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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index

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Impvissance.

Imitation d’Ouide.

Quoy ? ne l’auois-ie assez en mes vœuz desiree,
N’estoit elle assez belle, ou assez bien paree ?
Estoit elle à mes yeux sans grace & sans appas ?
Son sang estoit il point issu d’vn lieu trop bas ?
Sa race, sa maison n’estoit elle estimee,
Ne valoit elle point la peine d’estre aymee ?
Inhabile au plaisir n’auoit elle dequoy ?
Estoit elle trop laide, ou trop belle pour moy ?
Ha ! cruel souuenir, cependant ie l’ay euë,
Impuissant que ie suis en mes bras toute nuë,
Et n’ay peu le voulans tous deux esgallement,
Contenter nos desirs en ce contentement :
Au surplus à ma honte, Amour, que te diray-ie ?
Elle mit en mon col ses bras plus blancs que neige,
. . . . . . . . . . . . . . . . .
Et sa langue mon cœur par ma bouche embrasa,
Me suggerant la manne en sa leure amassee,
Sa cuisse se tenoit en la mienne enlassee,
Les yeux luy petilloient d’vn desir langoureux,
Et son ame exiloit maint souspir amoureux,
Sa langue en begayant d’vne façon mignarde,
Me disoit : mais mon cœur qu’est ce qui vous retarde ?
N’auroy-ie point en moy quelque chose qui peust
Offencer vos desirs, ou bien qui vous depleust ?
Ma grace, ma façon, ha Dieu ! ne vous plaist elle ?
Quoy ? n’ay-ie assez d’amour, ou ne suis-ie assez belle ?
Cependant de la main animant ses discours,
Ie trompois impuissant sa flamme & mes amours,
Et comme vn tronc de bois, charge lourde & pesante,
Ie n’auois rien en moy de personne viuante :
Mes membres languissans perclus & refroidis,
Par ses attouchemens n’estoient moins engourdis.
Mais quoy ? que deuiendray ie en l’extresme vieillesse,
[Puis que ie suis rectif au fort de ma ieunesse.]
Et si las ! ie ne puis & ieune & vigoureux,
Sauourer la douceur du plaisir amoureux.
Ha ! i’en rougis de honte & dépite mon âge,
Age de peu de force & de peu de courage,
Qui ne me permet pas en cest accouplement,
Donner ce qu’en amour peut donner vn amant :
Car, Dieu ! ceste beauté par mon deffaut trompee,
Se leua le matin de ses larmes trempee,
Que l’amour de despit escouloit par ses yeux,
Ressemblant à l’Aurore alors qu’ouurant les Cieux,
Elle sort de son lict hargneuse & depitee,
D’auoir sans vn baiser consommé la nuictee,
Quand baignant tendrement la terre de ses pleurs,
De chagrain & d’amour elle en iette ses fleurs.
Pour flater mon deffaut : Mais que me sert la gloire,
De mon amour passee, inutile memoire,
Quand aymant ardemment, & ardemment aymé,
Tant plus ie combatois, plus i’estois animé :
Guerrier infatigable, en ce doux exercice,
Par dix ou douze fois ie r’entrois en la lice,
Où vaillant & adroit apres auoir brisé,
Des Cheualiers d’amour, i’estois le plus prisé.
Mais de cest accident ie fais vn mauuais conte,
Si mon honneur passé m’est ores vne honte,
Et si le souuenir trop prompt de m’outrager,
Par le plaisir receu ne me peut soulager.
O ciel ! il falloit bien qu’ensorcelé ie fusse,
Ou trop ardent d’Amour que ie ne m’apperceusse
Que l’œil d’vn enuyeux nos desseins empeschoit,
Et sur mon corps perclus son venim espandoit :
Mais qui pourroit atteindre au point de son merite,
Veu que toute grandeur pour elle est trop petite ?
Si par l’egal ce charme a force contre nous,
Autre que Iupiter n’en peut estre ialoux,
Luy seul comme enuyeux d’vne chose si belle,
Par l’emulation seroit seul digne d’elle.
Hé ! quoy ? là haut au Ciel mets tu les armes bas,
Amoureux Iupiter, que ne viens tu ça bas,
Iouir d’vne beauté sur les autres aymable ?
Assez de tes Amours n’a caqueté la fable :
C’est ores que tu dois en amour vif & pront,
Te mettre encore vn coup les armes sur le front,
Cacher ta deité dessous vn blanc plumage,
Prendre le feint semblant d’vn Satyre sauuage,
D’vn serpent, d’vn cocu, & te répendre encor,
Alambiqué d’amour, en grosses gouttes d’or,
Et puis que sa faueur à moy seul octroyee,
Indigne que ie suis fust si mal employee,
Faueur qui de mortel m’eust fait égal aux Dieux,
Si le Ciel n’eust esté sur mon bien enuieux.
Mais encor tout bouillant en mes flames premieres,
De quels vœuz redoublez & de quelles prieres,
Iray-ie derechef les Dieux sollicitant,
Si d’vn bienfait nouueau i’en attendois autant ?
Si mes deffauts passez leurs beautez mescontentent,
Et si de leurs bien-faicts ie croy qu’ils s’en repentent ?
Or quand ie pense ! ô Dieu quel bien m’est aduenu,
Auoir veu dans vn lict ses beaux membres à nu,
La tenir languissante entre mes bras couchee,
De mesme affection la voir estre touchee,
Me baiser haletant d’amour & de desir,
Par ses chatouillemens resueiller le plaisir,
Ha ! Dieux, ce sont des traicts si sensibles aux ames,
Qu’ils pourroient l’amour mesme eschauffer de leurs flames,
Si plus froid que la mort ils ne m’eussent trouué,
Des mysteres d’amour, amant trop reprouué.
Ie l’auois cependant viue d’amour extresme,
Mais si ie l’eus ainsi elle ne m’eust de mesme,
O mal heur ! & de moy elle n’eust seulement
Que des baisers d’vn frere, & non pas d’vn amant.
En vain cent & cent fois, ie m’efforce à luy plaire,
Non plus qu’à mon desir ie n’y puis satisfaire,
Et la honte pour lors qui me saisit le cœur,
Pour m’acheuer de peindre esteignist ma vigueur.
Comme elle recognust, femme mal satisfaite,
Qu’elle perdoit son temps, du lict elle se iette,
Prend sa iupe, se lace, & puis en se mocquant,
D’vn ris, & de ces motz, elle m’alla picquant,
Non ! si i’estois lasciue, ou d’Amour occupée,
Ie me pourrois fascher d’auoir esté trompée,
Mais puis que mon desir n’est si vif, ne si chaud,
Mon tiede naturel m’oblige à ton defaut,
Mon Amour satis-faicte ayme ton impuissance,
Et tire de ta faute assez de recompence,
Qui tousiours dilayant m’a faict par le desir,
Esbatre plus long temps à l’ombre du plaisir.
Mais estant la douceur par l’effort diuertie,
La fureur à la fin rompit sa modestie,
Et dit en esclatant, pourquoy me trompes-tu ?
A quoy ton impudence a venté ta vertu ?
Si en d’autres Amours ta vigueur s’est vsée ?
Quel honneur reçois tu de m’auoir abusée ?
Assez d’autres propos le despit luy dictoit,
Le feu de son desdain par sa bouche sortoit.
En fin voulant cacher ma honte & sa colere,
Elle couurit son front d’vne meilleure chere,
Se conseille au miroir, ses femmes appella,
Et se lauant les mains, le faict dissimula.
Belle, dont la beauté si digne d’estre aymée
Eust rendu des plus mortz la froideur enflamée ;
Ie confesse ma honte, & de regret touché,
Par les pleurs que i’espands i’accuse mon peché,
Peché d’autant plus grand que grand’ est ma ieunesse,
Si homme i’ay failly, pardonnez moy, Deesse,
I’auouë estre fort grand le crime que i’ay fait,
Pourtant iusqu’à la mort, si n’auoy-ie forfait,
Si ce n’est qu’à present qu’à vos pieds ie me iette,
Que ma confession vous rende satisfaicte,
Ie suis digne des maux que vous me prescrirez,
I’ay meurtry, i’ay vollé, i’ay des vœuz pariurez,
Trahy les Dieux benins : inuentez à ces vices,
Comme estranges forfaicts, des estranges supplices.
O beauté faictes en tout ainsi qu’il vous plaist,
Si vous me condamnez à mourir ie suis prest,
La mort me sera douce, & d’autant plus encore,
Si ie meurs de la main de celle que i’adore.
Auant qu’en venir là, au moins souuenez vous,
Que mes armes, non moy causent vostre courrouz,
Que Champion d’Amour entré dedans la lice,
Ie n’eus assez d’haleine à si grand exercice,
Que ie ne suis chasseur iadis tant approuué,
Ne pouuant redresser vn deffaut retrouué.
Mais d’où viendroit cecy, seroit-ce point maistresse,
Que mon esprit du corps precedast la paresse,
Ou que par le desir trop prompt & vehement,
I’allasse auec le temps le plaisir consommant ?
Pour moy, ie n’en sçay rien, en ce fait tout m’abuse,
Mais enfin, ô beauté, receuez pour excuse,
S’il vous plaist, de rechef que ie r’entre en l’assaut,
I’espere auec vsure amender mon deffaut.
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