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Œuvres de P. Corneille, Tome 05

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ANDROMÈDE
TRAGÉDIE
1650

244

NOTICE.

Les reproches et les invectives dont les pamphlétaires de la Fronde poursuivaient Mazarin à cause de son goût pour les pièces à grand spectacle et des prodigalités auxquelles cette passion l'entraînait, sont un des lieux communs qui reparaissent le plus souvent dans leurs écrits.

«Qui ne sait, lit-on dans la Lettre d'un religieux envoyée à Monseigneur le prince de Condé, ce que coûtent à la France les comédiens chanteurs qu'il a fait venir d'Italie [417]

Adieu, maître des Trivelins;

Adieu, grand faiseur de machines;

Adieu, cause de nos ruines,

s'écrie l'auteur de la pièce intitulée le Passe-port et l'Adieu de Mazarin [418].

Dans le Sommaire de la doctrine curieuse du cardinal Mazarin par lui déclarée en une lettre qu'il écrit à un sien confident pour se purger de l'arrêt du Parlement, le Cardinal est censé se proposer de répondre, comme on va le voir, à la question qu'il prévoit au sujet de ces folles dépenses:

«Interrogatoire. Si je n'ai pas diverti le fonds des finances du Roi et employé plus d'argent aux machines de théâtres et ballets qu'à celles de la guerre?

«Réponse. Que ce fait ne consiste qu'en interprétation, et que ces profusions ne me seront pas imputées à crime, quand on saura qu'il ne coûtoit chose quelconque au Roi des ballets et des comédies qui lui ont donné tant de plaisir, parce que les avances se prenoient véritablement dans les coffres de Sa Majesté; mais ayant eu soin de les faire représenter au public après que le Roi et sa cour y avoient pris leur satisfaction, je retirois par mes gens beaucoup plus que les avances n'avoient coûté: ce que j'employois aux récompenses que la Reine me permettoit de prendre pour mes services, dont les finances de Sa Majesté se trouvoient d'autant déchargées [419]

Ces reproches s'appliquent principalement à

.... Ce cher ballet,

Ce beau, mais malheureux Orphée,

Ou, pour mieux parler, ce Morphée,

Puisque tant de monde y dormit [420].

Non content du «superbe salon que le cardinal de Richelieu avoit fait bâtir,» Mazarin l'avait fait «rompre en partie pour donner place aux immenses machines de cette ennuyeuse comédie [421]

L'opéra d'Orphée avait été représenté au carnaval de 1647. Renaudot en fait un pompeux éloge dans l'Extraordinaire de la Gazette du 8 mars intitulé: La représentation naguères faite devant Leurs Majestés dans le Palais-Royal de la tragi-comédie d'Orphée, en musique et vers italiens. Avec les merveilleux changements de Théâtre, les machines et autres inventions jusques à présent inconnues en France.

Le journaliste officiel s'efforce de prouver qu'un tel spectacle est indispensable à la gloire de la nation: «La France, dit-il, sembloit avoir élevé en nos jours la dignité du théâtre au dernier point, ayant fait honte à l'antiquité par la force et la beauté de ses vers, et par la grâce et la naïveté de ses acteurs; mais il faut confesser qu'elle se laissoit vaincre à la pompe et décoration des scènes étrangères. Il n'étoit pas raisonnable que cet État, qui ne le cède en rien aux autres, leur fût inférieur en ce regard. Il peut aujourd'hui se vanter à juste titre qu'il ne l'emporte pas moins au-dessus de toutes les autres nations aux exercices de la paix qu'en ceux de la guerre [422]

Renaudot s'attache surtout à établir que la pièce a paru parfaitement intelligible et n'a causé aucun ennui; mais son insistance même prouve que rien ne devait être plus contestable. «Voilà..., dit-il, le fidèle rapport de ce qui s'est passé en cette action, mais le principal y manque, qui est de voir ce sujet animé par l'organe de ses acteurs et par leurs gestes, qui l'exprimoient si parfaitement qu'ils se pouvoient faire entendre à ceux qui n'avoient aucune connoissance de leur langue. Le Roi y apporta aussi tant d'attention qu'encore que Sa Majesté l'eût déjà vue deux fois, elle y voulut encore assister cette troisième, n'ayant donné aucun témoignage de s'y ennuyer, bien qu'elle dût être fatiguée du bal du jour précédent [423]

Si en voyant pour la troisième fois un ouvrage de ce genre le Roi ne bâilla pas par trop fort, car c'est là en fin de compte ce que semblent signifier les euphémismes de Renaudot, cela était dû sans doute à la magnificence du spectacle, bien fait pour charmer un prince de huit ans. Tout le monde du reste trouva les machines très-belles; mais on eût souhaité un poëme plus intéressant. On songea à en commander un à Corneille, et l'on se mit en mesure de tout disposer pour le carnaval de 1648; mais, vers la fin de 1647, le Roi fut assez gravement atteint de la petite vérole et Vincent de Paul profita de cette circonstance pour tâcher de faire perdre à la Reine le goût des amusements profanes. C'est un contemporain qui nous l'apprend en ces termes, dans une lettre du 20 décembre 1647:

«On préparoit force machines au palais Cardinal pour représenter à ce carnaval une comédie en musique dont M. Corneille a fait les paroles. Il avoit pris Andromède pour sujet, et je crois qu'il l'eût mieux traité à notre mode que les Italiens; mais depuis la guérison du Roi, M. Vincent a dégoûté la Reine de ces divertissements, de sorte que tous les ouvrages ont cessé [424]

Ce témoignage est corroboré et complété par celui de Dubuisson Aubenay, qui y ajoute des détails plus précis: «L'affaire

de la comédie françoise d'Andromède, dit-il entre le 2 et le 8 janvier 1648, pour l'avancement de laquelle le sieur Corneille avoit reçu deux mille quatre cents livres, et le sieur Torelli [425], gouverneur des machines de la pièce d'Orphée, ajustandes (sic) à celle-ci, plus de douze mille livres, a été derechef rompue ou intermise, après avoir été naguère remise sus.» Un peu plus loin, vers le 21 janvier, on trouve encore sur le même sujet quelques renseignements nouveaux: «La comédie d'Orphée et Eurydice, jouée au Palais-Royal tout l'hiver passé, avec machines, se fait françoise par le sieur Corneille, qui, pour cela, a reçu deux mille quatre cents livres d'avance, et Torelli, conducteur des machines, plus de treize à quatorze mille livres pour les raccommoder. La maladie du Roi survenant a rompu tout le dessein qui en est demeuré d'en par là (sic). Mais les petits comédiens du Marais ont joué la pièce d'Andromède et Persée la délivrant, un mois ou plus à présent expirant, avec machines imitées de celles de l'Orphée des Italiens [426]

Cette dernière phrase, assez obscure, ne paraît toutefois pouvoir en aucune manière s'appliquer à l'Andromède de Corneille. Il est probable que les comédiens du Marais, espérant profiter de l'intérêt qu'avait excité l'annonce du nouvel ouvrage, en demandèrent un sur le même sujet à quelque autre auteur. C'est ce qui arrive encore de notre temps, et ce genre de spéculation réussit presque toujours.

Au carnaval de l'année suivante, il n'était guère question d'opéra. Mazarin avait bien d'autres affaires: on était au plus fort de la Fronde; le Roi avait quitté Paris, les théâtres étaient fermés, les comédiens sous les armes.

Une curieuse mazarinade intitulée: Imprécation comique, ou la plainte des comédiens sur la guerre passée [427], contient à ce sujet des détails intéressants et peu connus. Le poëte burlesque nous apprend d'abord en son style que les pièces manquaient aux acteurs:

Hélas! aucun ne s'étudie

A vous faire de beaux rébus

Qui nous apportent des quibus,

A composer ces belles pièces

Qui tenoient les gens en liesses,

Et qui faisoient que maints seigneurs

Nous honoriont de leurs faveurs.

Nos auteurs ont la gueule morte,

Leur fureur plus ne les transporte:

Ils n'ont plus ces rares pensers

Qui les rendoient si grands et fiers.

Il nous peint ensuite le triste état des comédiens, dont une autre mazarinade, que nous avons eu occasion de citer, nous a déjà instruits [428].

Bellerose, que l'on révère

Comme un saint qu'on ne fête guère;

De Villiers, Lespy; Beauchâteau,

Savant comme un cheval moreau [429];

Baron, dont la grande éloquence

A contenté toute la France,

Et tous mes autres compagnons,

Nous ressemblons les champignons,

Qui n'étant (pour chose très-seure)

Cueillis et en temps et en heure,

Pourrissent. . . . . . . . . . . .

Enfin depuis quatre ou cinq mois

Nous sommes plus secs que du bois,

Notre langue est comme muette.

Encore faut-il bien remarquer que ces «quatre ou cinq mois» ne s'appliquent qu'à la plus extrême misère des comédiens, qui depuis longtemps déjà ne jouaient pas; car on lit à la fin de la même pièce:

Quoi? depuis un an tout entier

Que nous n'avons pas fait grand'chose

Et que la scène se repose,

J'ai dissipé mes portions:

Il ne m'en reste deux testons.

Ceux qui formaient d'ordinaire le public des théâtres, loin, dit l'orateur des comédiens,

.... de nous venir voir,

S'efforçoient de tout leur pouvoir

A repousser avec furie

Les ennemis de leur patrie;

Nous-même, comme citoyens,

Y mettions aussi tous nos soins,

Et d'une généreuse audace

Leur donnions une belle chasse.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nous représentions sur la scène

Des combats sans beaucoup de peine,

Ni sans bien courir de hasard;

Mais maintenant, soit tôt, soit tard,

Il nous faut [430] jouer de l'escrime

Tout de bon, sans beaucoup de frime:

Témoin du côté des Marets,

Alors que ces beaux marmousets

Vouloient forcer nos barricades,

On leur envoya des nazardes

Pires que celles que chez nous

Nous envoyaient quelques filous.

Tu le sais bien, mon camarade,

Cher Jodelet, quelle incartade

On a fait à toi et aux tiens,

Ainsi que moi comédiens.

Ce n'est pas la seule pièce de ce temps qui nous montre Jodelet, le Cliton du Menteur [431], déployant dans ces troubles une vaillance dont il n'avait pas eu occasion de donner l'idée sur le théâtre; il s'était fait, à ce qu'il paraît, le capitaine des comédiens:

Il n'est pas jusqu'à Jodelet

Qui n'ait en main le pistolet,

Ayant adjoint à sa cabale

Les gens de la troupe royale;

Si bien qu'eux tous, jusqu'aux portiers,

Ont cuirasse et sont cavaliers,

Témoignant bien mieux leur courage

En personne qu'en personnage [432].

Enfin le 18 août le Roi revint à Paris; une tranquillité momentanée s'établit, les théâtres se rouvrirent:

Quand Sa Majesté retourna,

Aussitôt disparut le trouble.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le marchand est à sa boutique,

Le procureur à sa pratique,

Les hommes de robe au Palais,

Les comédiens au Marais [433].

Deux mois à peine après la rentrée du Roi, le 12 d'octobre 1649, Corneille obtint un privilége de cinq années pour le Dessein d'Andromède, c'est-à-dire le libretto de la pièce promise depuis si longtemps.

Ces desseins étaient rédigés par les auteurs pour faciliter l'intelligence de leurs ouvrages; on les vendait sans doute au théâtre, et même, lorsque la représentation avait lieu à la cour ou chez quelque riche particulier, on les donnait aux personnages de distinction. La première entrée du divertissement qui suit le Bourgeois gentilhomme nous fait assister à une distribution de ce genre; un des personnages s'écrie:

De tout ceci franc et net

Je suis mal satisfait,

Et cela sans doute est laid,

Que notre fille,

Si bien faite et si gentille,

De tant d'amoureux l'objet,

N'ait pas à son souhait

Un livre de ballet

Pour lire le sujet.

On peut voir du reste à la fin du Dessein d'Andromède [434], signalé par nous à l'attention des curieux en 1861 [435], et publié pour la première fois dans la présente édition, les motifs qui ont porté Corneille à faire paraître cet opuscule, aujourd'hui si rare.

Nous trouvons enfin le compte rendu de la pièce dans un Extraordinaire de la Gazette de 1650; mais cette analyse fort étendue, que nous reproduisons plus loin [436], n'indique pas le jour de la première représentation. Toutefois, comme elle est datée du 18 février, que Renaudot y dit qu'il a assisté à ce spectacle «il y a trois jours,» qu'il parle de personnes qui ont vu jouer l'ouvrage dix ou douze fois [437], et qu'il ajoute: «Leurs Majestés en ayant eu le plaisir peu auparavant cet heureux voyage de Normandie, d'où nous les attendons de jour à autre, leur bonté l'a voulu communiquer à ses peuples [438],» et comme enfin nous voyons par un autre numéro de la Gazette [439] que le Roi était parti de Paris le 1er février, il paraît certain qu'Andromède a été jouée pour la première fois dans le courant de janvier 1650. C'est, comme nous l'avons raconté [440], pendant ce voyage du Roi en Normandie que Corneille fut nommé procureur des états de cette province, en remplacement du sieur Baudry, créature du duc de Longueville. Le 22 février, la cour revint à Paris [441], et s'empressa de retourner le 26 applaudir Andromède. Dubuisson Aubenay le remarque dans son Journal en février 1650: «Samedi, 26e.... Le soir, Leurs Majestés vont voir la comédie d'Andromède, jouée avec machines très-belles dans la salle du Petit-Bourbon.»

On a cru longtemps que Boesset, nommé à tort Boissette par Voltaire [442], était l'auteur de la musique d'Andromède. C'est une erreur: ce compositeur si vanté [443] n'est autre que le poëte burlesque d'Assoucy. Dans un fragment de recueil paginé 91 à 136, qui vient à la suite d'un exemplaire de ses Rimes redoublées, que possède la bibliothèque de l'Arsenal, et qui, oublié longtemps, a été, il y a peu d'années, remis en lumière par M. Paul Lacroix [444], il dit en propres termes: «C'est moi qui ai donné l'âme aux vers de l'Andromède de M. de Corneille.» M. Édouard Fournier, qui cite à son tour ce passage dans ses Notes sur la vie de Corneille [445], en rapproche avec beaucoup d'à-propos un sonnet adressé par Corneille à d'Assoucy pour être placé en tête de son Ovide en belle humeur, publié en 1650, l'année même où ils faisaient représenter leur Andromède. Ce sonnet, qui prouve leur intimité passagère, se trouvera à sa date parmi les Poésies diverses de notre édition.

Dans une pièce de ce genre, le véritable auteur n'est ni le poëte, ni le musicien: c'est le machiniste. Aussi les contemporains ne tarissent-ils pas sur les merveilles dont Torelli a enrichi cet ouvrage. Nous n'avons pas du reste à insister ici sur ce point; nous renvoyons le lecteur au Dessein d'Andromède de Corneille, et à la relation fort élogieuse que Renaudot a faite de cet ouvrage dans sa Gazette, suivant notre poëte [446], «avec beaucoup d'éloquence et de doctrine.» On trouvera ces deux morceaux à la suite de la présente notice. Remarquons seulement qu'on lit dans un article de de Visé, inséré dans le Mercure de juillet 1682, et sur lequel nous aurons tout à l'heure à revenir, que les machines d'Andromède «parurent si belles, aussi bien que les décorations, qu'elles furent gravées en taille-douce.»

Ces planches, de format petit in-folio, sont au nombre de six, et représentent chacune des décorations de la pièce au moment où les Dieux apparaissent, et où par conséquent les machines occupent la scène. Elles ont été gravées par Chauveau, et semblent avoir été publiées isolément [447]. Quand on les considère avec attention, on est frappé de la beauté des points de vue, de l'harmonie de l'ensemble, de l'étendue de la perspective; mais la disposition générale offre une régularité fatigante, qu'on retrouverait tout au plus aujourd'hui dans les théâtres de marionnettes: toutes les coulisses se répètent symétriquement à droite et à gauche, et aboutissent à une toile de fond qui continue à l'infini la perspective. On ne trouve ni dans ces décorations, ni dans aucune de celles de ce temps, rien d'analogue aux ingénieux artifices qui de nos jours permettent aux machinistes et aux décorateurs de varier à l'infini les sites et d'échapper, par la disposition savante des premiers plans, à la monotonie que semble imposer la construction même de la scène. Torelli d'ailleurs se trouvait sans doute gêné par le mécanisme de son invention, qui faisait changer la scène entière en même temps par un système de contre-poids habilement mis en œuvre. Il était difficile de se soustraire à la nécessité d'une construction uniforme pour des décors destinés à se remplacer successivement à l'aide d'un procédé mécanique.

Quoique nous possédions sur cet ouvrage des renseignements forts abondants et provenant de sources très-diverses, nous ne trouvons l'indication d'aucun des acteurs qui y ont joué d'original. Il semble hors de doute que la pièce a dû être représentée par la troupe royale. On a supposé sans preuves qu'elle s'était peut-être adjoint quelques comédiens de l'illustre théâtre [448]; mais si la troupe de Molière ne prit pas part aux premières représentations d'Andromède, il paraît du moins assuré que plus tard elle représenta cet ouvrage. On trouve dans le catalogue de la Bibliothèque dramatique de M. de Soleinne [449], la description d'un exemplaire de l'Andromède in-4o, de 1651, qui provenait de la bibliothèque de Pont-de-Vesle, et fut adjugé au prix, alors assez élevé, de cinq cent vingt-neuf francs, à cause des particularités curieuses qu'il présentait. Sur la liste placée en tête de la pièce, Molière, lui-même, suivant toute apparence, avait écrit en regard du nom de chaque personnage celui de l'acteur qui le représentait. Voici la distribution de rôles que ces renseignements nous font connaître:

Du Parc, Jupiter; Mlle Béjart, Junon et Andromède; de Brie, Neptune; l'Éguisé, Mercure et un page de Phinée; Béjart, le Soleil et Timante; Mlle de Brie, Vénus, Cymodoce et Aglante; Mlle Hervé, Melpomène et Céphalie; Vauselle, Éole et Ammon; Mlle Menou, Éphyre; Mlle Magdelon, Cydippe et Liriope; VALETS, huit Vents; Dufresne, Céphée; Mlle Vauselle, Cassiope; Chasteauneuf, Phinée; Molière, Persée, l'Estang, Chœur de peuple.

Le rôle de Phinée était d'abord donné à Molière et celui de Persée à Chasteauneuf, mais cette distribution a été remplacée par celle que nous indiquons. Le nom de Phorbas, qui ne figure pas dans la liste imprimée des personnages, y a été ajouté, et ce rôle a été attribué à Mlle Hervé, déchargée sans doute de celui de Céphalie, dont le nom a été remplacé à la main dans le courant de l'ouvrage par celui d'Aglante; dans la dernière scène Jupiter a été substitué à Junon. Ces arrangements ont été sans doute pratiqués par Molière lorsqu'il parcourait la province; mais il est difficile d'en préciser l'époque.

L'Andromède de Corneille semblait oubliée lorsqu'on joua sur le théâtre de l'Académie royale de musique, le samedi 18 avril 1682, le Persée de Quinault, avec musique de Lully. Le grand concours de monde qu'attira cet ouvrage engagea les comédiens de l'hôtel de Bourgogne, réunis depuis le 25 août 1680 à ceux de la rue Mazarine [450], à remettre au théâtre la pièce de Corneille. Elle fut jouée avec un grand succès le dimanche 19 juillet 1682. Voici en quels termes de Visé rend compte de la première représentation [451]:

«Les grands applaudissements que reçut cette belle tragédie portèrent les comédiens du Marais à la remettre sur pied après qu'on eut abattu le Petit-Bourbon. Ils réussirent dans cette dépense, qu'ils ont faite trois ou quatre fois, et elle vient d'être renouvelée par la grande troupe avec beaucoup de succès. Comme on renchérit toujours sur ce qui a été fait, on a représenté le cheval Pégase par un véritable cheval, ce qui n'avoit jamais été vu en France. Il joue admirablement son rôle et fait en l'air tous les mouvements qu'il pourroit faire sur terre. Je sais que l'on voit souvent des chevaux vivants dans les opéras d'Italie; mais si nous voulons croire ceux qui les ont vus, ils y paroissent liés d'une manière qui ne leur laissant aucune action, produit un effet peu agréable à la vue.»

Les frères Parfait, qui rapportent ce passage du Mercure, ajoutent ici en note [452]: «Une personne qui a vu la représentation de cette remise nous a instruits de la façon dont on s'étoit pris pour faire marquer à ce cheval une ardeur guerrière. Un jeûne austère auquel on le réduisoit lui donnoit un grand appétit; et lorsqu'on le faisoit paroître, un gagiste étoit dans une coulisse, où il vannoit de l'avoine. Ce cheval, pressé par la faim, hennissoit, trépignoit des pieds, et répondoit ainsi parfaitement au dessein qu'on avoit. On ajoute que c'est le sieur Dauvilliers qui joua le rôle de Persée. Ce jeu de théâtre du cheval contribua fort au succès qu'eut alors cette tragédie. Tout le monde s'empressoit de voir les mouvements singuliers de cet animal, qui remplissent de mieux en mieux ses devoirs.»

Nous lisons dans la Gazette de 1682 [453]:

«Le Dauphin va le 18 août 1682 à la foire Saint-Laurent, et ensuite au faubourg S. Germain, voir représenter la Tragédie d'Andromède, du Sr Corneille.» De leur côté les frères Parfait complètent ainsi la relation de de Visé: «Andromède fut jouée à cette reprise trente-trois fois de suite, jusqu'au quatrième jour d'octobre suivant: on la continua le vendredi 22 janvier 1683 jusqu'au 3 février de la même année, jour de la trente-neuvième représentation. La quarantième est du samedi 20 mars, et la quarante-cinquième et dernière, le 4 avril.» Enfin Jolly parle ainsi, dans l'Avertissement de son édition de Corneille [454], d'une sorte de programme publié pour ces représentations: «Suivant un imprimé in-4o (Paris, 1682), les comédiens du Roi, entretenus par Sa Majesté, remirent en 1682 la tragédie d'Andromède sur leur théâtre, rue de Guénégaud; cette entreprise fut conduite par le sieur Dufort, ingénieur et machiniste des comédiens; le titre en parle ainsi. M. Corneille fit alors quelques augmentations dans les vers que des comédiens et des comédiennes chantaient; ils y sont nommés. Cette pièce eut un grand succès.»

Nous ne connaissons point d'édition d'Andromède antérieure à 1651; celle qu'on a toujours regardée comme la première est intitulée:

Andromede, Tragedie. Représentée avec les machines sur le théâtre royal de Bourbon.—A. Rouen, chez Laurens Maurry, près le Palais, avec priuilége du Roy, M. DC.LI, et se vend à Paris, chez Charles de Sercy, au Palais....

Le volume, de format in-4o, se compose de 5 feuillets et de 123 pages. En tête se trouve un frontispice de Chauveau représentant la fête des fiançailles de Phinée et d'Andromède, au moment où les Néréides sortent des eaux pour y assister, et où Cassiope déclare la beauté de sa fille supérieure à celle de ces nymphes, ainsi que cela est raconté dans la première scène de l'ouvrage [455]. Le privilége, commun à Andromède et à Nicomède, ainsi qu'au Feint Astrologue et aux Engagements du hasard, les deux premières comédies de Thomas Corneille, est du 12 mars 1651, et l'Achevé d'imprimer du 13 août de la même année.

Dans l'édition originale de Don Sanche, on trouve un autre privilége, daté «du IIe jour d'avril de l'an de grâce mil six cent cinquante,» et commun à Don Sanche et à Andromède; mais il est probable que ce privilége antérieur n'a pas été employé pour la seconde de ces pièces, et cela explique pourquoi Corneille a fait figurer de nouveau cette tragédie lyrique dans le privilége de Nicomède. Il est vrai que, dans l'édition collective de 1654, Andromède est suivie du privilége de 1650, au bas duquel est un Achevé d'imprimer du 13 août 1650; mais si l'on songe que l'Achevé d'imprimer de 1661 est du même mois et du même jour, on sera porté à ne voir qu'une confusion ou une faute typographique dans cette date du 13 août 1650 (pour 1651).

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