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Œuvres de P. Corneille, Tome 05

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EXAMEN.

Le sujet de cette pièce est si connu par ce qu'en dit Ovide au 4. et 5. livre de ses Métamorphoses, qu'il n'est point besoin d'en importuner le lecteur. Je me contenterai de lui rendre compte de ce que j'y ai changé, tant par la liberté de l'art, que par la nécessité de l'ordre du théâtre, et pour donner plus d'éclat à sa représentation.

En premier lieu, j'ai cru plus à propos de faire Cassiope vaine de la beauté de sa fille que de la sienne propre, d'autant qu'il est fort extraordinaire qu'une femme dont la fille est en âge d'être mariée ait encore d'assez beaux restes pour s'en vanter si hautement, et qu'il n'est pas vraisemblable que cet orgueil de Cassiope pour elle-même eût attendu si tard à éclater, vu que c'est dans la jeunesse que la beauté est plus parfaite, et que le jugement étant moins formé donne plus de lieu [513] à des vanités de cette nature, et non pas alors que cette même beauté commence d'être sur le retour, et que l'âge a mûri l'esprit de la personne qui s'en seroit enorgueillie en un autre temps.

Ensuite, j'ai supposé que l'oracle d'Ammon n'avoit pas condamné précisément Andromède à être dévorée par le monstre, mais qu'il avoit ordonné seulement qu'on lui exposât tous les mois une fille, qu'on jetât le sort pour voir celle qui lui devoit être livrée; et que cet ordre ayant déjà été exécuté cinq fois, on étoit au jour qu'il le falloit suivre pour la sixième, qui par là devient un jour illustre, remarquable, et attendu non-seulement par tous les acteurs de la tragédie, mais par tous les sujets d'un roi [514].

J'ai introduit Persée comme un chevalier errant qui s'est arrêté depuis un mois dans la cour de Céphée, et non pas comme se rencontrant par hasard dans le temps qu'Andromède est attachée au rocher. Je lui ai donné de l'amour pour elle, qu'il n'ose découvrir, parce qu'il la voit promise à Phinée, mais qu'il nourrit toutefois d'un peu d'espoir, parce qu'il voit son mariage différé jusqu'à la fin [515] des malheurs publics. Je l'ai fait plus généreux qu'il n'est dans Ovide, où il n'entreprend la délivrance de cette princesse qu'après que ses parents l'ont assuré qu'elle l'épouseroit sitôt qu'il l'auroit délivrée. J'ai changé aussi la qualité de Phinée, que j'ai fait seulement neveu du Roi, dont Ovide le nomme frère, le mariage de deux cousins me semblant plus supportable dans nos façons de vivre que celui de l'oncle et de la nièce, qui eût paru un peu plus étrange à mes auditeurs.

Les peintres, qui cherchent à faire voir [516] leur art dans les nudités, ne manquent jamais à nous représenter Andromède nue au pied du rocher où elle est attachée, quoique Ovide n'en parle point. Ils me pardonneront si je ne les ai pas suivis en cette invention, comme j'ai fait en celle du cheval Pégase, sur lequel ils montent Persée pour combattre le monstre, quoique Ovide ne lui donne que des ailes aux talons. Ce changement donne lieu à une machine toute extraordinaire, merveilleuse, et empêche que Persée ne soit pris pour Mercure; outre qu'ils ne le mettent pas en cet équipage sans fondement, vu que le même Ovide raconte que sitôt que Persée eut coupé la monstrueuse tête de Méduse, Pégase tout ailé sortit de cette Gorgone, et que Persée s'en put saisir dès lors pour faire ses courses par le milieu de l'air.

Nos globes célestes, où l'on marque pour constellations Céphée, Cassiope, Persée et Andromède, m'ont donné jour à les faire enlever tous quatre au ciel sur la fin de la pièce, pour y faire les noces de ces amants, comme si la terre n'en étoit pas digne.

Au reste, comme Ovide ne nomme point la ville où il fait arriver cette aventure, je ne me suis non plus enhardi à la nommer. Il dit pour toute chose que Céphée régnoit en Éthiopie, sans désigner sous quel climat. La topographie moderne de ces contrées-là n'est pas fort connue, et celle du temps de Céphée encore moins. Je me contenterai donc de vous dire qu'il falloit que Céphée régnât en quelque pays maritime, et que sa ville capitale fût sur le bord de la mer.

Je sais bien, qu'au rapport de Pline [517] les habitants de Joppé, qu'on nomme aujourd'hui Jaffa dans la Palestine, ont prétendu que cette histoire s'étoit passée chez eux: ils envoyèrent à Rome des os de poisson d'une grandeur extraordinaire, qu'ils disoient être du monstre à qui Andromède avoit été exposée. Ils montraient un rocher proche de leur ville, où ils assuroient qu'elle avoit été attachée; et encore maintenant ils se vantent de ces marques d'antiquité à nos pèlerins qui vont en Jérusalem, et prennent terre en leur port. Il se peut faire que cela parte d'une affectation autrefois assez ordinaire aux peuples du paganisme, qui s'attribuoient à haute gloire d'avoir chez eux ces vestiges de la vieille fable, que l'erreur commune y faisoit passer pour histoire. Ils se croyoient par là bien fondés à se donner cette prérogative d'être d'une origine plus ancienne que leurs voisins, et prenoient avidement toute sorte d'occasions de satisfaire à cette ambition. Ainsi il n'a fallu que la rencontre par hasard de ces os monstreux que la mer avoit jetés sur leurs rivages, pour leur donner lieu de s'emparer de cette fiction, et de placer la scène de cette aventure au pied de leurs rochers. Pour moi, je me suis attaché à Ovide, qui la fait arriver en Éthiopie, où il met le royaume de Céphée par ces vers:

Æthiopum populos, Cepheaque conspicit arva;
Illic immeritam maternæ pendere linguæ
Andromedam pœnas
, etc. [518]

Il se pouvoit faire que Céphée eût conquis cette ville de Joppé, et la Syrie même, où elle est située. Pline l'assure au 29. chapitre du 6. livre, par cette raison que l'histoire d'Andromède s'y est passée: Æthiopiam imperitasse Syriæ, Cephei regis ætate, patet Andromedæ fabulis [519]. Mais ceux qui voudront contester cette opinion peuvent répondre que ce n'est que prouver une erreur par une autre erreur, et éclaircir une chose douteuse par une encore plus incertaine. Quoi qu'il en soit, celle d'Ovide ne peut subsister avec celle-là; et quelques bons yeux qu'eût Persée, il est impossible qu'il découvrît d'une seule vue l'Éthiopie et Joppé, ce qu'il auroit dû faire, si ce qu'entend le poëte par Cephea arva n'étoit autre chose que son territoire.

Le même Ovide, dans quelqu'une de ses épîtres, ne fait pas Andromède blanche, mais basanée:

Andromede patriæ fusca colore suæ [520].

Néanmoins, dans la Métamorphose, il nous en donne une autre idée à former, lorsqu'il dit que, n'eût été ses cheveux qui voltigeoient au gré du vent, et les larmes qui lui couloient des yeux, Persée l'eût prise pour une statue de marbre:

Marmoreum ratus esset opus [521];

ce qui semble ne se pouvoir entendre que du marbre blanc, étant assez inouï que l'on compare la beauté d'une fille à une autre sorte de marbre. D'ailleurs, pour la préférer à celle des Néréides, que jamais on n'a fait noires, il falloit que son teint eût quelque rapport avec le leur, et que par conséquent elle n'eût pas celui que communément nous donnons aux Éthiopiens. Disons donc qu'elle étoit blanche, puisque à moins que cela il n'auroit pas été vraisemblable que Persée, qui étoit né dans la Grèce, fût devenu amoureux d'elle. Nous aurons de ce parti le consentement de tous les peintres, et l'autorité du grand Héliodore, qui n'a fondé la blancheur de sa Chariclée que sur un tableau d'Andromède [522]. Pline, au huitième chapitre de son cinquième livre, fait mention de certains peuples d'Afrique qu'il appelle Leuco-Æthiopes. Si l'on s'arrête à l'étymologie de leur nom, ces peuples devoient être blancs, et nous en pouvons faire les sujets de Céphée, pour donner à cette tragédie toute la justesse dont elle a besoin touchant la couleur des personnages qu'elle introduit sur la scène.

Vous [523] y trouverez cet ordre gardé dans les changements de théâtre, que chaque acte, aussi bien que le prologue, a sa décoration particulière, et du moins une machine volante, avec un concert de musique, que je n'ai employée qu'à satisfaire les oreilles des spectateurs, tandis que leurs yeux sont arrêtés à voir descendre ou remonter une machine, ou s'attachent à quelque chose qui les empêche [524] de prêter attention à ce que pourroient dire les acteurs, comme fait le combat de Persée contre le monstre. Mais je me suis bien gardé de faire rien chanter qui fût nécessaire à l'intelligence de la pièce, parce que communément les paroles qui se chantent étant mal entendues des auditeurs, pour la confusion qu'y apporte la diversité des voix qui les prononcent ensemble, elles auroient fait une grande obscurité dans le corps de l'ouvrage, si elles avoient eu à les instruire de quelque chose qui fût important [525]. Il n'en va pas de même des machines, qui ne sont pas dans cette tragédie comme des agréments détachés; elles en font en quelque sorte [526] le nœud et le dénouement, et y sont si nécessaires que vous n'en sauriez retrancher aucune que vous ne fassiez tomber tout l'édifice.

Les [527] diverses décorations dont les pièces de cette nature ont besoin, nous obligeant à placer les parties de l'action en divers lieux particuliers, nous forcent de pousser un peu au delà de l'ordinaire l'étendue du lieu général qui les renferme ensemble et en constitue l'unité. Il est malaisé qu'une ville y suffise: il y faut ajouter quelques dehors voisins, comme est ici le rivage de la mer. C'est la seule décoration que la fable m'a fournie: les quatre autres sont de pure invention. Il auroit été superflu de les spécifier dans les vers, puisqu'elles sont présentes à la vue [528]; et je ne tiens pas qu'il soit besoin qu'elles soient si propres à ce qui s'y passe, qu'il ne se soit pu passer ailleurs aussi commodément; il suffit qu'il n'y aye pas de raison pourquoi il se doive plutôt passer ailleurs qu'au lieu où il se passe. Par exemple, le premier acte est une place publique proche du temple, où se doit jeter le sort pour savoir quelle victime on doit ce jour-là livrer au monstre: tout ce qui s'y dit se diroit aussi bien dans un palais ou dans un jardin; mais il se dit aussi bien dans cette place qu'en ce jardin ou dans ce palais. Nous pouvons choisir un lieu selon le vraisemblable ou le nécessaire; et il suffit qu'il n'y aye aucune répugnance du côté de l'action au choix que nous en faisons, pour le rendre vraisemblable, puisque cette action ne nous présente pas toujours un lieu nécessaire, comme est la mer et ses rochers au troisième acte, où l'on voit l'exposition d'Andromède, et le combat de Persée contre le monstre, qui ne pouvoit se faire ailleurs. Il faut néanmoins prendre garde à choisir d'ordinaire un lieu découvert, à cause des apparitions des Dieux qu'on introduit. Andromède, au second acte, seroit aussi bien dans son cabinet que dans le jardin, où je la fais s'entretenir avec ses nymphes et avec son amant; mais comment se feroit l'apparition d'Éole dans ce cabinet? et comment les vents l'en pourroient-ils enlever, à moins de la faire passer par la cheminée, comme nos sorciers? Par cette raison, il y peut avoir quelque chose à dire à celle de Junon, au quatrième acte, qui se passe dans la salle du palais royal; mais comme ce n'est qu'une apparition simple d'une déesse, qui peut se montrer et disparoître où et quand il lui plaît, et ne fait que parler aux acteurs, rien n'empêche qu'elle ne se soit faite dans un lieu fermé. J'ajoute que quand il y auroit quelque contradiction de ce côté-là, la disposition de nos théâtres seroit cause qu'elle ne seroit pas sensible aux spectateurs. Bien qu'ils représentent en effet des lieux fermés, comme une chambre ou une salle, ils ne sont fermés par haut que de nuages; et quand on voit descendre le char de Junon du milieu de ces nuages, qui ont été continuellement en vue, on ne fait pas une réflexion assez prompte ni assez sévère sur le lieu, qui devroit être fermé d'un lambris, pour y trouver quelque manque de justesse.

L'oracle de Vénus, au premier acte, est inventé avec assez d'artifice pour porter les esprits dans un sens contraire à sa vraie intelligence; mais il ne le faut pas prendre pour le vrai nœud de la pièce: autrement il seroit achevé dès le troisième, où l'on en verroit le dénouement. L'action principale est le mariage de Persée avec Andromède: son nœud consiste en l'obstacle qui s'y rencontre du côté de Phinée, à qui elle est promise, et son dénouement en la mort de ce malheureux amant, après laquelle il n'y a plus d'obstacle. Je puis dire toutefois à ceux qui voudront prendre absolument cet oracle de Vénus pour le nœud de cette tragédie, que le troisième acte n'en éclaircit que les premiers vers, et que les derniers ne se font entendre que par l'apparition de Jupiter et des autres Dieux, qui termine la pièce.

La diversité de la mesure et de la croisure des vers que j'y ai mêlés me donne occasion de tâcher à les justifier, et particulièrement les stances dont je me suis servi en beaucoup d'autres poëmes, et contre qui je vois quantité de gens d'esprit et savants au théâtre témoigner aversion. Leurs raisons sont diverses. Les uns ne les improuvent pas tout à fait, mais ils disent que c'est trop mendier l'acclamation [529] populaire en faveur d'une antithèse, ou d'un trait spirituel qui ferme chacun de leurs couplets, et que cette affectation est une espèce de bassesse qui ravale trop la dignité de la tragédie. Je demeure d'accord que c'est quelque espèce de fard; mais puisqu'il embellit notre ouvrage, et nous aide à mieux atteindre le but de notre art, qui est de plaire, pourquoi devons-nous renoncer à cet avantage? Les anciens [530] se servoient sans scrupule, et même dans les choses extérieures, de tout ce qui les pouvoit faire arriver: Euripide vêtoit ses héros malheureux d'habits déchirés [531], afin qu'ils fissent plus de pitié; et Aristophane fait commencer sa comédie des Grenouilles par Xanthias monté sur un âne, afin d'exciter plus aisément l'auditeur à rire. Cette objection n'est donc pas d'assez d'importance [532] pour nous interdire l'usage d'une chose qui tout à la fois nous donne de la gloire, et de la satisfaction à nos spectateurs.

Il est vrai qu'il faut leur plaire selon les règles; et c'est ce qui rend l'objection des autres plus considérable, en ce qu'ils veulent trouver quelque chose d'irrégulier dans cette sorte de vers. Ils disent que bien qu'on parle en vers sur le théâtre, on est présumé ne parler qu'en prose; qu'il n'y a que cette sorte de vers que nous appelons alexandrins à qui l'usage laisse tenir nature de prose; que les stances ne sauroient passer que pour vers; et que par conséquent nous n'en pouvons mettre avec vraisemblance en la bouche d'un acteur, s'il n'a eu loisir d'en faire, ou d'en faire faire par un autre, et de les apprendre par cœur [533].

J'avoue que les vers qu'on récite sur le théâtre sont présumés être prose: nous ne parlons pas d'ordinaire en vers, et sans cette fiction leur mesure et leur rime sortiroient du vraisemblable. Mais par quelle raison peut-on dire que les vers alexandrins tiennent nature de prose, et que ceux des stances n'en peuvent faire autant? Si nous en croyons Aristote il faut se servir au théâtre des vers qui sont les moins vers, et qui se mêlent au langage commun, sans y penser, plus souvent que les autres. C'est par cette raison que les poëtes tragiques ont choisi l'ïambique plutôt que l'hexamètre, qu'ils ont laissé aux épopées, parce qu'en parlant sans dessein d'en faire, il se mêle dans notre discours plus d'ïambiques que d'hexamètres [534]. Par cette même raison les vers de stances [535] sont moins vers que les alexandrins, parce que parmi notre langage commun il se coule plus de ces vers inégaux, les uns courts, les autres longs, avec des rimes croisées et éloignées les unes des autres, que de ceux dont la mesure est toujours égale, et les rimes toujours mariées. Si nous nous en rapportons à nos poëtes grecs, ils ne se sont pas tellement arrêtés aux ïambiques, qu'ils ne se soient servis d'anapestiques, de trochaïques, et d'hexamètres même, quand ils l'ont jugé à propos. Sénèque en a fait autant qu'eux; et les Espagnols, ses compatriotes, changent aussi souvent de genre de vers que de scène. Mais l'usage de France est autre, à ce qu'on prétend, et ne souffre que les alexandrins à tenir lieu de prose. Sur quoi je ne puis m'empêcher de demander qui sont les maîtres de cet usage, et qui peut l'établir sur le théâtre, que ceux qui l'ont occupé avec gloire depuis trente ans, dont pas un ne s'est défendu de mêler des stances dans quelques-uns des poëmes qu'ils y ont donnés; je ne dis pas dans tous, car il ne s'en offre pas d'occasions en tous, et elles n'ont pas bonne grâce à exprimer tout: la colère, la fureur, la menace, et tels autres mouvements violents, ne leur sont pas propres; mais les déplaisirs, les irrésolutions, les inquiétudes, les douces rêveries, et généralement tout ce qui peut souffrir à un acteur de prendre haleine, et de penser à ce qu'il doit dire ou résoudre, s'accommode merveilleusement avec leurs cadences inégales, et avec les pauses qu'elles font faire à la fin de chaque couplet. La surprise agréable que fait à l'oreille ce changement de cadence imprévu, rappelle puissamment les attentions égarées; mais il faut éviter le trop d'affectation. C'est par là que les stances du Cid sont inexcusables et les mots de peine et Chimène [536], qui font la dernière rime de chaque strophe, marquent un jeu du côté du poëte, qui n'a rien de naturel du côté de l'acteur. Pour s'en écarter moins, il seroit bon de ne régler point toutes les strophes sur la même mesure, ni sur les mêmes croisures de rimes, ni sur le même nombre de vers. Leur inégalité en ces trois articles approcheroit davantage du discours ordinaire, et sentiroit l'emportement et les élans d'un esprit qui n'a que sa passion pour guide, et non pas la régularité d'un auteur qui les arrondit sur le même tour. J'y ai hasardé celles de la paix dans le prologue de la Toison d'or, et tout le dialogue de celui de cette pièce [537], qui ne m'a pas mal réussi. Dans tout ce que je fais dire aux Dieux dans les machines, on trouvera le même ordre ou le même désordre. Mais je ne pourrois approuver qu'un acteur, touché fortement de ce qui lui vient d'arriver dans la tragédie, se donnât la patience de faire des stances, ou prît soin d'en faire faire par un autre, et de les apprendre par cœur, pour exprimer son déplaisir devant les spectateurs. Ce sentiment étudié ne les toucheroit pas beaucoup, parce que cette étude marqueroit un esprit tranquille et un effort de mémoire plutôt qu'un effet de passion; outre que ce ne seroit plus le sentiment présent de la personne qui parleroit, mais tout au plus celui qu'elle auroit eu en composant ces vers, et qui seroit assez ralenti par cet effort de mémoire, pour faire que l'état de son âme ne répondit plus à ce qu'elle prononceroit. L'auditeur ne s'y laisseroit pas émouvoir, et le verroit trop prémédité pour le croire véritable; du moins c'est l'opinion de Perse [538], avec lequel je finis cette remarque:

Nec nocte paratum
Plorabit, qui me volet incurvasse querela [539].

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