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Œuvres de P. Corneille, Tome 05

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ARGUMENT.

D. Fernand, roi d'Aragon, chassé de ses États par la révolte de D. Garcie d'Ayala, comte de Fuensalida, n'avoit plus sous son obéissance que la ville de Catalaïud et le territoire des environs, lorsque la reine D. [719] Léonor, sa femme, accoucha d'un fils, qui fut nommé D. Sanche. Ce déplorable prince, craignant qu'il ne demeurât exposé aux fureurs de ce rebelle, le fit aussitôt enlever par D. Raymond de Moncade, son confident, afin de le faire nourrir secrètement. Ce cavalier, trouvant dans le village de Bubierça la femme d'un pêcheur nouvellement accouchée d'un enfant mort, lui donne celui-ci à nourrir, sans lui dire qui il étoit; mais seulement qu'un jour le roi et la reine d'Aragon le feroient Grand lorsqu'elle leur feroit présenter par lui un petit écrin, qu'en même temps il lui donna. Le mari de cette pauvre femme étoit pour lors à la guerre, si bien que revenant au bout d'un an, il prit aisément cet enfant pour sien, et l'éleva comme s'il en eût été le père. La Reine ne put jamais savoir du Roi où il avoit fait porter son fils: et tout ce qu'elle en tira, après beaucoup de prières, ce fut qu'elle le reconnoîtroit un jour quand on lui présenteroit cet écrin, où il auroit mis [720] leurs deux portraits, avec un billet de sa main et quelques autres pièces de remarque; mais voyant qu'elle continuoit toujours à en vouloir savoir davantage, il arrêta sa curiosité tout d'un coup, et lui dit qu'il étoit mort. Il soutint après cela cette malheureuse guerre encore trois ou quatre ans, ayant toujours quelque nouveau désavantage, et mourut enfin de déplaisir et de fatigue, laissant ses affaires désespérées, et la Reine grosse, à qui il conseilla d'abandonner entièrement l'Aragon et se réfugier en Castille: elle exécuta ses ordres, et y accoucha d'une fille nommée D. Elvire, qu'elle y éleva jusques à l'âge de vingt ans. Cependant le jeune prince D. Sanche, qui se croyoit fils d'un pêcheur, dès qu'il en eut atteint seize, se dérobe de ses parents et se jette dans les armées du roi de Castille, qui avoit de grandes guerres contre les Maures [721]; et de peur d'être connu pour ce qu'il pensoit être [722], il quitte le nom de Sanche qu'on lui avoit laissé, et prend celui de Carlos. Sous ce faux nom, il fait tant de merveilles, qu'il entre en grande considération auprès du roi D. Alphonse, à qui il sauve la vie en un jour de bataille; mais comme ce monarque étoit près de le récompenser, il est surpris de la mort, et ne lui laisse autre chose que les favorables regards de la reine D. Isabelle, sa sœur et son héritière, et de la jeune princesse d'Aragon, D. Elvire, que l'admiration de ses belles actions avoit portées toutes deux jusques à l'aimer [723], mais d'un amour étouffé par le souvenir de ce qu'elles devoient à la dignité de leur naissance. Lui-même avoit conçu aussi de la passion pour toutes deux, sans oser prétendre à pas une, se croyant si fort indigne d'elles. Cependant tous les grands de Castille ne voyant point de rois voisins qui pussent épouser leur reine, prétendent à l'envi l'un de l'autre à son mariage, et étant près de former une guerre civile pour ce sujet, les états du royaume la supplient de choisir un mari, pour éviter les malheurs qu'ils en prévoyoient devoir naître. Elle s'en excuse comme ne connoissant pas assez particulièrement le mérite de ses prétendants, et leur commande de choisir [724] eux-mêmes les trois qu'ils en jugent les plus dignes, les assurant que s'il se rencontre quelqu'un entre ces trois pour qui elle puisse prendre quelque inclination, elle l'épousera. Ils obéissent, et lui nomment D. Manrique de Lare, D. Lope de Gusman, et D. Alvar de Lune, qui bien que passionné pour la princesse D. Elvire, eût cru faire une lâcheté et offenser sa reine, s'il eût rejeté l'honneur qu'il recevoit de son pays par cette nomination. D'autre côté, les Aragonois, ennuyés de la tyrannie de D. Garcie et de D. Ramire, son fils, les chassent de Saragosse; et les ayant assiégés dans la forteresse de Jaca, envoient des députés à leurs princesses, réfugiées [725] en Castille, pour les prier de revenir prendre possession d'un royaume qui leur appartenoit. Depuis leur départ, ces deux tyrans ayant été tués en la prise de Jaca, D. Raymond, qu'ils y tenoient prisonnier depuis six ans, apprend à ces peuples que D. Sanche, leur prince, étoit vivant, et part aussitôt pour le chercher à Bubierça, où il apprend que le pêcheur, qui le croyoit son fils, l'avoit perdu depuis huit ans, et l'étoit allé chercher en Castille, sur quelques nouvelles qu'il en avoit eues par un soldat qui avoit servi sous lui contre les Maures. Il pousse aussitôt de ce côté-là, et joint les députés comme ils étoient près d'arriver. C'est par son arrivée que l'aventurier Carlos est reconnu pour le prince D. Sanche; après quoi la reine D. Isabelle se donne à lui, du consentement même des trois que ses états lui avoient nommés; et D. Alvar en obtient la princesse D. Elvire, qui par cette reconnoissance se trouve être sa sœur.

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