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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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A Monsieur Rapin.
Satyre IX.
Rapin le fauorit d’Apollon & des Muses,
Pendant qu’en leur mestier iour & nuit tu t’amuses,
Et que d’vn vers nombreux non encore chanté,
Tu te fais vn chemin à l’immortalité,
Moy qui n’ay ny l’esprit ny l’halaine assez forte,
Pour te suiure de prez & te seruir d’escorte,
Ie me contenteray sans me precipiter,
D’admirer ton labeur ne pouuant l’imiter,
Et pour me satisfaire au desir qui me reste,
De rendre cest hommage à chacun manifeste :
Par ces vers i’en prens acte, affin que l’auenir,
De moy par ta vertu, se puisse souuenir,
Et que ceste memoire à iamais s’entretienne,
Que ma Muse imparfaite eut en honneur la tienne,
Et que si i’eus l’esprit d’ignorance abatu,
Ie l’euz au moins si bon, que i’aymay ta vertu,
Contraire à ces resueurs dont la Muse insolente,
Censurant les plus vieux, arrogamment se vante
De reformer les vers non les tiens seulement,
Mais veulent deterrer les Grecs du monument,
Les Latins, les Hebreux, & toute l’Antiquaille,
Et leur dire à leur nez qu’ils n’ont rien fait qui vaille.
Ronsard en son mestier n’estoit qu’vn aprentif,
Il auoit le cerueau fantastique & rétif,
Desportes n’est pas net, du Bellay trop facille,
Belleau ne parle pas comme on parle à la ville,
Il a des mots hargneux, bouffis & releuez
Qui du peuple auiourd’huy ne sont pas aprouuez.
Comment il nous faut doncq’ pour faire vne œuure grande
Qui de la calomnie & du tans se deffende,
Qui trouue quelque place entre les bons autheurs,
Parler comme à sainct Iean parlent les Crocheteurs.
Encore ie le veux pourueu qu’ils puissent faire
Que ce beau sçauoir entre en l’esprit du vulgaire,
Et quand les Crocheteurs seront Pœtes fameux :
Alors sans me facher ie parleray comme eux.
Pensent-ils des plus vieux offenceant la memoire,
Par le mespris d’autruy s’aquerir de la gloire,
Et pour quelque vieux mot, estrange, ou de trauers,
Prouuer qu’ils ont raison de censurer leurs vers,
(Alors qu’une œuure brille & d’art, & de science,
La verue quelque fois s’egaye en la licence.)
Il semble en leur discours hautain & genereux,
Que le Cheual volant n’ait pissé que pour eux,
Que Phœbus à leur ton accorde sa vielle,
Que la Mouche du Grec leurs leures emmielle,
Qu’ils ont seuls icy bas trouué la Pie au nit,
Et que des hauts esprits le leur est le zenit :
Que seuls des grands secrets ils ont la cognoissance,
Et disent librement que leur experience
A rafiné les vers fantastiques d’humeur,
Ainsi que les Gascons ont fait le point d’honneur,
Qu’eux tous seuls du bien dire ont trouué la metode,
Et que rien n’est parfaict s’il n’est fait à leur mode
Cependant leur sçauoir ne s’estend seulement,
Qu’à regrater vn mot douteux au iugement,
Prendre garde qu’vn qui ne heurte vne diphtongue,
Epier si des vers la rime est breue ou longue,
Ou bien si la voyelle à l’autre s’vnissant,
Ne rend point à l’oreille vn vers trop languissant,
Et laissent sur le verd le noble de l’ouurage :
Nul eguillon diuin n’esleue leur courage,
Ils rampent bassement foibles d’inuentions,
Et n’osent peu hardis tanter les fictions,
Froids à l’imaginer, car s’ils font quelque chose,
C’est proser de la rime, & rimer de la prose
Que l’art lime & relime & polit de façon
Qu’elle rend à l’oreille vn agreable son.
Et voyant qu’vn beau feu leur ceruelle n’embrase,
Ils attifent leurs mots, ageolliuent leur frase,
Affectent leur discours tout si releué d’art,
Et peignent leurs defaux de couleurs & de fard.
Aussi ie les compare à ces femmes iolies,
Qui par les Affiquets se rendent embelies,
Qui gentes en habits & sades en façons,
Parmy leur point coupé tendent leurs hameçons,
Dont l’œil rit molement auecque affeterie,
Et de qui le parler n’est rien que flaterie :
De rubans piolez s’agencent proprement,
Et toute leur beauté ne gist qu’en l’ornement,
Leur visage reluit de cereuse & de peautre,
Propres en leur coifure vn poil ne passe l’autre.
Où ses diuins esprits hautains & releuez,
Qui des eaux d’Helicon ont les sens abreuuez :
De verue & de fureur leur ouurage etincelle,
De leurs vers tout diuins la grace est naturelle,
Et sont comme lon voit la parfaite beauté,
Qui contante de soy, laisse la nouueauté
Que l’art trouue au Palais ou dans le blanc d’Espagne,
Rien que le naturel sa grace n’acompagne,
Son front laué d’eau claire, éclaté d’vn beau teint,
De roses & de lys la Nature l’a peint,
Et, laissant là Mercure, & toutes ses malices,
Les nonchalances sont les plus grands artifices.
Or Rapin quant à moy qui n’ay point tant d’esprit,
Ie vay le grand chemin que mon oncle m’aprit,
Laissant là ces Docteurs que les Muses instruisent,
En des arts tout nouueaux, & s’ils font comme ils disent,
De ses fautes vn liure aussi gros que le sien,
Telles ie les croiray quand ils auront du bien,
Et que leur belle Muse à mordre si cuisante,
Leur don’ra, comme à luy dix mil escus de rente,
De l’honneur, de l’estime, & quand par l’Vniuers,
Sur le lut de Dauid on chantera leurs vers,
Qu’ils auront ioint l’vtille auecq’ le delectable,
Et qu’ils sçauront rimer vne aussi bonne table.
On fait en Italie vn conte assez plaisant,
Qui vient à mon propos, qu’vne fois vn Paisant,
Homme fort entendu & suffisant de teste,
Comme on peut aisement iuger par sa requeste,
S’en vint trouuer le Pape & le voulut prier,
Que les Prestres du tans se peussent marier,
Affin ce disoit-il que nous puissions nous autres
Leurs femmes caresser, ainsi qu’ils font les nostres.
Ainsi suis-ie d’auis comme ce bon lourdaut,
S’ils ont l’esprit si bon, & l’intellect si haut,
Le iugement si clair, qu’ils fassent vn ouurage,
Riche d’inuentions, de sens, & de langage,
Que nous puissions draper comme ils font nos escris,
Et voir comme l’on dit, s’ils sont si bien apris,
Qu’ils montrent de leur eau, qu’ils entrent en cariere,
Leur age defaudra plustost que la matiere,
Nous sommes en vn siecle où le Prince est si grand,
Que tout le monde entier à peine le comprend,
Qu’ils fassent par leurs vers, rougir chacun de honte,
Et comme de valeur nostre Prince surmonte
Hercule, Ænée, Achil’, qu’ils ostent les lauriers
Aux vieux, comme le Roy l’a fait aux vieux guerriers :
Qu’ils composent vne œuure, on verra si leur liure,
Apres mile, & mile ans, sera digne de viure,
Surmontant par vertu, l’enuie & le Destin,
Comme celuy d’Homere, & du chantre Latin.
Mais Rapin mon amy c’est la vieille querelle,
L’homme le plus parfaict a manque de ceruelle,
Et de ce grand defaut vient l’imbecilité,
Qui rend l’homme hautain, insolent, effronté,
Et selon le suget qu’à l’œil il se propose,
Suiuant son apetit il iuge toute chose.
Aussi selon noz yeux, le Soleil est luysant,
Moy-mesme en ce discours qui fay le suffisant,
Ie me cognoy frappé, sans le pouuoir comprendre,
Et de mon vercoquin ie ne me puis deffendre.
Sans iuger, nous iugeons, estant nostre raison
Là haut dedans la teste, où selon la saison
Qui regne en nostre humeur, les brouillas nous embrouillent
Et de lieures cornus le cerueau nous barbouillent.
Philosophes resueurs discourez hautement,
Sans bouger de la terre allez au firmament,
Faites que tout le Ciel bransle à vostre cadance,
Et pesez vos discours mesme, dans sa Balance,
Congnoissez les humeurs, qu’il verse de sus nous,
Ce qui se fait de sus, ce qui se fait de sous,
Portez vne lanterne aux cachots de Nature,
Sçachez qui donne aux fleurs ceste aymable painture,
Quelle main sus la terre, en broye la couleur,
Leurs secretes vertus, leurs degrez de chaleur,
Voyez germer à l’œil les semances du monde,
Allez metre couuer les poissons dedans l’onde,
Dechifrez les secrets de Nature & des Cieux,
Vostre raison vous trompe, aussi-bien que vos yeux.
Or ignorant de tout, de tout ie me veus rire,
Faire de mon humeur moy-mesme vne Satyre,
N’estimer rien de vray qu’au goust il ne soit tel,
Viure, & comme Chrestien adorer l’Immortel,
Où gist le seul repos qui chasse l’Ignorance,
Ce qu’on voit hors de luy, n’est que sote aparance,
Piperie, artifice, encore ô cruauté
Des hommes & du tans, nostre mechanceté
S’en sert aux passions, & de sous vne aumusse,
L’Ambition, l’Amour, l’Auarice se musse :
L’on se couure d’vn frocq pour tromper les ialoux,
Les Temples auiourd’huy seruent aux rendez-vous :
Derriere les pilliers, on oit mainte sornete,
Et comme dans vn bal, tout le monde y caquette :
On doit rendre suiuant & le tans, & le lieu,
Ce qu’on doit à Cesar, & ce qu’on doit à Dieu,
Et quant aux apetis de la sottise humaine,
Comme vn homme sans goust, ie les ayme sans peine,
Aussi bien rien n’est bon que par affection,
Nous iugeons, nous voyons selon la passion.
Le Soldat auiourd’huy ne resue que la guerre,
En paix le Laboureur veut cultiuer sa terre :
L’Auare n’a plaisir qu’en ses doubles ducas,
L’Amant iuge sa Dame vn chef d’œuure icy bas,
Encore qu’elle n’ait sur soy rien qui soit d’elle,
Que le rouge, & le blanc, par art la fasse belle,
Qu’elle ante en son palais ses dents tous les matins,
Qu’elle doiue sa taille au bois de ses patins,
Que son poil des le soir, frisé dans la boutique,
Comme vn casque au matin, sur sa teste s’aplique,
Qu’elle ait comme vn piquier le corselet au dos,
Qu’à grand paine sa peau puisse couurir ses os,
Et tout ce qui de iour la fait voir si doucete,
La nuit comme en depost soit de sous la toillette.
Son esprit vlceré iuge en sa passion,
Que son taint fait la nique à la perfection.
Le soldat tout-ainsi pour la guerre soupire
Iour & nuit il y pense & tousiours la desire,
Il ne resue la nuit, que carnage, & que sang,
La pique dans le poing, & l’estoc sur le flanc,
Il pense mettre à chef quelque belle entreprise,
Que forçant vn chasteau tout est de bonne prise,
Il se plaist aux tresors qu’il cuide rauager,
Et que l’honneur luy rie au milieu du danger.
L’Auare d’autre part n’ayme que la richesse,
C’est son Roy, sa faueur, la court & sa maitresse,
Nul obiect ne luy plaist, sinon l’or & l’argent,
Et tant plus il en a plus il est indigent.
Le Paisant d’autre soing se sent l’ame ambrasée,
Ainsi l’humanité sottement abusée,
Court à ses apetis qui l’aueuglent si bien,
Qu’encor qu’elle ait des yeux si ne voit-elle rien.
Nul chois hors de son gout ne regle son enuie,
Mais s’aheurte où sans plus quelque apas la conuie,
Selon son apetit le monde se repaist,
Qui fait qu’on trouue bon seulement ce qui plaist.
O debille raison où est ores ta bride,
Ou ce flambeau qui sert aux personnes de guide,
Contre les passions trop foible est ton secours,
Et souuent courtisane apres elle tu cours
Et sauourant l’apas qui ton ame ensorcelle,
Tu ne vis qu’à son goust, & ne voys que par elle.
De là vient qu’vn chacun mesmes en son defaut,
Pense auoir de l’esprit autant qu’il luy en faut,
Aussi rien n’est party si bien par la nature
Que le sens, car chacun en a sa fourniture.
Mais pour nous moins hardis à croire à nos raisons,
Qui reglons nos espris par les comparaisons
D’vne chose auecq’ l’autre, épluchons de la vie
L’action qui doit estre, ou blasmée, ou suiuie,
Qui criblons le discours, au chois se variant,
D’auecq’ la fauceté la verité triant,
(Tant que l’homme le peut) qui formons nos ouurages,
Aux moules si parfaicts de ces grands personnages,
Qui depuis deux mile ans, ont acquis le credit,
Qu’en vers rien n’est parfaict, que ce qu’ils en ont dit,
Deuons nous auiourd’huy, pour vne erreur nouuelle
Que ces clers deuoyez forment en leur ceruelle,
Laisser legerement la vieille opinion,
Et suiuant leurs auis croire à leur passion ?
Pour moy les Huguenots pouroient faire miracles,
Ressuciter les morts, rendre de vrais oracles,
Que ie ne pourois pas croire à leur verité,
En toute opinion ie fuy la nouueauté.
Aussi doit-on plutost imiter nos vieux peres,
Que suiure des nouueaux, les nouuelles Chimeres,
De mesme en l’art diuin de la Muse doit-on
Moins croire à leur esprit, qu’à l’esprit de Platon.
Mais Rapin à leur goust, si les vieux sont profanes,
Si Virgille, le Tasse, & Ronsard sont des asnes,
Sans perdre en ces discours le tans que nous perdons,
Allons comme eux aux champs & mangeons des chardons.
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