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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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Discovrs
Au Roy.
Il estoit presque iour, & le ciel souriant
Blanchissoit de clairté les peuples d’Oriant,
L’Aurore aux cheueux d’or, au visage de roses,
Desia comme à demy decouuroit toutes choses,
Et les oyseaux, perchez en leur feuilleux seiour,
Commençoient s’eueillant à se plaindre d’amour :
Quand ie vis en sursaut, vne beste effroyable,
Chose estrange à conter, toutesfois veritable,
Qui plus qu’vne Hydre affreuse à sept gueulles meuglant,
Auoit les dens d’acier, l’œil horible, & sanglant,
Et pressoit à pas torts vne Nimphe fuyante,
Qui reduite aux abois, plus morte que viuante,
Halétante de peine, en son dernier recours,
Du grand Mars des François imploroit le secours,
Embrassoit ses genoux, & l’appellant aux armes,
N’auoit autre discours que celuy de ses larmes.
Ceste Nimphe estoit d’âge, & ses cheueux meslez
Flotoient au gré du vent, sur son dos aualez.
Sa robe estoit d’azur, où cent fameuses villes
Eleuoient leurs clochers sur des plaines fertilles,
Que Neptune arosoit de cent fleuues épars,
Qui dispersoient le viure aux gens de toutes pars.
Les vilages epais fourmilloient par la plaine ;
De peuple, & de betail, la campaigne estoit plaine :
Qui s’employant aux ars meloient diuersement,
La fertile abondance auecque l’ornement :
Tout y reluisoit d’or, & sur la broderie
Eclatoit le brillant de mainte piererie.
La mer aux deux costés ceste ouurage bordoit :
L’Alpe de la main gauche en biais s’epandoit
Du Rhain iusqu’en Prouence, & le mont qui partage
D’auecque l’Espagnol le François heritage,
De l’Aucate à Bayonne en cornes se haussant,
Monstroit son front pointu de neges blanchissant.
Le tout estoit formé d’vne telle maniere,
Que l’art ingenieux excedoit la matiere.
Sa taille estoit auguste, & son front couronné,
De cent fleurs de lis d’or estoit enuironné.
Ce grand Prince voyant le soucy qui la greue,
Touché de pieté, la prend & la releue,
Et de feux estoufant ce funeste animal,
La deliura de peur aussi-tost que de mal,
Et purgeant le venin dont elle estoit si plaine,
Rendit en vn instant la Nimphe toute saine.
Ce Prince ainsi qu’vn Mars en armes glorieux,
De palmes ombrageoit son chef victorieux,
Et sembloit de ses mains au combat animées,
Comme foudre ietter la peur dans les armées.
Ses exploits acheuez en ses armes viuoient :
Là les camps de Poytou d’vne part s’éleuoient,
Qui superbes sembloient s’honorer en la gloire,
D’auoir premiers chanté sa premiere victoire.
Diepe de l’autre part sur la mer s’alongeoit,
Où par force il rompoit le camp qui l’assiegeoit,
Et poussant plus auant ses troupes epanchées
Le matin en chemise il surprit les tranchées.
Là Paris deliuré de l’Espagnolle main,
Se dechargeoit le col de son ioug inhumain.
La campagne d’Iury sur le flanc cizellée,
Fauorisoit son prince au fort de la meslée,
Et de tant de Ligueurs par sa dextre vaincus
Au Dieu de la bataille apendoit les escus.
Plus haut estoit Vandome, & Chartres, & Pontoise,
Et l’Espagnol defait à Fontaine Françoise,
Où la valeur du foible emportant le plus fort
Fist voir que la vertu ne craint aucun effort.
Plus bas dessus le ventre au naif contrefaite
Estoit pres d’Amiens la honteuse retraite
Du puissant Archiduc, qui creignant son pouuoir,
Creut que c’estoit en guerre assez que de le voir.
Deçà delà luitoit mainte troupe rangée,
Mainte grande cité gemissoit assiegée,
Où si tost que le fer l’en rendoit possesseur,
Aux rebelles vaincus il vsoit de douceur,
Vertu rare au vainqueur, dont le courage extreme
N’a gloire en la fureur que se vaincre soy-mesme.
Le chesne, & le laurier cest ouurage ombrageoit,
Où le peuple deuot sous ses loys se rangeoit,
Et de vœus, & d’ençens, au ciel faisoit priere
De conseruer son Prince en sa vigueur entiere.
Maint puissant ennemy domté par sa vertu,
Languissoit dans les fers sous ses pieds abatu,
Tout semblable à l’enuie à qui l’estrange rage
De l’heur de son voisin enfielle le courage,
Hideuse, bazanée, & chaude de rancœur,
Qui ronge ses poulmons, & se mache le cœur.
Apres quelque priere en son cœur prononcée,
La Nimphe en le quittant au ciel s’est elancée,
Et son corps dedans l’air demourant suspendu :
Ainsi comme vn Milan sur ses aisles tendu,
S’areste en vne place, où changeant de visage,
Vn brullant eguillon luy pique le courage ;
Son regard estincelle, & son cerueau tremblant
Ainsi comme son sang d’horreur se va troublant :
Son estommac pantois sous la chaleur frissonne,
Et chaude de l’ardeur qui son cœur epoinçonne,
Tandis que la fureur precipitoit son cours,
Veritable Prophéte elle fait ce discours.
Peuple, l’obiet piteux du reste de la terre,
Indocile à la paix, & trop chaud à la guerre,
Qui fecond en partis, & leger en desseins,
Dedans ton propre sang souilles tes propres mains,
Entens ce que ie dis, atentif à ma bouche,
Et qu’au plus vif du cœur ma parolle te touche.
Depuis qu’irreuerent enuers les Immortels,
Tu taches de mépris l’Eglise & ses autels,
Qu’au lieu de la raison gouuerne l’insolence,
Que le droit alteré n’est qu’vne violence,
Que par force le foible est foullé du puissant,
Que la ruse rauit le bien à l’innocent,
Et que la vertu saincte en public méprisée,
Sert aux ieunes de masque, aux plus vieux de risée,
(Prodige monstrueux) & sans respect de foy,
Qu’on s’arme ingratement au mépris de son Roy,
La Iustice, & la Paix, tristes & desolées,
D’horreur se retirant au ciel s’en sont volées :
Le bon-heur aussi tost à grand pas les suiuit,
Et depuis de bon œil le Soleil ne te vit.
Quelque orage tousiours qui s’éleue à ta perte,
A comme d’vn brouillas ta personne couuerte,
Qui tousiours prest à fondre en échec te retient,
Et mal-heur sur mal-heur à chaque heure te vient.
On a veu tant de fois la ieunesse trompée,
De tes enfans passez au tranchant de l’espée,
Tes filles sans honneur errer de toutes pars,
Ta maison, & tes biens saccagez des Soldars,
Ta femme insolemment d’entre tes bras rauie,
Et le fer tous les iours s’atacher à ta vie.
Et cependant aueugle en tes propres effets,
Tout le mal que tu sens, c’est toy qui te le faits ;
Tu t’armes à ta perte, & ton audace forge
L’estoc dont furieux tu te coupes la gorge.
Mais quoy tant de mal-heurs te suffisent-ils pas ?
Ton Prince comme vn Dieu, te tirant du trespas,
Rendit de tes fureurs les tempestes si calmes,
Qu’il te fait viure en paix à l’ombre de ses palmes :
Astrée en sa faueur demeure en tes citez,
D’hommes, & de betail les champs sont habitez :
Le Paysant n’ayant peur des bannieres estranges,
Chantant coupe ses bleds, riant fait ses vandanges,
Et le Berger guidant son troupeau bien noury
Enfle sa cornemuse en l’honneur de Henry.
Et toy seul cependant, oubliant tant de graces,
Ton aise trahissant de ses biens tu te lasses.
Vien ingrat respon-moy, quel bien esperes tu,
Apres auoir ton Prince en ses murs combatu ?
Apres auoir trahy pour de vaines chimeres,
L’honneur de tes ayeux, & la foy de tes peres ?
Apres auoir cruel tout respect violé,
Et mis à l’abandon ton pays desolé ?
Atten tu que l’Espaigne, auecq’ son ieune Prince,
Dans son monde nouueau te donne vne Prouince ?
Et qu’en ces trahisons, moins sage deuenu,
Vers toy par ton exemple il ne soit retenu ?
Et qu’ayant dementy ton amour naturelle,
A luy plus qu’à ton Prince il t’estime fidelle ?
Peut estre que ta race, & ton sang violent,
Issu comme tu dis d’Oger, ou de Roland,
Ne te veut pas permetre encore ieune d’age,
Qu’oysif en ta maison se rouille ton courage,
Et rehaussant ton cœur que rien ne peut ployer,
Te fait chercher vn Roy qui te puisse employer,
Qui la gloire du ciel, & l’effroy de la terre,
Soit comme vn nouueau Mars indomtable à la guerre,
Qui sçache en pardonnant les discords étoufer,
Par clemence aussi grand, comme il est par le fer.
Cours tout le monde entier de Prouince en Prouince,
Ce que tu cherches loing habite en nostre Prince.
Mais quels exploits si beaux a fait ce ieune Roy,
Qu’il faille pour son bien que tu fauces ta foy,
Trahisses ta patrie, & que d’iniustes armes,
Tu la combles de sang, de meurtres & de larmes ?
Si ton cœur conuoiteux est si vif, & si chaud,
Cours la Flandre, où iamais la guerre ne defaut,
Et plus loing sur les flancs d’Autriche & d’Alemagne,
De Turcs, & de turbans enionche la campagne,
Puis tout chargé de coups, de viellesse, & de biens,
Reuien en ta maison mourir entre les tiens.
Tes fils se mireront en si belles depouilles,
Les vieilles au foyer en fillant leurs quenouilles,
En chanteront le conte, & braue en argumens,
Quelque autre Iean de Mun en fera des Romans.
Ou si trompant ton Roy tu cours autre fortune,
Tu trouueras ingrat toute chose importune,
A Naples, en Sicille, & dans ces autres lieux,
Où l’on t’assignera, tu seras odieux,
Et l’on te fera voir auecq’ ta conuoitise,
Qu’apres les trahisons les traistres on meprise.
Les enfans étonnez s’enfuiront te voiant,
Et l’Artisan mocqueur, aux places t’efroyant,
Rendant par ses brocards ton audace flétrie,
Dira, ce traistre icy nous vendit sa patrie,
Pour l’espoir d’vn Royaume en Chimeres conçeu,
Et pour tous ses desseins du vent il a reçeu.
Ha ! que ces Paladins viuans dans mon Histoire,
Non comme toy touchez d’vne batarde gloire
Te furent differens, qui courageux par tout,
Tindrent fidellement mon enseigne debout,
Et qui se repandants ainsi comme vn tonnerre,
Le fer dedans la main firent trembler la terre,
Et tant de Roys Payens sous la Croix deconfis,
Asseruirent vaincus aux pieds du Crucifis,
Dont les bras retroussez, & la teste panchée,
De fers honteusement au triumphe atachée
Furent de leur valeur tesmoins si glorieux,
Que les noms de ces preux en sont escris aux Cieux.
Mais si la pieté, de ton cœur diuertie,
En toy pauure insensé n’est du tout amortie,
Si tu n’as tout à fait reietté loing de toy
L’amour, la charité, le deuoir, & la foy,
Ouure tes yeux sillez, & voy de quelle sorte
D’ardeur precipité la rage te transporte,
T’enuelope l’esprit, t’esgarant insensé,
Et iuge l’auenir par le siecle passé.
Si tost que ceste Nimphe en son dire enflamée,
Pour finir son propos eut la bouche fermée,
Plus haute s’eleuant dans le vague des Cieux,
Ainsi comme vn éclair disparut à nos yeux,
Et se monstrant Déesse en sa fuite soudaine,
La place elle laissa de parfun toute plaine,
Qui tombant en rosée aux lieux les plus prochains,
Reconforta le cœur & l’esprit des humains.
HENRY le cher suget de nos sainctes prieres,
Que le Ciel reseruoit à nos peines dernieres,
Pour rétablir la France au bien non limité
Que le Destin promet à son eternité,
Apres tant de combats, & d’heureuses victoires,
Miracles de noz tans, honneur de noz Histoires,
Dans le port de la paix, Grand Prince puisses-tu,
Mal-gré tes ennemis exercer ta vertu :
Puisse estre à ta grandeur le Destin si propice,
Que ton cœur de leurs trets rebouche la malice,
Et s’armant contre toy puisse-tu dautant plus
De leurs efforts domter le flus, & le reflus,
Et comme vn saint rocher opposant ton courage,
En écume venteuse en dissiper l’orage,
Et braue t’éleuant par dessus les dangers
Estre l’amour des tiens, l’effroy des estrangers.
Attendant que ton fils instruit par ta vaillance,
De sous tes étendars sortant de son enfance,
Plus fortuné que toy, mais non pas plus vaillant,
Aille les Othomans iusqu’au Caire assaillant,
Et que semblable à toy foudroyant les armées
Il ceuille auecq’ le fer les Palmes idumées,
Puis tout flambant de gloire en France reuenant,
Le Ciel mesme là haut de ses faits s’etonnant,
Qu’il epande à tes pieds les depouilles conquises,
Et que de leurs drapeaux il pare noz Eglises.
Alors raieunissant au recit de ses faits,
Tes desirs, & tes vœus en ses œuures parfaits,
Tu ressentes d’ardeur ta viellesse eschauffée,
Voyant tout l’Vniuers nous seruir de trophée.
Puis n’estant plus icy chose digne de toy,
Ton fils du monde entier restant paisible Roy,
Sous tes modelles saincts & de paix, & de guerre,
Il regisse puissant en Iustice la terre,
Quand apres vn long-tans ton Esprit glorieux
Sera des mains de Dieu couronné dans les Cieux.
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