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Œuvres de P. Corneille, Tome 05

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NICOMÈDE
TRAGÉDIE
1651

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NOTICE.

Cette pièce est, comme le remarque Corneille dans l'avis Au lecteur et dans l'Examen [826], «la vingt et unième» qu'il ait fait voir sur le théâtre [827]; les frères Parfait la font figurer parmi les ouvrages représentés en 1652: c'est une inadvertance qu'on ne s'explique guère, car l'Achevé d'imprimer de l'édition originale est du 29 novembre 1651.

Suivant Jolly, dont l'opinion paraît très-vraisemblable, cette tragédie fut jouée avant que les princes eussent été rendus à la liberté, c'est-à-dire antérieurement au 13 février. «Les Princes, dit-il, étant sortis de prison dans le temps qu'on représentent Nicomède, quelques vers donnèrent matière à des applications qui augmentèrent le succès de cette tragédie [828]

D'après l'auteur du Journal du Théâtre françois [829], Nicomède fut joué par les comédiens du Roi, mais on ne trouve ni dans cet ouvrage, ni dans aucun de ceux que nous avons consultés, le moindre renseignement sur la manière dont les rôles furent distribués. Les troupes de province conservèrent cette pièce dans leur répertoire. C'est elle que Molière représenta dans une circonstance des plus importantes. «Le 24 octobre 1658, dit Lagrange, cette troupe (celle de Molière) commença de paroître devant Leurs Majestés et toute la cour, sur un théâtre que le Roi avoit fait dresser dans la salle des gardes du vieux Louvre. Nicomède, tragédie de M. de Corneille l'aîné, fut la pièce qu'elle choisit pour cet éclatant début. Ces nouveaux acteurs ne déplurent point, et on fut surtout fort satisfait de l'agrément et du jeu des femmes. Les fameux comédiens qui faisoient alors si bien valoir l'hôtel de Bourgogne étoient présents à cette représentation. La pièce étant achevée, M. de Molière vint sur le théâtre, et après avoir remercié Sa Majesté en des termes très modestes.... il lui dit que l'envie qu'ils avoient eue d'avoir l'honneur de divertir le plus grand roi du monde leur avoit fait oublier que Sa Majesté avoit à son service d'excellents originaux, dont ils n'étoient que de très-foibles copies; mais que puisqu'elle avoit bien voulu souffrir leurs manières de campagne, il la supplioit très-humblement d'avoir pour agréable qu'il lui donnât un de ces petits divertissements qui lui avoient acquis quelque réputation [830].» La proposition fut acceptée. Molière joua avec grand succès le Docteur amoureux; et à partir de ce jour, sa troupe s'établit à Paris.

Une fois en possession de la faveur publique, sa modestie diminua; il témoigna beaucoup moins de respect aux «excellents originaux» que Sa Majesté avait à son service; et en 1663, dans l'Impromptu de Versailles, où il les attaqua si vivement, il critiqua en particulier d'une façon très fine le jeu de Montfleury dans le rôle de Prusias. Après avoir expliqué fort sommairement à ses camarades le plan de la comédie qu'il prétend avoir en tête: «Là-dessus, dit-il, le comédien auroit récité, par exemple, quelques vers du Roi, de Nicomède:

Te dirai-je, Araspe? il m'a trop bien servi;
Augmentant mon pouvoir [831]....

le plus naturellement qu'il lui auroit été possible. Et le poëte: Comment! vous appelez cela réciter? C'est se railler: il faut dire les choses avec emphase. Écoutez-moi:

(Il contrefait Montfleury, comédien de l'hôtel de Bourgogne.)

Te le dirai-je, Araspe? etc.

Voyez-vous cette posture? Remarquez bien cela. Là, appuyez comme il faut le dernier vers. Voilà ce qui attire l'approbation et fait faire le brouhaha.—Mais, Monsieur, auroit répondu le comédien, il me semble qu'un roi qui s'entretient tout seul avec son capitaine des gardes parle un peu plus humainement, et ne prend guère ce ton de démoniaque.—Vous ne savez ce que c'est. Allez-vous-en réciter comme vous faites, vous verrez si vous ferez faire aucun Ah [832]

On a remarqué que dans ces imitations d'acteurs Floridor est épargné. Cela s'explique facilement: ce comédien, qui comprenait admirablement ses rôles et les interprétait avec justesse, prêtait beaucoup moins à la critique que la plupart de ses camarades; de plus il était chef de la troupe de l'hôtel de Bourgogne, et Molière trouvait sans doute convenable de ménager un rival dont il honorait à coup sûr le caractère et le talent. Il est bien probable que Floridor jouait Nicomède; ce qui le fait croire, c'est que Baron, qui en 1673 lui succéda dans tout son emploi à l'hôtel de Bourgogne, remplit ce personnage avec le plus grand éclat.

«Il faut, dit Lekain [833], un grand art à l'acteur chargé de ce rôle pour ne pas y laisser apercevoir le ton de la comédie. Le grand Baron était le seul qui savait le sauver par des nuances imperceptibles, et c'est ce qui constitue le génie et le vrai talent.»

En 1691, la retraite de Baron jeta la comédie dans le plus grand embarras. Beaubourg, qui débuta le samedi 17 décembre 1691 dans ce rôle de Nicomède, où son illustre prédécesseur s'était montré inimitable, satisfit assez le public pour se faire agréer [834].

Nous ne mentionnerons qu'en passant le début de Dufey dans ce rôle, le 2 mai 1694, car cet acteur, en le jouant, ne faisait que remplir la formalité nécessaire pour être admis dans un emploi fort secondaire [835]; mais nous nous arrêterons un peu à la reprise de Nicomède par Grandval en 1754, que nous avons déjà eu l'occasion de mentionner dans notre précédente notice [836]. Elle produisit une impression vive et durable.

«Nous nous souvenons encore, lit-on dans les Mémoires pour Marie-Françoise Dumesnil [837], avec quelle noble ironie, avec quelle finesse de nuance, Grandval, qui jouait supérieurement le rôle de Nicomède, disait, en adressant la parole à Attale dans la scène II du Ier acte, le couplet qui commence par ce vers:

Seigneur, je crains pour vous qu'un Romain vous écoute.»

C'est probablement, malgré la différence des dates, de cette même reprise que Voltaire entend parler quand il dit: «Lorsqu'on rejoua, en 1756, Nicomède, oublié pendant plus de quatre-vingts ans, les comédiens du Roi ne l'annoncèrent que sous le titre de tragi-comédie [838]

«Il devait ajouter, dit Palissot, qu'elle reparut d'une manière si brillante que bientôt on ne lui donna plus sur les affiches que le titre de tragédie, titre que Corneille lui avait donné dans son origine.» Dans la note dont nous extrayons ce passage, Palissot prédit, quelques lignes plus haut, que cette pièce «se soutiendra avec éclat au théâtre, tant qu'il restera des acteurs qui réuniront, comme le célèbre Lekain, à une grande supériorité d'intelligence et de talent, assez de noblesse pour rendre dans toute sa dignité le beau personnage de Nicomède.»

Un autre grand comédien, Molé, joua ce rôle après Lekain, mais la nature de son talent ne lui permettait guère de le remplir avec succès. «Molé, dit Lemazurier [839], transportait dans le genre sérieux toutes les habitudes, toutes les manières qui lui réussissaient avec raison dans l'autre: elles y étaient complétement déplacées. Ce n'est pas en jouant Nicomède qu'il faut hésiter, bégayer ou parler avec volubilité, ce qui est un autre excès.»

Moins heureux que Lekain, lorsqu'il s'agissait de représenter les tragédies de Corneille, Molé du moins savait les apprécier avec un goût plus réel et surtout plus respectueux; et il s'étonnait à bon droit que cet acteur, si peu disposé à accepter les corrections faites par Marmontel au Venceslas de Rotrou, en proposât de si nombreuses pour le Nicomède [840] de Corneille.

Du reste, quelles qu'aient été la variété de leurs aptitudes et la divergence de leurs opinions, les grands comédiens qui ont abordé le rôle si difficile de Nicomède l'ont presque tous rempli, on le voit, de façon à laisser de vifs souvenirs; le rôle secondaire de Laodice a trouvé aussi des interprètes éminentes, parmi lesquelles nous rencontrons Mlle Lecouvreur, Mlle Clairon et Mme Vestris [841].

L'édition originale de cet ouvrage, imprimée en vertu d'un privilége qui lui est commun avec Andromède [842], porte les mêmes adresses. En voici le titre: Nicomede, Tragedie. A Rouen, chez Laurens Maurry.... M.DC.LI. Et se vend à Paris, chez Charles de Sercy.... L'Achevé d'imprimer est du 29 novembre. Le volume se compose de 4 feuillets et de 124 pages in-4o.

AU LECTEUR.

Voici une pièce d'une constitution assez extraordinaire: aussi est-ce la vingt et unième que j'ai fait voir sur le théâtre; et après y avoir fait réciter quarante mille vers, il est bien malaisé de trouver quelque chose de nouveau, sans s'écarter un peu du grand chemin, et se mettre au hasard de s'égarer. La tendresse et les passions, qui doivent être l'âme des tragédies, n'ont aucune part en celle-ci: la grandeur de courage y règne seule, et regarde son malheur d'un œil si dédaigneux qu'il n'en sauroit arracher une plainte. Elle y est combattue par la politique, et n'oppose à ses artifices qu'une prudence généreuse, qui marche à visage découvert, qui prévoit le péril sans s'émouvoir, et ne veut point d'autre appui que celui de sa vertu, et de l'amour qu'elle imprime dans les cœurs de tous les peuples. L'histoire qui m'a prêté de quoi la faire paroître en ce haut degré est tirée de Justin; et voici comme il la raconte à la fin de son trente-quatrième livre [843]:

«En même temps Prusias, roi de Bithynie, prit dessein de faire assassiner son fils Nicomède, pour avancer ses autres fils, qu'il avoit eus d'une autre femme, et qu'il faisoit élever à Rome; mais ce dessein fut découvert à ce jeune prince par ceux même qui l'avoient entrepris; ils firent plus, ils l'exhortèrent à rendre la pareille à un père si cruel, et faire retomber sur sa tête les embûches qu'il lui avoit préparées, et n'eurent pas grande peine à le persuader. Sitôt donc qu'il fut entré dans le royaume de son père, qui l'avoit appelé auprès de lui, il fut proclamé roi; et Prusias, chassé du trône, et délaissé même de ses domestiques, quelque soin qu'il prît à se cacher, fut enfin tué par ce fils [844], et perdit la vie par un crime aussi grand que celui qu'il avoit commis en donnant les ordres de l'assassiner [845]

J'ai ôté de ma scène l'horreur d'une catastrophe si barbare, et n'ai donné ni au père ni au fils aucun dessein de parricide. J'ai fait ce dernier amoureux de Laodice, afin que l'union d'une couronne voisine donnât plus d'ombrage aux Romains, et leur fît prendre plus de soin d'y mettre un obstacle de leur part. J'ai approché de cette histoire celle de la mort d'Annibal, qui arriva un peu auparavant chez ce même roi, et dont le nom n'est pas un petit ornement à mon ouvrage. J'en ai fait Nicomède disciple, pour lui prêter plus de valeur et plus de fierté contre les Romains; et prenant l'occasion de l'ambassade où Flaminius fut envoyé par eux vers ce roi, leur allié, pour demander qu'on remît entre leurs mains ce vieil ennemi de leur grandeur, je l'ai chargé d'une commission secrète de traverser ce mariage, qui leur devoit donner de la jalousie. J'ai fait que pour gagner l'esprit de la Reine, qui, suivant l'ordinaire des secondes femmes, avoit tout pouvoir sur celui de son vieux mari, il lui ramène un de ses fils, que mon auteur m'apprend avoir été nourris à Rome. Cela fait deux effets; car d'un côté, il obtient la perte d'Annibal par le moyen de cette mère ambitieuse; et de l'autre, il oppose à Nicomède un rival appuyé de toute la faveur des Romains, jaloux de sa gloire et de sa grandeur naissante.

Les assassins qui découvrirent à ce prince les sanglants desseins de son père m'ont donné jour à d'autres artifices pour le faire tomber dans les embûches que sa belle-mère lui avoit préparées; et pour la fin, je l'ai réduite en sorte que tous mes personnages y agissent avec générosité, et que les uns rendant ce qu'ils doivent à la vertu, et les autres demeurant dans la fermeté de leur devoir, laissent un exemple assez illustre, et une conclusion assez agréable.

La représentation n'en a point déplu; et comme ce ne sont pas les moindres vers qui soient partis de ma main, j'ai sujet d'espérer que la lecture n'ôtera rien à cet ouvrage de la réputation qu'il s'est acquise jusqu'ici, et ne le fera point juger indigne de suivre ceux qui l'ont précédé. Mon principal but a été de peindre la politique des Romains au dehors, et comme ils agissoient impérieusement avec les rois leurs alliés; leurs maximes pour les empêcher de s'accroître, et les soins qu'ils prenoient de traverser leur grandeur, quand elle commençoit à leur devenir suspecte à force de s'augmenter et de se rendre considérable par de nouvelles conquêtes. C'est le caractère que j'ai donné à leur république en la personne de son ambassadeur Flaminius, qui rencontre un prince intrépide, qui voit sa perte assurée sans s'ébranler, et brave l'orgueilleuse masse de leur puissance, lors même qu'il en est accablé. Ce héros de ma façon sort un peu des règles de la tragédie, en ce qu'il ne cherche point à faire pitié par l'excès de ses malheurs; mais le succès a montré que la fermeté des grands cœurs, qui n'excite que de l'admiration dans l'âme du spectateur, est quelquefois aussi agréable que la compassion que notre art nous commande de mendier pour leurs misères. Il est bon de hasarder un peu, et ne s'attacher pas toujours si servilement à ces préceptes, ne fût-ce que pour pratiquer celui de notre Horace:

Et mihi res, non me rebus, submittere conor [846];

mais il faut que l'événement justifie cette hardiesse; et dans une liberté de cette nature on demeure coupable, à moins que d'être fort heureux.

EXAMEN.

Voici une pièce d'une constitution assez extraordinaire: aussi est-ce la vingt et unième que j'ai mise [847] sur le théâtre; et après y avoir fait réciter quarante mille vers, il est bien malaisé de trouver quelque chose de nouveau, sans s'écarter un peu du grand chemin, et se mettre au hasard de s'égarer. La tendresse et les passions, qui doivent être l'âme des tragédies, n'ont aucune part en celle-ci: la grandeur de courage y règne seule, et regarde son malheur d'un œil si dédaigneux qu'il n'en sauroit arracher une plainte. Elle y est combattue par la politique, et n'oppose à ses artifices qu'une prudence généreuse, qui marche à visage découvert, qui prévoit le péril sans s'émouvoir, et qui ne veut point d'autre appui que celui de sa vertu et de l'amour qu'elle imprime dans les cœurs de tous les peuples.

L'histoire [848] qui m'a prêté de quoi la faire paroître en ce haut degré est tirée du trente-quatrième [849]livre de Justin.

J'ai ôté de ma scène l'horreur de sa catastrophe, où le fils fait assassiner son père, qui lui en avoit voulu faire autant, et n'ai donné ni à Prusias ni à Nicomède aucun dessein de parricide. J'ai fait ce dernier amoureux de Laodice, reine d'Arménie, afin que l'union d'une couronne voisine à la sienne donnât plus d'ombrage aux Romains, et leur fît prendre plus de soin d'y mettre un obstacle de leur part. J'ai approché de cette histoire celle de la mort d'Annibal, qui arriva un peu auparavant chez ce même roi, et dont le nom n'est pas un petit ornement à mon ouvrage. J'en ai fait Nicomède disciple, pour lui prêter plus de valeur et plus de fierté contre les Romains; et prenant l'occasion de l'ambassade où Flaminius fut envoyé par eux vers ce roi, leur allié, pour demander qu'on remît entre leurs mains ce vieil ennemi de leur grandeur, je l'ai chargé d'une commission secrète de traverser ce mariage, qui leur devoit donner de la jalousie. J'ai fait que pour gagner l'esprit de la Reine, qui, suivant l'ordinaire des secondes femmes, avoit tout pouvoir sur celui de son vieux mari, il lui ramène un de ses fils, que mon auteur m'apprend avoir été nourris [850] à Rome. Cela fait deux effets; car d'un côté, il obtient la perte d'Annibal par le moyen de cette mère ambitieuse; et de l'autre, il oppose à Nicomède un rival appuyé de toute la faveur des Romains, jaloux de sa gloire et de sa grandeur naissante.

Les assassins qui découvrirent à ce prince les sanglants desseins de son père m'ont donné jour à d'autres artifices pour le faire tomber dans les embûches que sa belle-mère lui avoit préparées; et pour la fin, je l'ai réduite en

sorte que tous mes personnages y agissent avec générosité, et que les uns rendant ce qu'ils doivent à la vertu, et les autres demeurant [851] dans la fermeté de leur devoir, laissent un exemple assez illustre, et une conclusion assez agréable.

La représentation n'en a point déplu, et ce ne sont pas les moindres vers qui soient partis de ma main. Mon principal but a été de peindre la politique des Romains au dehors, et comme ils agissoient impérieusement avec les rois leurs alliés; leurs maximes pour les empêcher de s'accroître, et les soins qu'ils prenoient de traverser leur grandeur, quand elle commençoit à leur devenir suspecte à force de s'augmenter et de se rendre considérable par de nouvelles conquêtes. C'est le caractère que j'ai donné à leur république en la personne de son ambassadeur Flaminius, à qui j'oppose [852] un prince intrépide, qui voit sa perte assurée sans s'ébranler, et qui brave l'orgueilleuse masse de leur puissance, lors même qu'il en est accablé. Ce héros de ma façon sort un peu des règles de la tragédie, en ce qu'il ne cherche point à faire pitié par l'excès de ses infortunes; mais le succès a montré que la fermeté des grands cœurs, qui n'excite que de l'admiration dans l'âme du spectateur, est quelquefois aussi agréable que la compassion que notre art nous ordonne d'y produire par la représentation de leurs malheurs. Il en fait naître toutefois quelqu'une, mais elle ne va pas jusques à tirer

des larmes. Son effet se borne à mettre les auditeurs dans les intérêts de ce prince, et à leur faire former des souhaits pour ses prospérités.

Dans l'admiration qu'on a pour sa vertu, je trouve une manière de purger les passions dont n'a point parlé Aristote, et qui est peut-être plus sûre que celle qu'il prescrit à la tragédie par le moyen de la pitié et de la crainte. L'amour qu'elle nous donne pour cette vertu que nous admirons, nous imprime de la haine pour le vice contraire. La grandeur de courage de Nicomède nous laisse une aversion de la pusillanimité [853]; et la généreuse reconnoissance d'Héraclius, qui expose sa vie pour Martian, à qui il est redevable de la sienne, nous jette dans l'horreur de l'ingratitude.

Je ne veux point dissimuler que cette pièce est une de celles pour qui j'ai le plus d'amitié. Aussi n'y remarquerai-je que ce défaut de la fin, qui va trop vite, comme je l'ai dit ailleurs [854], et où l'on peut même trouver quelque inégalité de mœurs en Prusias et Flaminius, qui après avoir pris la fuite sur la mer, s'avisent tout d'un coup de rappeler leur courage, et viennent se ranger auprès de la reine Arsinoé, pour mourir avec elle en la défendant. Flaminius y demeure en assez méchante posture, voyant réunir toute la famille royale, malgré les soins qu'il avoit pris de la diviser, et les instructions qu'il en avoit apportées de Rome. Il s'y voit enlever par Nicomède les affections de cette reine et du prince Attale, qu'il avoit choisis pour instrument à traverser sa grandeur, et semble n'être revenu que pour être témoin du triomphe qu'il remporte sur lui. D'abord j'avois fini la pièce sans les faire revenir, et m'étois contenté de faire témoigner par Nicomède à

sa belle-mère grand déplaisir de ce que la fuite du Roi ne lui permettoit pas de lui rendre ses obéissances. Cela ne démentoit point l'effet historique, puisqu'il laissoit sa mort en incertitude; mais le goût des spectateurs, que nous avons accoutumés à voir rassembler tous nos personnages à la conclusion de cette sorte de poëmes, fut cause de ce changement, où je me résolus pour leur donner plus de satisfaction, bien qu'avec moins de régularité [855].

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