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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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A Monsieur Bertault, Euesque de Sées.
Satyre V.
Bertault c’est vn grand cas quoy que lon puisse faire,
Il n’est moyen qu’vn homme à chacun puisse plaire
Et fust-il plus parfaict que la perfection,
L’homme voit par les yeux de son affection.
Chaque fat a son sens dont sa raison s’escrime,
Et tel blasme en autruy ce dequoy ie l’estime,
Tout suyuant l’intelec change d’ordre & de rang,
Les Mores auiourd’huy peignent le Diable blanc,
Le sel est doux aux vns, le sucre amer aux autres,
Lon reprend tes humeurs ainsi qu’on fait les nostres,
Les Critiques du tans m’apellent debauché,
Que ie suis iour & nuict aux plaisirs ataché,
Que i’y pers mon esprit, mon ame & ma ieunesse,
Les autres au rebours accusent ta sagesse,
Et ce hautain desir qui te faict mépriser
Plaisirs, tresors, grandeurs pour t’immortaliser,
Et disent, ô chetifs qui mourant sur vn liure,
Pensez seconds Phœnis en vos cendres reuiure,
Que vous estes trompez en vostre propre erreur,
Car & vous & vos vers viuez par procureur.
Vn liuret tout moysi vit pour vous & encore
Comme la mort vous fait, la taigne le deuore,
Ingrate vanité dont l’homme se repaist,
Qui baille apres vn bien qui sottement luy plaist.
Ainsi les actions aux langues sont sugettes,
Mais ces diuers rapors sont de foibles sagettes,
Qui bleçent seulement ceux qui sont mal armez,
Non pas les bons espris à vaincre acoutumez,
Qui sçauent auisez auecques differance,
Separer le vray bien du fard de l’apparance.
C’est vn mal bien estrange aux cerueaux des humains
Qui suiuant ce qu’ils sont malades ou plus sains,
Digerent la viande, & selon leur nature,
Ils prennent ou mauuaise ou bonne nouriture.
Ce qui plaist à l’œil sain offence vn chassieux,
L’eau se iaunit en bile au corps du bilieux,
Le sang d’vn Hidropique en pituite se change,
Et l’estommac gasté pourit tout ce qu’il mange,
De la douce liqueur roussoyante du Ciel,
L’vne en fait le venin, & l’autre en fait le miel.
Ainsi c’est la nature, & l’humeur des personnes,
Et non la qualité qui rend les choses bonnes.
Charnellement se ioindre auecq’ sa paranté,
En France c’est inceste, en Perse charité,
Tellement qu’à tout prendre en ce monde où nous sommes,
Et le bien, & le mal depend du goust des hommes.
Or sans me tourmenter des diuers apetis,
Quels ils sont aux plus grands, & quels aux plus petis,
Ie te veux discourir comme ie trouue estrange
Le chemin d’où nous vient le blasme, & la loüange,
Et comme i’ay l’esprit de Chimeres brouillé,
Voyant qu’vn More noir m’appelle barbouillé,
Que les yeux de trauers s’offensent que ie lorgne,
Et que les quinze vints disent que ie suis borgne.
C’est ce qui m’en deplaist encor que i’aye apris
En mon Philosopher d’auoir tout à mépris.
Penses tu qu’à present vn homme a bonne grace,
Qui dans le four l’Euesque enterine sa grace,
Ou l’autre qui poursuit des abolitions,
De vouloir ietter l’œil dessus mes actions,
Vn traistre, vn vsurier, qui par misericorde,
Par argent, ou faueur s’est sauué de la corde,
Moy qui dehors sans plus ay veu le Chastelet,
Et que iamais sergent ne saisit au collet,
Qui vis selon les loix & me contiens de sorte
Que ie ne tremble point quand on heurte à ma porte,
Voyant vn President le cœur ne me tressault,
Et la peur d’vn Preuost ne m’eueille en sursault,
Le bruit d’vne recherche au logis ne m’areste,
Et nul remord facheux ne me trouble la teste,
Ie repose la nuict suz l’vn & l’autre flanc,
Et cepandant Bertault ie suis desus le ranc.
Scaures du tans present, hipocrites seueres,
Vn Claude effrontement parle des adulteres,
Milon sanglant encor reprend vn assassin,
Grache, vn seditieux, & Verres, le larcin.
Or pour moy tout le mal que leur discours m’obiette,
C’est que mon humeur libre à l’amour est sugette,
Que i’ayme mes plaisirs, & que les passetans
Des amours m’ont rendu grison auant le tans,
Qu’il est bien malaisé que iamais ie me change,
Et qu’à d’autres façons ma ieunesse se range.
Mon oncle m’a conté que montrant à Ronsard
Tes vers estincellants & de lumiere, & d’art,
Il ne sçeut que reprendre en ton aprentissage
Sinon qu’il te iugeoit pour vn Poete trop sage.
Et ores au contraire, on m’obiecte à peché
Les humeurs qu’en ta Muse il eust bien recherché.
Aussi ie m’emerueille au feu que tu recelles,
Qu’vn esprit si rasis ait des fougues si belles,
Car ie tien comme luy que le chaud element,
Qui donne ceste pointe au vif entendement,
Dont la verue s’echauffe & s’enflame de sorte
Que ce feu dans le Ciel sur des aisles l’emporte,
Soit le mesme qui rend le Poete ardant & chaud,
Suiect à ses plaisirs, de courage si haut,
Qu’il meprise le peuple, & les choses communes,
Et brauant les faueurs se moque des fortunes,
Qui le fait debauché, frenetique resuant
Porter la teste basse, & l’esprit dans le vent,
Egayer sa fureur parmy des precipices,
Et plus qu’à la raison suiect à ses caprices.
Faut il doncq’ à present s’etonner si ie suis
Enclin à des humeurs qu’euiter ie ne puis,
Où mon temperament malgré moy me transporte,
Et rend la raison foible où la nature est forte,
Mais que ce mal me dure il est bien malaisé,
L’homme ne se plaist pas d’estre tousiours fraisé,
Chaque age a ses façons, & change la Nature
De sept ans en sept ans nostre temperature ;
Selon que le Soleil se loge en ses maisons,
Se tournent noz humeurs, ainsi que noz saisons,
Toute chose en viuant auecq’ l’age s’altere,
Le debauché se rit des sermons de son pere,
Et dans vingt & cinq ans venant à se changer,
Retenu, vigilant, soigneux & mesnager,
De ces mesmes discours ses fils il admoneste,
Qui ne font que s’en rire & qu’en hocher la teste,
Chaque age a ses humeurs, son goust, & ses plaisirs,
Et comme nostre poil blanchissent noz desirs.
Nature ne peut pas l’age en l’age confondre :
L’enfant qui sçait desia demander & respondre,
Qui marque asseurement la terre de ses pas,
Auecque ses pareils se plaist en ses ébas,
Il fuit, il vient, il parle, il pleure, il saute d’aise,
Sans raison d’heure en heure, il s’émeut & s’apaise.
Croissant l’age en auant sans soing de gouuerneur
Releué, courageux, & cupide d’honneur,
Il se plaist aux cheuaux, aux chiens, à la campagne,
Facille au vice il hait les vieux, & les dedagne,
Rude à qui le reprend, paresseux à son bien,
Prodigue, depencier, il ne conserue rien,
Hautain, audacieux, conseiller de soy mesme,
Et d’vn cœur obstiné se heurte à ce qu’il aime.
L’age au soing se tournant homme fait il acquiert
Des biens, & des amis, si le tans le requiert,
Il masque ses discours, comme sur vn theatre,
Subtil ambitieux l’honneur il idolatre,
Son esprit auisé preuient le repentir,
Et se garde d’vn lieu difficille à sortir.
Maints facheux accidans surprennent sa viellesse,
Soit qu’auecq du soucy gagnant de la richesse,
Il s’en deffend l’vsage, & craint de s’en seruir,
Que tant plus il en a, moins s’en peut assouuir,
Ou soit qu’auecq’ froideur il fasse toute chose,
Imbecille, douteux, qui voudroit, & qui n’ose,
Dilayant, qui tousiours a l’œil sur l’auenir,
De leger il n’espere, & croit au souuenir,
Il parle de son tans, difficille & seuere,
Censurant la ieunesse vse des droits de pere,
Il corrige, il reprend, hargneux en ses façons,
Et veut que tous ses mots soient autant de leçons.
Voilla doncq’ de par Dieu comme tourne la vie,
Ainsi diuersement aux humeurs asseruie,
Que chaque age depart à chaque homme en viuant,
De son temperament la qualité suiuant :
Et moy qui ieune encor’ en mes plaisirs m’égaye,
Il faudra que ie change, & mal gré que i’en aye
Plus soigneux deuenu, plus froid, & plus rassis,
Que mes ieunes pensers cedent aux vieux soucis,
Que i’en paye l’escot remply iusque à la gorge,
Et que i’en rende vn iour les armes à sainct George.
Mais de ces discoureurs il ne s’en trouue point,
Ou pour le moins bien peu qui cognoissent ce point,
Effrontez, ignorans, n’ayants rien de solide,
Leur esprit prend l’essor où leur langue le guide,
Sans voir le fond du sac ils prononcent l’arest,
Et rangent leurs discours au point de l’interest,
Pour exemple parfaitte ils n’ont que l’aparance,
Et c’est ce qui nous porte à ceste indifferance,
Qu’ensemble l’on confond le vice & la vertu,
Et qu’on l’estime moins qu’on n’estime vn festu.
Aussi qu’importe-il de mal ou de bien faire,
Si de noz actions vn iuge volontaire,
Selon ses apetis les decide, & les rend
Dignes de recompense, ou d’vn suplice grand :
Si tousiours noz amis, en bon sens les expliquent,
Et si tout au rebours noz haineux nous en piquent ?
Chacun selon son goust s’obstine en son party,
Qui fait qu’il n’est plus rien qui ne soit peruerty :
La vertu n’est vertu, l’enuie la deguise,
Et de bouche sans plus le vulgaire la prise :
Au lieu du iugement regnent les passions,
Et donne l’interest, le pris, aux actions.
Ainsi ce vieux resueur qui nagueres à Rome
Gouuernoit vn enfant & faisant le preud’homme,
Contre-caroit Caton, Critique en ses discours,
Qui tousiours rechinoit & reprenoit tousiours,
Apres que cet enfant s’est fait plus grand par l’age
Reuenant à la court d’vn si lointain voyage,
Ce Critique changeant d’humeurs & de cerueau,
De son pedant qu’il fut, deuient son maquereau.
O gentille vertu qu’aisement tu te changes !
Non non ces actions meritent des loüanges,
Car le voyant tout seul qu’on le prenne à serment,
Il dira qu’icy bas l’homme de iugement
Se doit accommoder au tans qui luy commande,
Et que c’est à la court vne vertu bien grande.
Donq’ la mesme vertu le dressant au poulet,
De vertueux qu’il fut le rend Dariolet,
Donq’ à si peu de frais, la vertu se profane,
Se deguise, se masque & deuient courtisane,
Se transforme aux humeurs, suit le cours du marché,
Et dispence les gens de blasme & de peché.
Peres des siecles vieux, exemple de la vie,
Dignes d’estre admirez d’vne honorable enuie,
(Si quelque beau desir viuoit encor’ en nous)
Nous voyant de là haut Peres qu’en dittes vous ?
Iadis de vostre tans la vertu simple & pure
Sans fard, sans fiction imitoit sa nature,
Austere en ses façons, seuere en ses propos,
Qui dans vn labeur iuste egayoit son repos,
D’hommes vous faisant Dieux vous paissoit d’ambrosie,
Et donnoit place au Ciel à vostre fantasie.
La lampe de son front partout vous esclairoit,
Et de toutes frayeurs voz espris asseuroit,
Et sans penser aux biens où le vulgaire pense,
Elle estoit vostre prix, & vostre recompense,
Où la nostre auiourd’huy qu’on reuere icy bas,
Va la nuict dans le bal, & dance les cinq pas,
Se parfume, se frise, & de façons nouuelles
Veut auoir par le fard du nom entre les belles,
Fait creuer les courtaux en chassant aux forests,
Court le faquin, la bague, escrime des fleurets,
Monte vn cheual de bois, fait desus des Pommades,
Talonne le Genet, & le dresse aux passades,
Chante des airs nouueaux, inuente des ballets,
Sçait escrire & porter les vers, & les poulets,
A l’œil tousiours au guet, pour des tours de souplesse,
Glose sur les habits, & sur la gentillesse,
Se plaist à l’entretien, commente les bons mots,
Et met à mesme pris, les sages, & les sots.
Et ce qui plus encor’ m’enpoisonne de rage,
Est quand vn Charlatan releue son langage,
Et de coquin faisant le Prince reuestu,
Bastit vn Paranimfe à sa belle vertu,
Et qu’il n’est crocheteur ny courtault de boutique,
Qui n’estime à vertu l’art où sa main s’aplique,
Et qui paraphrasant sa gloire, & son renom,
Entre les vertueux ne veuille auoir du nom.
Voilla comme à present chacun l’adulterise,
Et forme vne vertu comme il plaist à sa guise :
Elle est comme au marché dans les impressions,
Et s’adiugeant aux taux de noz affections,
Fait que par le caprice, & non par le merite,
Le blasme, & la loüange au hazard se debite :
Et peut vn ieune sot, suiuant ce qu’il conçoit,
Ou ce que par ses yeux son esprit en reçoit,
Donner son iugement, en dire ce qu’il pense,
Et mettre sans respec nostre honneur en balance.
Mais puis que c’est le tans, mesprisant les rumeurs
Du peuple, laisson là le monde en ces humeurs,
Et si selon son goust, vn chacun en peut dire,
Mon goust sera Bertault, de n’en faire que rire.
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