Et ces prez tout rauis de tant d’amoureux charmes,
Encor voit-on l’Echo redire leurs chansons,
Et leurs noms sur ces bois grauez en cent façons.
Mesmes que penses-tu Hermione la belle
Qui semble contre Amour si fiere & si cruelle,
Me dit tout franchement en plorant l’autre iour,
Qu’elle estoit sans amant mais non pas sans Amour :
Telle encor qu’on me voit i’aime de telle sorte,
Que l’effet en est vif si la cause en est morte,
Es cendres d’Amyante Amour nourrit ce feu
Que iamais par mes pleurs estaindre ie n’ay peu :
Mais comme d’vn seul trait fut nostre ame entamée,
Par sa mort mon amour n’en est moins enflammée.

PHYLIS.

Hà n’en dy dauantage & de grace ne rends
Mes maux plus douloureux ny mes ennuys plus grands.

CLORIS.

D’où te vient le regret dont ton ame est saisie,
Est ce infidélité, mépris ou ialousie ?

PHYLIS.

Ce n’est ny l’vn ny l’autre, & mon mal rigoureux
Excede doublement le tourment amoureux.

CLORIS.

Mais ne peut-on sçauoir le mal qui te possede ?

PHYLIS.

A quoy seruiroit-il puis qu’il est sans remede ?

CLORIS.

Volontiers les ennuis s’alegent aux discours.

PHYLIS.

Las ! ie ne veux aux miens ny pitié ny secours.

CLORIS.

La douleur que lon cache est la plus inhumaine.

PHYLIS.

Qui meurt en se taisant semble mourir sans peine.

CLORIS.

Peut-estre la disant te pourray-ie guarir.

PHYLIS.

Tout remede est fascheux alors qu’on veut mourir.

CLORIS.

Au moins auant ta mort dy où le mal te touche.

PHYLIS.

Le secret de mon cœur ne va point en ma bouche.

CLORIS.

Avec toy mourront donc tes ennuis rigoureux.

PHYLIS.

Mon cœur est vn sepulchre honorable pour eux.

CLORIS.

Ie voy bien en tes yeux quelle est ta maladie.

PHYLIS.

Si tu la voy, pourquoy veux-tu que ie la die ?

CLORIS.

Si ie ne me deçoy ce mal te vient d’aimer.

PHYLIS.

Cloris, d’vn double feu ie me sens consommer.

CLORIS.

La douleur malgré-toy la langue te desnouë.

PHYLIS.

Mais faut-il à ma honte helas que ie l’aduouë ?
Et que ie die vn mal pour qui iusques icy,
I’eus la bouche fermée & le cœur si transi,
Qu’estouffant mes souspirs, aux bois, aux prez, aux pleines,
Ie ne peux, & n’osé discourir de mes peines ?
Auray-ie assez d’audace à dire ma langueur ?
Ha perdons le respect où i’ay perdu le cœur.
I’aime, i’aime, Cloris, & cét enfant d’Eryce
Qui croit que c’est pour moy trop peu que d’vn suplice,
De deux traits qu’il tira des yeux de deux amans,
Cause en moy ces douleurs & ces gemissemens :
Chose encore inouye & toutesfois non fainte,
Et dont iamais Bergere à ces bois ne s’est plainte.

CLORIS.

Seroit-il bien possible ?

PHYLIS.

A mon dam tu le vois.

CLORIS.

Comment qu’on puisse aimer deux hommes à la fois ?

PHYLIS.

Mon malheur en cecy n’est que trop veritable :
Mais las ! il est bien grand puis qu’il n’est pas croyable.

CLORIS.

Qui sont ces deux Bergers dont ton cœur est époint ?

PHYLIS

Aminte, & Philemon, ne les cognoy-tu point ?

CLORIS.

Ceux qui furent blessez lors que tu fus rauie.

PHYLIS

Ouy ces deux, dont ie tiens & l’honneur & la vie.

CLORIS.

I’en sçay tout le discours, mais dy moy seulement
Comme amour par leurs yeux charma ton iugement.

PHYLIS

Amour tout despité de n’auoir point de flesche
Assez forte pour faire en mon cœur vne bresche,
Voulant qu’il ne fust rien dont il ne fust vainqueur,
Fit par les coups d’autruy cette plaie en mon cœur,
Quand ces Bergers naurés, sans vigueur & sans armes,
Tout moites de leur sang, comme moy de mes larmes,
Prés du Satyre mort & de moy que l’ennuy
Rendoit en apparence aussi morte que luy,
Firent voir à mes yeux d’vne piteuse sorte
Qu’autant que leur amour leur valeur estoit forte.
Ce traistre tout couuert de sang & de pitié,
Entra dedans mon cœur, sous couleur d’amitié,
Et n’y fut pas plustost que morte, froide, & blesme,
Ie cessé tout en pleurs d’estre plus à moy-mesme,
I’oublié pere & mere, & troupeaux, & maison,
Mille nouueaux desirs saisirent ma raison :
I’erré deçà delà, furieuse insensee,
De pensers, en pensers, s’esgara ma pensee,
Et comme la fureur estoit plus douce en moy,
Reformant mes façons, ie leur donnois la loy,
I’accommodois ma grace, agençois mon visage,
Vn ialoux soin de plaire excitoit mon courage :
I’allois plus retenuë & composois mes pas,
I’apprenois à mes yeux à former des appas,
Ie voulois sembler belle, & m’efforçois à faire
Vn visage qui peust également leur plaire,
Et lors qu’ils me voyoient par hasard tant soit peu,
Ie frissonnois de peur, craignant qu’ils eussent veu
Tant i’estois en amour innocemment coupable,
Quelque façon en moy qui ne fust agreable.
Ainsi tousiours en trance en ce nouueau soucy
Ie disois à par-moy, las mon Dieu qu’est-cecy !
Quel soin qui de mon cœur s’estant rendu le maistre,
Fait que ie ne suis plus ce que ie soulois estre :
D’où vient que iour & nuict ie n’ay point de repos ?
Que mes souspirs ardens trauersent mes propos,
Que loin de la raison tout conseil ie reiette,
Que ie sois sans suiet aux larmes si suiette !
Ha ! sotte respondoy-ie apres en me tançant,
Non ce n’est que pitié que ton ame ressant
De ces Bergers blessez, te fasche-tu cruelle,
Aux doux ressentimens d’vn acte si fidelle ?
Serois-tu pas ingrate en faisant autrement ?
Ainsi ie me flattois en ce faux iugement,
Estimant en ma peine aueugle & langoureuse,
Estre bien pitoyable, & non pas amoureuse.
Mais las ! en peu de temps ie cogneu mon erreur,
Tardiue cognoissance à si prompte fureur !
I’apperceu, mais trop tard, mon amour vehemente,
Les cognoissant amans, ie me cogneus amante,
Aux rayons de leur feu qui luit si clairement,
Helas ! ie vy leur flame & mon embrasement,
Qui croissant par le temps s’augmenta d’heure en heure,
Et croistra, s’ay-ie peur iusqu’à tant que ie meure.
Depuis de mes deux yeux le sommeil se bannit,
La douleur de mon cœur mon visage fannit,
Du Soleil à regret la lumiere m’esclaire,
Et rien que ces Bergers au cœur ne me peut plaire.
Mes flesches & mon arc me viennent à mespris,
Vn choc continuël fait guerre à mes esprits,
Ie suis du tout en proye à ma peine enragee,
Et pour moy comme moy toute chose est changee :
Nos champs ne sont plus beaux, ces prés ne sont plus verts,
Ces arbres ne sont plus de feuillages couuerts,
Ces ruisseaux sont troublez des larmes que ie verse,
Ces fleurs n’ont plus d’émail en leur couleur diuerse,
Leurs attraits si plaisans sont changez en horreur,
Et tous ces lieux maudits n’inspirent que fureur.
Icy comme autresfois, ces pâtiz ne fleurissent,
Comme moy de mon mal mes troupeaux s’amaigrissent,
Et mon chien m’abayant semble me reprocher,
Que i’aye ore à mespris ce qui me fut si cher :
Tout m’est à contre-cœur horsmis leur souuenance :
Hélas ! ie ne vy point sinon lors que i’y pense,
Ou lors que ie les vois, & que viuante en eux,
Ie puize dans leurs yeux vn venin amoureux.
Amour qui pour mon mal me rend ingenieuse,
Donnant tréue à ma peine ingrate & furieuse,
Les voyant me permet l’vsage de raison,
Afin que ie m’efforce apres leur guarison,
Me fait penser leurs maux, mais las ! en vain i’essaye
Par vn mesme appareil pouuoir guarir ma playe :
Ie sonde de leurs coups l’estrange profondeur,
Et ne m’estonne point pour en voir la grandeur :
I’estuue de mes pleurs leurs blesseures sanglantes,
Helas à mon malheur blesseures trop blessantes !
Puisque vous me tuez, & que mourant par vous,
Ie souffre en vos douleurs, & languis en vos coups.

CLORIS.

Bruslent ils comme toy d’amour demesuree ?

PHYLIS

Ie ne sçay, toutesfois, i’en pense estre asseuree.

CLORIS.

L’amour se persuade assez legerement.

PHYLIS

Mais ce que lon desire on le croit aisément.

CLORIS.

Le bon amour pourtant n’est point sans desfiance.

PHYLIS

Ie te diray sur quoy i’ay fondé ma croyance :
Vn iour comme il aduint qu’Aminte estant blecé,
Et qu’estant de sa playe & d’amour oppressé,
Ne pouvant clorre l’œil esueillé du martyre,
Se plaignoit en plorant d’vn mal qu’il n’osoit dire :
Mon cœur qui du passé le voyant, se souuint,
A ce piteux obiect toute pitié deuint,
Et ne pouuant souffrir de si dures alarmes,
S’ouurit à la douleur, & mes deux yeux aux larmes.
En fin comme ma voix ondoyante à grans flots,
Eust trouué le passage entre mille sanglots,
Me forçant en l’accez du tourment qui me gréue,
I’obtins de mes douleurs à mes pleurs quelque tréue,
Ie me mis à chanter, & le voyant gemir,
En chantant i’inuitois ses beaux yeux à dormir :
Quand luy tout languissant tournant vers moy sa teste,
Qui sembloit vn beau lys battu de la tempeste,
Me lançant vn regard qui le cœur me fendit,
D’vne voix rauque & casse ainsi me respondit :
Phylis comment veux-tu qu’absent de toy ie viue,
Ou bien qu’en te voyant, mon ame ta captiue,
Trouue pour endormir son tourment furieux,
Vne nuit de repos au iour de tes beaux yeux ?
Alors toute surprise en si prompte nouuelle,
Ie m’enfuy de vergongne où Filemon m’appelle,
Qui nauré comme luy de pareils accidens,
Languissoit en ces maux trop vifs & trop ardans.
Moy qu’vn deuoir esgal à mesme soing inuite,
Ie m’approche de luy, ses playes ie visite,
Mais las en m’apprestant à ce piteux dessein,
Son beau sang qui s’esmeut iallit dessus mon sein ;
Tombant esuanouy toutes ses playes s’ouurent,
Et ses yeux comme morts de nuages se couurent.
Comme auecque mes pleurs ie l’eus fait reuenir,
Et me voyant sanglante en mes bras le tenir,
Me dit, Belle Phylis, si l’amour n’est vn crime,
Ne mesprisez le sang qu’espand cette victime.
On dit qu’estant touché de mortelle langueur
Tout le sang se resserre & se retire au cœur,
Las ! vous estes mon cœur, où pendant que i’expire,
Mon sang bruslé d’amour, s’vnit & se retire.
Ainsi de leurs desseins ie ne puis plus douter,
Et lors moy que l’amour oncques ne sceut dompter,
Ie me sentis vaincuë, & glisser en mon ame,
De ces propos si chauds & si bruslans de flame,
Vn rayon amoureux qui m’enflamma si bien,
Que tous mes froids dédains n’y seruirent de rien.
Lors ie m’en cours de honte où la fureur m’emporte,
N’ayant que la pensée & l’amour pour escorte,
Et suis comme la Biche à qui l’on a percé
Le flanc mortellement d’vn garrot trauersé,
Qui fuit dans les forests, & tousiours auec elle
Porte sans nul espoir sa blesseure mortelle :
Las ! ie vais tout de mesme, & ne m’apperçoy pas,
O malheur ! qu’auec moy, ie porte mon trespas,
Ie porte le tyran qui de poison m’enyure,
Et qui sans me tuer en ma mort me fait viure,
Heureuse sans languir si long temps aux abois,
I’en pouuois eschaper pour mourir vne fois.

CLORIS.

Si d’vne mesme ardeur leur ame est enflammée,
Te plains-tu d’aimer bien & d’estre bien aimée ?
Tu les peux voir tous deux, & les fauoriser.

PHYLIS

Vn cœur se pourroit-il en deux parts diuiser ?

CLORIS.

Pourquoy non ! c’est erreur de la simplesse humaine.
La foy n’est plus aux cœurs qu’vne Chimere vaine,
Tu dois sans t’arrester à la fidelité,
Te seruir des amans comme des fleurs d’Esté,
Qui ne plaisent aux yeux qu’estant toutes nouuelles :
Nous auons de nature au sein doubles mammelles,
Deux oreilles, deux yeux, & diuers sentimens,
Pourquoy ne pourrions-nous auoir diuers amans ?
Combien en cognoissai-ie à qui tout est de mise ?
Qui changent plus souuent d’amans que de chemise ;
La grace, la beauté, la ieunesse & l’amour,
Pour les femmes ne sont qu’vn empire d’vn iour :
Encor que d’vn matin (car à qui bien y pense)
Le midy n’est que soin, le soir que repentance ;
Puis donc qu’amour te fait d’amans prouision,
Vses de ta ieunesse, & de l’occasion,
Toutes deux comme vn trait de qui lon perd la trace,
S’enuolent, ne laissant qu’vn regret en leur place :
Mais si ce proceder encore t’est nouueau,
Choisi lequel des deux te semble le plus beau.

PHYLIS

Ce remede ne peut à mon mal satisfaire,
Puis nature & l’amour me deffend de le faire,
En vn choix si douteux s’esgare mon desir,
Ils sont tous deux si beaux qu’on n’y peut que choisir,
Comment beaux, ha ! Nature admirable en ouurages,
Ne fist iamais deux yeux, ny deux si beaux visages !
Vn doux aspect qui semble aux amours conuier ;
L’vn n’a rien qu’en beauté l’autre puisse enuier,
L’vn est brun, l’autre blond & son poil qui se dore,
En filets blondissans, est semblable à l’Aurore,
Quand toute écheuelée, à nos yeux sousriant,
Elle émaille de fleurs les portes d’Oriant :
Ce taint blanc & vermeil où l’amour rit aux graces,
Cét œil qui fond des cœurs les rigueurs & les glaces,
Qui foudroye en regards, éblouyt la raison,
Et tuë en Basilic d’amoureuse poison ;
Cette bouche si belle & si pleine de charmes,
Où l’amour prend le miel dont il trempe ses armes,
Ces beaux traits de discours si doux & si puissans,
Dont amour par l’oreille assuietit mes sens,
A ma foible raison font telle violence,
Qu’ils tiennent mes desirs en égale balance :
Car si de l’vn des deux ie me veux departir,
Le Ciel non plus que moy ne le peut consentir :
L’autre pour estre brun aux yeux n’a moins de flammes,
Il seme en regardant du soufre dans les ames,
Donne aux cœurs aueuglez la lumiere & le iour,
Ils semblent deux Soleils en la Sphere d’amour :
Car si l’vn est pareil à l’Aurore vermeille,
L’autre en son taint plus brun a la grace pareille
A l’Astre de Venus qui doucement reluit,
Quand le Soleil tombant dans les ondes s’enfuit :
Sa taille haute & droite & d’vn iuste corsage,
Semble vn pin qui s’esleue au milieu d’vn bocage ;
Sa bouche est de corail, où lon voit au dedans,
Entre vn plaisant sousris les perles de ses dents,
Qui respirent vn air embaumé d’vne haleine
Plus douce que l’œillet ny que la mariolaine,
D’vn brun meslé de sang son visage se paint,
Il a le iour aux yeux & la nuit en son taint :
Où l’amour flamboyant entre mille estincelles,
Semble vn amas brillant des estoiles plus belles,
Quand vne nuit seraine avec ses bruns flambeaux,
Rend le Soleil ialoux en ses iours les plus beaux,
Son poil noir & retors en gros floccons ondoye,
Et crespelu ressemble vne toison de soye :
C’est en fin comme l’autre vn miracle des Cieux :
Mon ame pour les voir vient toute dans mes yeux,
Et rauie en l’obiet de leurs beautés extrémes,
Se retrouuant en eux, se perd toute en soy-mesmes.
Las ainsi ie ne sçay que dire ou que penser,
De les aimer tous deux n’est-ce les offencer ?
Laisser l’vn, prendre l’autre, ô Dieux est-il possible !
Ce seroit les aimant vn crime irremissible ;
Ils sont tous deux égaux de merite, & de foy ;
Las je n’aime rien qu’eux, ils n’aiment rien que moy ;
Tous deux pour me sauuer hazarderent la vie,
Ils ont mesme dessein, mesme amour, mesme enuie.
De quelles passions me sentay-ie émouuoir !
L’amour, l’honneur, la foy, la pitié, le deuoir,
De diuers sentimens également me troublent,
Et me pensant aider mes angoisses redoublent :
Car si pour essayer à mes maux quelque paix,
Parfois oubliant l’vn, en l’autre ie me plais,
L’autre tout en colere à mes yeux se presente,
Et me monstrant ses coups, sa chemise sanglante,
Son amour, sa douleur, sa foy, son amitié,
Mon cœur se fend d’amour & s’ouure à la pitié.
Las ainsi combatuë en ceste estrange guerre,
Il n’est grace pour moy au Ciel ny sur la terre,
Contre ce double effort debile est ma vertu,
De deux vents opposez mon cœur est combatu,
Et reste ma pauure ame entre deux estouffée,
Miserable despouille & funeste trophée.
Chargement de la publicité...