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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index

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A Monsieur l’Abé de Beaulieu nommé par Sa Maiesté à l’Euesché du Mans.

Satyre VIII.

Charles de mes pechez i’ay bien fait penitence,
Or toy qui te cognois aux cas de conscience,
Iuge si i’ay raison, de penser estre absoubs :
I’oyois vn de ces iours, la Messe à deux genoux,
Faisant mainte oraison, l’œil au Ciel, les mains iointes,
Le cœur ouuert aux pleurs, & tout percé des pointes
Qu’vn deuot repentir élançoit dedans moy,
Tremblant des peurs d’Enfer, & tout bruslant de foy,
Quand vn ieune frisé, releué de moustache,
De galoche, de botte, & d’vn ample pennache,
Me vint prendre, & me dist, pensant dire vn bon mot,
Pour vn Poete du tans, vous estes trop deuot,
Moy ciuil, ie me leue, & le bon iour luy donne,
(Qu’heureux est le folastre, à la teste grisonne,
Qui brusquement eust dit auecq’ vne sambieu,
Ouy-bien pour vous Monsieur qui ne croyez en Dieu.)
Sotte discretion, ie voulus faire acroire,
Qu’vn Poete n’est bisarre, & facheux qu’apres boire,
Ie baisse vn peu la teste, & tout modestement,
Ie luy fis à la mode, vn petit compliment,
Luy comme bien apris, le mesme me sceut rendre,
Et ceste courtoisie à si haut pris me vendre,
Que i’aymerois bien mieux, chargé d’age, & d’ennuys,
Me voir à Rome pauure, entre les mains des Iuys.
Il me prist par la main, apres mainte grimace,
Changeant sur l’vn des pieds, à toute heure de place,
Et dansant tout ainsi qu’vn Barbe encastelé,
Me dist en remachant vn propos aualé,
Que vous estes heureux vous autres belles ames,
Fauoris d’Apolon, qui gouuernez les Dames,
Et par mille beaux vers les charmez tellement,
Qu’il n’est point de beautez, que pour vous seullement,
Mais vous les meritez, voz vertuz non communes
Vous font digne Monsieur de ces bonnes fortunes.
Glorieux de me voir si hautement loué,
Ie deuins aussi fier qu’vn chat amadoüé,
Et sentant au Palais, mon discours se confondre,
D’vn ris de sainct Medard il me fallut rêpondre :
Il poursuyt, mais amy, laissons le discourir,
Dire cent, & cent fois, il en faudroit mourir,
Sa Barbe pinçoter, cageoller la science,
Releuer ses cheueux, dire en ma conscience,
Faire la belle main, mordre vn bout de ses guents,
Rire hors de propos, monstrer ses belles dents,
Se carrer sur vn pied, faire arser son espee,
Et s’adoucir les yeux ainsi qu’vne poupée :
Cependant qu’en trois mots ie te feray sçauoir,
Où premier à mon dam ce facheux me peut voir.
I’estois chez vne Dame, en qui si la Satyre
Permetoit en ces vers que ie le peusse dire,
Reluit, enuironné de la diuinité,
Vn esprit aussi grand, que grande est sa beauté.
Ce Fanfaron chez elle, eut de moy cognoissance,
Et ne fut de parler iamais en ma puissance,
Luy voyant ce iour là, son chapeau de velours,
Rire d’vn facheux conte, & faire vn sot discours,
Bien qu’il m’eust à l’abord doucement fait entendre
Qu’il estoit mon valet, à vendre & à dependre,
Et detournant les yeux, Belle à ce que i’entens,
Comment vous gouuernez les beaux espris du tans,
Et faisant le doucet de parole, & de geste,
Il se met sur vn lict, luy disant, Ie proteste
Que ie me meurs d’amour, quand ie suis pres de vous :
Ie vous ayme si fort que i’en suis tout ialoux,
Puis rechangeant de note, il monstre sa rotonde,
Cest ouurage est-il beau ? que vous semble du monde ;
L’homme que vous sçauez, m’a dit qu’il n’ayme rien,
Madame à vostre auis, ce iourd’huy suis-ie bien,
Suis-ie pas bien chauffé, ma iambe est-elle belle,
Voyez ce tafetas, la mode en est nouuelle,
C’est œuure de la Chine, à propos on m’a dit
Que contre les clinquants le Roy fait vn edit :
Sur le coude il se met, trois boutons se delace,
Madame baisez moy, n’ay-ie pas bonne grace,
Que vous estes facheuse, à la fin on verra,
Rosete le premier qui s’en repentira.
D’assez d’autres propos il me rompit la teste,
Voilà quant & comment ie cogneu ceste beste,
Te iurant mon amy que ie quitté ce lieu,
Sans demander son nom, & sans luy dire adieu.
Ie n’eus depuis ce iour, de luy nouuelle aucune,
Si ce n’est ce matin que de male fortune,
Ie fus en ceste Eglise, où comme i’ay conté,
Pour me persecutter Satan l’auoit porté.
Apres tous ces propos qu’on se dit d’ariuée,
D’vn fardeau si pesant ayant l’ame greuée,
Ie chauuy de l’oreille, & demourant pensif,
L’echine i’alongois comme vn asne retif,
Minutant me sauuer de ceste tirannie,
Il le iuge à respect, ô sans ceremonie,
Ie vous suply (dit-il) viuons en compagnons.
Ayant ainsi qu’vn pot les mains sur les roignons,
Il me pousse en auant, me presente la porte,
Et sans respect des Saincts hors l’Eglise il me porte.
Aussi froid qu’vn ialoux qui voit son corriual,
Sortis, il me demande, estes-vous à cheual,
Auez vous point icy quelqu’vn de vostre troupe,
Ie suis tout seul à pied, luy de m’offrir la croupe,
Moy pour m’en depêtrer, luy dire tout expres,
Ie vous baise les mains, ie m’en vais icy pres,
Chez mon oncle disner, ô Dieu le galand homme,
I’en suis, & moy pour lors comme vn bœuf qu’on assomme,
Ie laisse choir la teste, & bien peu s’en falut,
Remettant par depit en la mort mon salut,
Que ie n’alasse lors la teste la premiere,
Me ietter du pont neuf, à bas en la riuiere.
Insensible il me tresne en la court du Palais,
Où trouuant par hasard quelqu’vn de ses valets,
Il l’appelle & luy dit, hola hau Ladreuille,
Qu’on ne m’attende point, ie vay disner en ville.
Dieu sçait si ce propos me trauersa l’esprit,
Encor n’est-ce pas tout, il tire vn long escrit,
Que voyant ie fremy, lors sans cageollerie,
Monsieur ie ne m’entends à la chicannerie,
Ce luy dis-ie, feignant l’auoir veu de trauers,
Aussi n’en est-ce pas, ce sont des meschans vers,
(Ie cogneu qu’il estoit veritable à son dire)
Que pour tuer le tans ie m’efforce d’ecrire,
Et pour vn courtisan quand vient l’occasion,
Ie monstre que i’en sçay pour ma prouision.
Il lit, & se tournant brusquement par la place,
Les banquiers étonnez admiroient sa grimace,
Et montroient en riant qu’ils ne luy eussent pas
Presté sur son minois, quatre doubles ducats,
(Que i’eusse bien donnez pour sortir de sa pate,)
Ie l’ecoute, & durant que l’oreille il me flate,
Le bon Dieu sçait comment à chaque fin de vers,
Tout expres ie disois quelque mot de trauers,
Il poursuit non-obstant d’vne fureur plus grande,
Et ne cessa iamais qu’il n’eust fait sa legende.
Me voyant froidement ses œuures aduouër,
Il les serre, & se met luy mesme à se loüer,
Doncq’ pour vn Caualier n’est-ce pas quelque chose :
Mais Monsieur n’auez-vous iamais veu de ma prose ?
Moy de dire que si : tant ie craignois qu’il eust
Quelque proces verbal, qu’entendre il me fallust.
Encore dittes moy en vostre conscience,
Pour vn qui n’a du tout nul acquis de science,
Cecy n’est-il pas rare ? Il est vray sur ma foy,
Luy dis-ie souriant : lors se tournant vers moy,
M’acolle à tour de bras, & tout petillant d’aise,
Doux comme vne epousee, à la iouë il me baise :
Puis me flatant l’épaule, il me fist librement
L’honneur que d’aprouuer mon petit iugement,
Apres ceste caresse, il rentre de plus belle,
Tantost il parle à l’vn, tantost l’autre l’appelle,
Tousiours nouueaux discours, & tant fut-il humain
Que tousiours de faueur il me tint par la main.
I’ay peur que sans cela i’ay l’ame si fragille,
Que le laissant du guet i’eusse peu faire gille :
Mais il me fut bien force estant bien attaché,
Que ma discretion expiast mon peché.
Quel heur ce m’eust esté, si sortant de l’Eglise,
Il m’eust conduit chez luy, & m’ostant la chemise,
Ce beau valet à qui ce beau maistre parla,
M’eust donné l’anguillade, & puis m’eust laissé là,
Honorable defaite, heureuse échapatoire,
Encores de rechef me la fallut-il boire.
Il vint à reparler de sus le bruit qui court,
De la Royne, du Roy, des Princes, de la Court,
Que Paris est bien grand, que le Pont neuf s’achéue,
Si plus en paix qu’en guerre, vn Empire s’éleue.
Il vint à definir que c’estoit qu’Amitié
Et tant d’autres Vertus, que c’en estoit pitié.
Mais il ne definit, tant il estoit nouice,
Que l’Indiscretion est vn si facheux vice,
Qu’il vaut bien mieux mourir, de rage, ou de regret,
Que de viure à la gesne auecq’ vn indiscret.
Tandis que ses discours me donnoient la torture,
Ie sonde tous moyens pour voir si d’auanture
Quelque bon accident eust peu m’en retirer,
Et m’enpescher en fin de me desesperer.
Voyant vn President, ie luy parle d’affaire,
S’il auoit des proces, qu’il estoit necessaire
D’estre tousiours apres ces Messieurs bonneter,
Qu’il ne laissast pour moy, de les soliciter,
Quant à luy qu’il estoit homme d’intelligence,
Qui sçauoit comme on perd son bien par negligence,
Où marche l’interest, qu’il faut ouurir les yeux.
Ha ! non Monsieur (dit-il) i’aymerois beaucoup mieux
Perdre tout ce que i’ay, que vostre compagnie,
Et se mist aussi-tost sur la ceremonie.
Moy qui n’ayme à debatre en ces fadeses là,
Vn tans sans luy parler, ma langue vacila :
Enfin ie me remets sur les cageolleries,
Luy dis comme le Roy estoit aux Tuilleries,
Ce qu’au Louure on disoit qu’il feroit ce iourd’huy,
Qu’il deuroit se tenir tousiours aupres de luy :
Dieu sçait combien alors il me dist de sottises,
Parlant de ses hauts faicts, & de ses vaillantises,
Qu’il auoit tant seruy, tant faict la faction,
Et n’auoit cependant aucune pension,
Mais qu’il se consoloit, en ce qu’au moins l’Histoire,
Comme on fait son trauail, ne derobroit sa gloire,
Et s’y met si auant que ie creu que mes iours
Deuoient plustost finir, que non pas son discours.
Mais comme Dieu voulut apres tant de demeures,
L’orloge du Palais, vint à frapper onze heures,
Et luy qui pour la souppe auoit l’esprit subtil,
A quelle heure Monsieur, vostre oncle disne-til ?
Lors bien peu s’en falut, sans plus longtans attendre,
Que de rage au gibet ie ne m’allasse pendre.
Encor l’eusse-ie fait estant desesperé,
Mais ie croy que le Ciel, contre moy coniuré,
Voulut que s’acomplit ceste auanture mienne,
Que me dist ieune enfant vne Bohemienne.
Ny la peste, la fain, la verolle, la tous,
La fieure, les venins, les larrons, ny les lous,
Ne tueront cestuy-cy, mais l’importun langage
D’vn facheux, qu’il s’en garde, estant grand, s’il est sage.
Comme il continuoit ceste vieille chanson,
Voicy venir quelqu’vn d’assez pauure façon :
Il se porte au deuant, luy parle, le cageolle,
Mais cest autre à la fin, se monta de parole,
Monsieur c’est trop long-tans : tout ce que vous voudrez,
Voicy l’Arrest signé, non Monsieur vous viendrez.
Quand vous serez dedans vous ferez à partie,
Et moy qui cependant n’estois de la partie,
I’esquiue doucement, & m’en vais à grand pas,
La queue en loup qui fuit, & les yeux contre bas,
Le cœur sautant de ioye, & triste d’aparance :
Depuis aux bons Sergens i’ay porté reuerance,
Comme à des gens d’honneur, par qui le Ciel voulut
Que ie receusse vn iour le bien de mon salut.
Mais craignant d’encourir vers toy le mesme vice
Que ie blasme en autruy, ie suis à ton seruice,
Et prie Dieu qu’il nous garde, en ce bas monde icy,
De fain, d’vn importun, de froid, & de soucy.
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