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Œuvres complètes de Mathurin Regnier: accompagnées d'une notice biographique et bibliographique, de variantes, de notes, d'un glossaire et d'un index
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A Monsieur Freminet.
Satyre XII.
On dit que le grand Paintre ayant fait vn ouurage,
Des iugemens d’autruy tiroit cest auantage,
Que selon qu’il iugeoit qu’ils estoient vrays, ou faux,
Docile à son profit, reformoit ses defaux,
Or c’estoit du bon tans que la hayne & l’enuye,
Par crimes suposez n’attentoient à la vie,
Que le Vray du Propos estoit cousin germain,
Et qu’vn chacun parloit le cœur dedans la main.
Mais que seruiroit-il maintenant de pretendre
S’amander par ceux là qui nous viennent reprendre,
Si selon l’interest tout le monde discourt :
Et si la verité n’est plus femme de court :
S’il n’est bon Courtisan, tant frisé peut-il estre,
S’il a bon apetit, qu’il ne iure à son maistre
Des la pointe du iour, qu’il est midy sonné,
Et qu’au logis du Roy tout le monde a disné,
Estrange effronterie en si peu d’importance.
Mais de ce costé là ie leur donrois quittance,
S’ils vouloient s’obliger d’epargner leurs amys,
Où par raison d’estat il leur est bien permis.
Cecy pourroit suffire à refroidir vne ame
Qui n’ose rien tenter pour la crainte du blasme,
A qui la peur de perdre enterre le talent :
Non pas moy qui me ry d’vn esprit nonchalant,
Qui pour ne faillir point retarde de bien faire :
C’est pourquoy maintenant ie m’expose au vulgaire
Et me donne pour bute aux iugements diuers.
Qu’vn chacun taille, roigne, & glose sur mes vers,
Qu’vn resueur insolent d’ignorance m’accuse
Que ie ne suis pas net, que trop simple est ma Muse,
Que i’ai l’humeur bizarre, inégual le cerueau,
Et s’il luy plaist encor qu’il me relie en veau.
Auant qu’aller si vite, au moins ie le supplie
Sçauoir que le bon vin ne peut estre sans lie,
Qu’il n’est rien de parfait en ce monde auiourd’huy :
Qu’homme ie suis suget à faillir comme luy :
Et qu’au surplus, pour moy, qu’il se face paroistre
Aussi vray, que pour luy, ie m’efforce de l’estre.
Mais sçais-tu Freminet ceux qui me blasmeront,
Ceux qui dedans mes vers leurs vices trouueront,
A qui l’Ambition la nuit tire l’oreille,
De qui l’esprit auare en repos ne someille,
Tousiours s’alambiquant apres nouueaux partis,
Qui pour Dieu, ny pour loy, n’ont que leurs apetis,
Qui rodent toute nuict, troublez de ialousie,
A qui l’amour lascif regle la fantasie,
Qui preferent vilains le profit à l’honneur,
Qui par fraude ont rauy les terres d’vn myneur
Telles sortes de gens vont apres les Pœtes,
Comme apres les hiboux vont criant les Chouëttes.
Leurs femmes vous diront, fuyez ce medisant,
Facheuse est son humeur, son parler est cuisant,
Quoy Monsieur ! n’est-ce pas cest homme à la Satyre,
Qui perdroit son amy, plustost qu’vn mot pour rire,
Il emporte la piece ! & c’est là de par-Dieu,
(Ayant peur que ce soit celle-là du milieu)
Où le soulier les blece, autrement ie n’estime
Qu’aucune eust volonté de m’accuser de crime.
Car pour elles depuis qu’elles viennent au point,
Elles ne voudroient pas que l’on ne le sçeut point,
Vn grand contentement mal-aisement se celle :
Puis c’est des amoureux la regle vniuerselle,
De defferer si fort à leur affection
Qu’ils estiment honneur leur folle passion.
Et quand est de l’honneur de leurs maris, ie pense
Qu’aucune à bon escient n’en prendroit la deffence,
Sçachant bien qu’on n’est pas tenu par charité,
De leur donner vn bien qu’elles leur ont osté.
Voilà le grand mercy que i’auray de mes paines,
C’est le cours du marché des affaires humaines,
Qu’encores qu’vn chacun vaille icy bas son pris
Le plus cher toutesfois est souuent à mépris.
Or amy ce n’est point vne humeur de médire
Qui m’ayt fait rechercher ceste façon d’écrire,
Mais mon Pere m’aprist que des enseignemens
Les humains aprentifs formoient leurs iugemens,
Que l’exemple d’autruy doibt rendre l’homme sage,
Et guettant à propos les fautes au passage,
Me disoit, considere où cest homme est reduict
Par son ambition, cest autre toute nuict
Boit auec des Putains, engage son domaine,
L’autre sans trauailler, tout le iour se promeyne,
Pierre le bon enfant aux dez a tout perdu,
Ces iours le bien de Iean par decret fut vendu,
Claude ayme sa voisine, & tout son bien luy donne :
Ainsi me mettant l’œil sur chacune personne
Qui valoit quelque chose, ou qui ne valoit rien,
M’aprenoit doucement & le mal & le bien,
Affin que fuyant l’vn, l’autre ie recherchasse,
Et qu’aux despens d’autruy sage ie m’enseignasse.
Sçays tu si ces propos me sçeurent esmouuoir,
Et contenir mon ame en vn iuste deuoir,
S’ils me firent penser à ce que l’on doit suiure,
Pour bien & iustement en ce bas monde viure.
Ainsi que d’vn voisin le trespas suruenu
Fait resoudre vn malade en son lict detenu
A prendre malgré luy tout ce qu’on luy ordonne,
Qui pour ne mourir point de crainte se pardonne,
De mesmes les espris debonnaires & doux
Se façonnent prudens, par l’exemple des foux,
Et le blasme d’autruy leur fait ces bons offices,
Qu’il leur aprend que c’est de vertus, & de vices.
Or quoy que i’aye fait, si m’en sont-ils restez,
Qui me pouront par l’age, à la fin estre ostez,
Ou bien de mes amis auec la remonstrance,
Ou de mon bon Demon suyuant l’intelligence :
Car quoy qu’on puisse faire estant homme, on ne peut
Ny viure comme on doit, ny viure comme on veut.
En la terre icy bas il n’habitte point d’Anges :
Or les moins vicieux meritent des loüanges,
Qui sans prendre l’autruy, viuent en bon Chrestien,
Et sont ceux qu’on peut dire & saincts & gens de bien.
Quand ie suis à par moy souuent ie m’estudie,
(Tant que faire se peut) apres la maladie
Dont chacun est blecé, ie pense à mon deuoir,
I’ouure les yeux de l’ame, & m’efforce de voir
Au trauers d’vn chacun, de l’esprit ie m’escrime,
Puis dessus le papier mes caprices ie rime,
Dedans vne Satyre, où d’vn œil doux amer,
Tout le monde s’y voit, & ne s’y sent nommer.
Voilà l’vn des pechez, où mon ame est encline,
On dit que pardonner est vne œuure diuine,
Celuy m’obligera qui voudra m’excuser,
A son goust toutesfois chacun en peut vser :
Quant à ceux du mestier, ils ont de quoy s’ebatre,
Sans aller sur le pré nous nous pouuons combatre,
Nous montrant seulement de la plume ennemis,
En ce cas là du Roy les duëls sont permis :
Et faudra que bien forte ils facent la partie,
Si les plus fins d’entre eux s’en vont sans repartie.
Mais c’est vn Satyrique il le faut laisser là :
Pour moi i’en suis d’auis, & cognois à cela
Qu’ils ont vn bon esprit, Corsaires à Corsaires,
L’vn l’autre s’attaquant, ne font pas leurs affaires.
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