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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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A Monsieur Motin.
Satyre IIII.
Motin la Muse est morte, ou la faueur pour elle :
En vain dessus Parnasse Apollon on apelle,
En vain par le veiller on acquiert du sçauoir,
Si fortune s’en mocque, & s’on ne peut auoir
Ny honneur, ny credit, non plus que si noz paines
Estoient fables du peuple inutiles, & vaines.
Or va romps toy la teste, & de iour & de nuict,
Pallis dessus vn liure à l’apetit d’vn bruit
Qui nous honore apres que nous sommes sous terre,
Et de te voir paré de trois brins de lierre,
Comme s’il importoit estans ombres là bas,
Que nostre nom vescust ou qu’il ne vescust pas,
Honneur hors de saison, inutile merite
Qui viuans nous trahit, & qui morts nous profite.
Sans soing de l’auenir ie te laisse le bien
Qui vient à contrepoil alors qu’on ne sent rien,
Puis que viuant icy de nous on ne faict conte,
Et que nostre vertu engendre nostre honte.
Doncq’ par d’autres moyens à la court familiers,
Par vice, ou par vertu acquerons des lauriers,
Puis qu’en ce monde icy on n’en faict differance,
Et que souuent par l’vn l’autre se recompense.
Aprenons à mentir, mais d’vne autre façon
Que ne fait Caliope ombrageant sa chanson
Du voille d’vne fable, afin que son mistere
Ne soit ouuert à tous, ny congneu du vulguaire.
Aprenons à mentir, noz propos deguiser,
A trahir noz amys, noz ennemis baiser,
Faire la court aux grands, & dans leurs antichambres,
Le chapeau dans la main, nous tenir sur noz membres,
Sans oser ny cracher, ny toussir, ny s’asseoir,
Et nous couchant au iour, leur donner le bon soir.
Car puis que la fortune aueuglement dispose
De tout, peut estre en fin aurons nous quelque chose
Qui pourra destourner l’ingrate aduersité,
Par vn bien incertain à tatons debité,
Comme ces courtisans qui s’en faisant acroire,
N’ont point d’autre vertu, sinon de dire voire.
Or laissons doncq’ la Muse, Apollon, & ses vers,
Laissons le lut, la lyre, & ces outils diuers,
Dont Apollon nous flatte, ingrate frenesie,
Puis que pauure & quémande on voit la poësie,
Où i’ai par tant de nuits mon trauail occupé :
Mais quoy ie te pardonne, & si tu m’as trompé
La honte en soit au siecle, où viuant d’age en age
Mon exemple rendra quelque autre esprit plus sage.
Mais pour moy mon amy ie suis fort mal payé
D’auoir suiuy cet’ art, si i’eusse estudié,
Ieune laborieux sur vn bancq à l’escolle,
Gallien, Hipocrate, ou Iason, ou Bartolle,
Vne cornete au col debout dans vn parquet,
A tort & à trauers ie vendrois mon caquet,
Ou bien tastant le poulx, le ventre & la poitrine,
I’aurois vn beau teston pour iuger d’vne vrine,
Et me prenant au nez loucher dans vn bassin
Des ragous qu’vn malade offre à son Medecin,
En dire mon aduis, former vne ordonnance,
D’vn rechape s’il peut, puis d’vne reuerence,
Contrefaire l’honneste, & quand viendroit au point,
Dire en serrant la main, Dame il n’en falloit point.
Il est vray que le Ciel qui me regarda naistre,
S’est de mon iugement tousiours rendu le maistre,
Et bien que ieune enfant mon Pere me tançast,
Et de verges souuent mes chançons menaçast,
Me disant de depit, & bouffy de colere,
Badin quitte ces vers, & que penses-tu faire ?
La Muse est inutile, & si ton oncle a sçeu
S’auancer par cet art tu t’y verras deçeu.
Vn mesme Astre tousiours n’eclaire en ceste terre :
Mars tout ardant de feu nous menace de guerre,
Tout le monde fremit, & ces grands mouuemens
Couuent en leurs fureurs de piteux changemens.
Pense-tu que le lut, & la lyre des Poëtes
S’acorde d’armonie auecques les trompettes,
Les fiffres, les tambours, le canon, & le fer,
Concert extrauagant des musiques d’enfer ?
Toute chose a son regne, & dans quelques années,
D’vn autre œil nous verrons les fieres destinées.
Les plus grands de ton tans dans le sang aguerris,
Comme en Trace seront brutalement nourris,
Qui rudes n’aymeront la lyre de la Muse,
Non plus qu’vne vielle ou qu’vne cornemuse.
Laisse donc ce métier & sage prens le soing
De t’acquerir vn art qui te serue au besoing.
Ie ne sçay mon amy par quelle prescience,
Il eut de noz Destins si claire congnoissance,
Mais pour moy ie sçay bien que sans en faire cas,
Ie mesprisois son dire, & ne le croyois pas,
Bien que mon bon Démon souuent me dist le mesme :
Mais quand la passion en nous est si extreme,
Les aduertissemens n’ont ny force ny lieu :
Et l’homme croit à peine aux parolles d’vn Dieu.
Ainsi me tançoit-il d’vne parolle emeuë.
Mais comme en se tournant ie le perdoy de veuë
Ie perdy la memoire auecques ses discours,
Et resueur m’esgaray tout seul par les destours
Des Antres & des Bois affreux & solitaires,
Où la Muse en dormant m’enseignoit ses misteres,
M’aprenoit des secrets & m’echaufant le sein,
De gloire & de renom releuoit mon dessein.
Inutile science, ingrate, & mesprisée,
Qui sert de fable au peuple, aux plus grands de risée.
Encor’ seroit ce peu si sans estre auancé,
Lon auoit en cet art son age depencé,
Apres vn vain honneur que le tans nous refuse,
Si moins qu’vne Putain l’on n’estimoit la Muse.
Eusse tu plus de feu, plus de soing, & plus d’art
Que Iodelle n’eut oncq’, Desportes, ny Ronsard,
Lon te fera la mouë, & pour fruict de ta paine,
Ce n’est ce dirat-on qu’vn Poete à la douzaine.
Car on n’a plus le goust comme on l’eut autrefois,
Apollon est gené par de sauuages loix,
Qui retiennent sous l’art sa nature offusquée,
Et de mainte figure est sa beauté masquée.
Si pour sçauoir former quatre vers enpoullez
Faire tonner des mots mal ioincts & mal collez,
Amy l’on estoit Poete, on verroit cas estranges,
Les Poetes plus espais que mouches en vandanges.
Or que des ta ieunesse Apollon t’ait apris,
Que Caliope mesme ait tracé tes escris,
Que le neueu d’Atlas les ait mis sur la lyre,
Qu’en l’Antre Thespean on ait daigné les lire,
Qu’ils tiennent du sçauoir de l’antique leçon,
Et qu’ils soient imprimez des mains de Patisson,
Si quelqu’vn les regarde & ne leur sert d’obstacle,
Estime mon amy que c’est vn grand miracle.
Lon a beau faire bien, & semer ses escris
De ciuette, bainjoin, de musc, & d’ambre gris,
Qu’ils soient plains releuez & graues à l’oreille,
Qu’ils fassent sourciller les doctes de merueille,
Ne pense pour cela estre estimé moins fol,
Et sans argent contant qu’on te preste vn licol,
Ny qu’on n’estime plus (humeur extrauagante)
Vn gros asne pourueu de mille escuz de rente.
Ce malheur est venu de quelques ieunes veaux
Qui mettent à l’encan l’honneur dans les bordeaux,
Et raualant Phœbus, les Muses, & la grace,
Font vn bouchon à vin du laurier de Parnasse,
A qui le mal de teste est commun & fatal,
Et vont bisarement en poste à l’hopital,
Disant s’on n’est hargneux, & d’humeur difficille,
Que lon est mesprisé de la troupe ciuille,
Que pour estre bon Poete il faut tenir des fous,
Et desirent en eux ce qu’on mesprise en tous,
Et puis en leur chanson sotement importune,
Ils accusent les grands, le Ciel, & la fortune,
Qui fustez de leurs vers en sont si rebatus,
Qu’ils ont tiré cet’ art du nombre des vertus,
Tiennent à mal d’esprit leurs chansons indiscrettes
Et les mettent au ranc des plus vaines sornetes.
Encore quelques grands affin de faire voir
De Mœcene riuaux qu’ils ayment le sçauoir,
Nous voient de bon œil, & tenant vne gaule,
Ainsi qu’à leurs cheuaux nous en flatent l’espaule,
Auecque bonne mine, & d’vn langage doux,
Nous disent souriant, & bien que faictes vous ?
Auez vous point sur vous quelque chanson nouuelle ?
I’en vy ces iours passez de vous vne si belle,
Que c’est pour en mourir, ha ma foy ie voy bien,
Que vous ne m’aymez plus, vous ne me donnez rien.
Mais on lit à leurs yeux & dans leur contenance,
Que la bouche ne parle ainsi que l’ame pense,
Et que c’est mon amy, vn gremoire & des mots
Dont tous les courtisans endorment les plus sots.
Mais ie ne m’aperçoy que trenchant du prudhomme,
Mon tans en cent caquets sottement ie consomme,
Que mal instruit ie porte en Brouage du sel,
Et mes coquilles vendre à ceux de sainct Michel.
Doncq’ sans mettre l’enchere aux sotises du monde,
Ny gloser les humeurs de Dame Fredegonde,
Ie diray librement pour finir en deux mots,
Que la plus part des gens sont habillez en sots.
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