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Œuvres de P. Corneille, Tome 05

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ACTE V.


DÉCORATION DU CINQUIÈME ACTE.

L'architecte ne s'est pas épuisé en la structure de ce palais royal [652]. Le temple qui lui succède a tant d'avantage sur lui, qu'il fait mépriser ce qu'on admiroit: aussi est-il juste que la demeure des Dieux l'emporte sur celle des hommes; et l'art du sieur Torelli est ici d'autant plus merveilleux, qu'il fait paroître une grande diversité en ces deux décorations, quoiqu'elles soient presque la même chose. On voit encore en celle-ci deux rangs de colonnes [653] comme en l'autre, mais d'un ordre si différent, qu'on n'y remarque aucun rapport. Celles-ci sont de porphyre; et tous les accompagnements qui les soutiennent et qui les finissent, de bronze ciselé, dont la gravure [654] représente quantité de dieux et de déesses. La réflexion des lumières sur ce bronze en fait sortir un jour tout extraordinaire. Un grand et superbe dôme couvre le milieu de ce temple magnifique; il est partout enrichi du même métal; et au devant de ce dôme, l'artifice de l'ouvrier jette une galerie toute brillante d'or et d'azur. Le dessous de cette galerie laisse voir le dedans du temple par trois portes d'argent ouvragées à jour: on y verroit Céphée sacrifiant à Jupiter pour le mariage de sa fille, n'étoit que l'attention que les spectateurs prêteroient à ce sacrifice les détourneroit de celle qu'ils doivent à ce qui se passe dans le parvis que représente le théâtre.

SCÈNE PREMIÈRE.

PHINÉE, AMMON.

AMMON.

Vos amis assemblés brûlent tous de vous suivre,

Et Junon dans son temple entre vos mains le livre.

Ce rival, presque seul au pied de son autel,

Semble attendre à genoux l'honneur du coup mortel.

Là, comme la Déesse agréera la victime,

Plus les lieux seront saints, moindre en sera le crime;

Et son aveu changeant de nom à l'attentat,

Ce sera sacrifice au lieu d'assassinat.

PHINÉE.

Que me sert que Junon, que Neptune propice, 1415

Que tous les Dieux ensemble aiment ce sacrifice,

Si la seule déesse à qui je fais des vœux

Ne m'en voit que d'un œil d'autant plus rigoureux,

Et si ce coup, sensible au cœur de l'inhumaine,

D'un injuste mépris fait une juste haine? 1420

Ami, quelque fureur qui puisse m'agiter,

Je cherche à l'acquérir, et non à l'irriter;

Et m'immoler l'objet de sa nouvelle flamme,

Ce n'est pas le chemin de rentrer dans son âme [655].

AMMON.

Mais, Seigneur, vous touchez à ce moment fatal 1425

Qui pour jamais la donne à cet heureux rival.

En cette extrémité que prétendez-vous faire?

PHINÉE.

Tout, hormis l'irriter; tout, hormis lui déplaire:

Soupirer à ses pieds, pleurer à ses genoux,

Trembler devant sa haine, adorer son courroux. 1430

AMMON.

Quittez, quittez, Seigneur, un respect si funeste;

Otez-vous ce rival, et hasardez le reste:

En dût-elle à jamais dédaigner vos soupirs,

La vengeance elle seule a de si doux plaisirs....

PHINÉE.

N'en cherchons les douceurs, ami, que les dernières.

Rarement un amant les peut goûter entières;

Et quand de sa vengeance elles sont tout le fruit,

Ce sont fausses douceurs que l'amertume suit.

La mort de son rival, les pleurs de son ingrate,

Ont bien je ne sais quoi qui dans l'abord le flatte; 1440

Mais de ce cher objet s'en voyant plus haï,

Plus il s'en est flatté, plus il s'en croit trahi.

Sous d'éternels regrets son âme est abattue,

Et sa propre vengeance incessamment le tue.

Ce n'est pas que je veuille enfin la négliger: 1445

Si je ne puis fléchir, je cours à me venger;

Mais souffre à mon amour, mais souffre à ma foiblesse

Encore un peu d'effort auprès de ma princesse.

Un amant véritable espère jusqu'au bout,

Tant qu'il voit un moment qui peut lui rendre tout.

L'inconstante, peut-être encor toute étonnée,

N'étoit pas bien à soi quand elle s'est donnée;

Et la reconnoissance a fait plus que l'amour

En faveur d'une main qui lui rendoit le jour.

Au sortir du péril, pâle encore et tremblante, 1455

L'image de la mort devant les yeux [656] errante,

Elle a cru tout devoir à son libérateur;

Mais souvent le devoir ne donne pas le cœur;

Il agit rarement sans un peu d'imposture,

Et fait peu de présents dont ce cœur ne murmure. 1460

Peut-être, ami, peut-être après ce grand effroi

Son amour en secret aura parlé pour moi:

Les traits mal effacés de tant d'heureux services,

Les douceurs d'un beau feu qui furent ses délices,

D'un regret amoureux touchant son souvenir, 1465

Auront en ma faveur surpris quelque soupir,

Qui s'échappant d'un cœur qu'elle force à ma perte,

M'en aura pu laisser la porte encore ouverte.

Ah! si ce triste hymen se pouvoit éloigner!

AMMON.

Quoi? vous voulez encor vous faire dédaigner? 1470

Sous ce honteux espoir votre fureur se dompte?

PHINÉE.

Que veux-tu? ne sois point le témoin de ma honte:

Andromède revient; va trouver nos amis,

Va préparer leurs bras à ce qu'ils m'ont promis.

Ou mes nouveaux respects fléchiront l'inhumaine, 1475

Ou ses nouveaux mépris animeront ma haine;

Et tu verras mes feux, changés en juste horreur,

Armer mes désespoirs, et hâter ma fureur.

AMMON.

Je vous plains; mais enfin j'obéis, et vous laisse.

SCÈNE II.

CASSIOPE, ANDROMÈDE, PHINÉE, suite de la Reine.

PHINÉE.

Une seconde fois, adorable princesse, 1480

Malgré de vos rigueurs l'impérieuse loi....

ANDROMÈDE.

Quoi? vous voyez la Reine, et vous parlez à moi!

PHINÉE.

C'est de vous seule aussi que j'ai droit de me plaindre:

Je serois trop heureux de la voir vous contraindre,

Et n'accuserois plus votre infidélité, 1485

Si vous vous excusiez sur son autorité.

Au nom de cette amour autrefois si puissante,

Aidez un peu la mienne à vous faire innocente:

Dites-moi que votre âme à regret obéit,

Qu'un rigoureux devoir malgré vous me trahit; 1490

Donnez-moi lieu de dire: «Elle-même elle en pleure,

Elle change forcée, et son cœur me demeure;»

Et soudain, de la Reine embrassant les genoux,

Vous m'y verrez mourir sans me plaindre de vous.

Mais que lui puis-je, hélas! demander pour remède,

Quand la main qui me tue est celle d'Andromède,

Et que son cœur léger ne court au changement

Qu'avec la vanité d'y courir justement?

CASSIOPE.

Et quel droit sur ce cœur pouvoit garder Phinée,

Quand Persée a trouvé la place abandonnée, 1500

Et n'a fait autre chose, en prenant son parti,

Que s'emparer d'un lieu dont vous étiez sorti [657]?

Mais sorti, le dirai-je, et pourrez-vous l'entendre?

Oui, sorti lâchement, de peur de le défendre [658].

Ainsi nous n'avons fait que le récompenser 1505

D'un bien où votre bras venoit de renoncer,

Que vous cédiez au monstre, à lui-même, à tout autre [659]:

Si c'est une injustice, examinons la vôtre.

La voyant exposée aux rigueurs de son sort,

Vous vous étiez déjà consolé de sa mort; 1510

Et quand par un héros le ciel l'a garantie,

Vous ne vous pouvez plus consoler de sa vie [660].

PHINÉE.

Ah! Madame....

CASSIOPE.

Eh bien! soit, vous avez soupiré

Autant que l'a pu faire un cœur désespéré.

Jamais aucun tourment n'égala votre peine; 1515

Certes, quelque douleur dont votre âme fût pleine,

Ce désespoir illustre et ces nobles regrets [661]

Lui devoient un peu plus que des soupirs secrets.

A ce défaut, Persée....

PHINÉE.

Ah! c'en est trop, Madame;

Ce nom rend, malgré moi, la fureur à mon âme: 1520

Je me force au respect; mais toujours le vanter,

C'est me forcer moi-même à ne rien respecter.

Qu'a-t-il fait, après tout, si digne de vous plaire,

Qu'avec un tel secours tout autre n'eût pu faire?

Et tout héros qu'il est, qu'eût-il osé pour vous, 1525

S'il n'eût eu que sa flamme et son bras comme nous?

Mille et mille auroient fait des actions plus belles,

Si le ciel comme à lui leur eût prêté des ailes;

Et vous les auriez vus encor plus généreux,

S'ils eussent vu le monstre et le péril sous eux: 1530

On s'expose aisément quand on n'a rien à craindre.

Combattre un ennemi qui ne pouvoit l'atteindre,

Voir sa victoire sûre et daignez l'accepter,

C'est tout le rare exploit dont il se peut vanter;

Et je ne comprends point ni quelle en est la gloire, 1535

Ni quel grand prix mérite une telle victoire.

CASSIOPE.

Et votre aveuglement sera bien moins compris,

Qui d'un sujet d'estime en fait un de mépris.

Le ciel, qui mieux que nous connoît ce que nous sommes,

Mesure ses faveurs au mérite des hommes;

Et d'un pareil secours vous auriez eu l'appui,

S'il eût pu voir en vous mêmes vertus qu'en lui.

Ce sont grâces d'en haut rares et singulières,

Qui n'en descendent point pour des âmes vulgaires;

Ou pour en mieux parler, la justice des cieux 1545

Garde ce privilége au digne sang des Dieux:

C'est par là que leur roi vient d'avouer sa race [662].

ANDROMÈDE.

Je dirai plus, Phinée; et pour vous faire grâce,

Je veux ne rien devoir à cet heureux secours

Dont ce vaillant guerrier a conservé mes jours: 1550

Je veux fermer les yeux sur toute cette gloire,

Oublier mon péril, oublier sa victoire,

Et quel qu'en soit enfin le mérite ou l'éclat,

Ne juger entre vous que depuis le combat.

Voyez ce qu'il a fait, lorsque après ces alarmes, 1555

Me voyant toute acquise au bonheur de ses armes,

Ayant pour lui les Dieux, ayant pour lui le Roi,

Dans sa victoire même il s'est vaincu pour moi.

Il m'a sacrifié tout ce haut avantage;

De toute sa conquête il m'a fait un hommage; 1560

Il m'en a fait un don; et fort de tant de voix,

Au péril de tout perdre, il met tout à mon choix [663]:

Il veut tenir pour grâce un si juste salaire;

Il réduit son bonheur à ne me point déplaire;

Préférant mes refus, préférant son trépas 1565

A l'effet de ses vœux qui ne me plairoit pas.

En usez-vous de même? et votre violence

Garde-t-elle pour moi la même déférence?

Vous avez contre vous et les Dieux et le Roi,

Et vous voulez encor m'obtenir malgré moi! 1570

Sous ombre d'une foi qui se tient en réserve [664],

Je dois à votre amour ce qu'un autre conserve;

A moins que d'être ingrate à mon libérateur,

A moins que d'adorer un lâche adorateur.

Que d'être à mes parents, aux Dieux mêmes rebelle,

Vous crierez après moi sans cesse: «A l'infidèle!»

C'étoit aux yeux du monstre, au pied de ce rocher,

Que l'effet de ma foi se devoit rechercher [665];

Mon âme, encor pour vous de même ardeur pressée,

Vous eût tendu la main au mépris de Persée, 1580

Et cru plus glorieux qu'on m'eût vue aujourd'hui

Expirer avec vous que régner avec lui [666].

Mais puisque vous m'avez envié cette joie,

Cessez de m'envier ce que le ciel m'envoie;

Et souffrez que je tâche enfin à mériter, 1585

Au refus de Phinée, un fils de Jupiter.

PHINÉE.

Je perds donc temps, Madame, et votre âme obstinée

N'a plus amour, ni foi, ni pitié pour Phinée?

Un peu de vanité qui flatte vos parents,

Et d'un rival adroit les respects apparents, 1590

Font plus en un moment, avec leurs artifices,

Que n'ont fait en six ans ma flamme et mes services?

Je ne vous dirai point que de pareils respects

A tout autre que vous pourroient être suspects,

Que qui peut se priver de la personne aimée 1595

N'a qu'une ardeur civile et fort mal allumée,

Que dans ma violence on doit voir plus d'amour:

C'est un présent des cieux, faites-lui votre cour;

Plus fidèle qu'à moi, tenez-lui mieux parole:

J'en vais rougir pour vous, cependant qu'il me vole;

Mais ce rival peut-être, après m'avoir volé,

Ne sera pas toujours sur ce cheval [667] ailé.

ANDROMÈDE.

Il n'en a pas besoin s'il n'a que vous à craindre.

PHINÉE.

Il peut avec le temps être le plus à plaindre.

ANDROMÈDE.

Il porte à son côté de quoi l'en garantir. 1605

PHINÉE.

Vous l'attendez ici, je vais l'en avertir.

CASSIOPE.

Son amour peut sans vous nous rendre cet office.

PHINÉE.

Le mien s'efforcera pour ce dernier service.

Vous pouvez cependant divertir vos esprits

A rendre compte au Roi de vos justes mépris. 1610

SCÈNE III.

CÉPHÉE, CASSIOPE, ANDROMÈDE, suite du Roi et de la Reine.

CÉPHÉE.

Que faisoit là Phinée? est-il si téméraire

Que ce que font les Dieux il pense à le défaire?

CASSIOPE.

Après avoir prié, soupiré, menacé,

Il vous a vu, Seigneur, et l'orage a passé.

CÉPHÉE.

Et vous prêtiez l'oreille à ses discours frivoles? 1615

CASSIOPE.

Un amant qui perd tout peut perdre des paroles;

Et l'écouter sans trouble et sans rien hasarder,

C'est la moindre faveur qu'on lui puisse accorder.

Mais, Seigneur, dites-nous si Jupiter propice

Se déclare en faveur de votre sacrifice, 1620

Si de notre famille il se rend le soutien,

S'il consent l'union de notre sang au sien.

CÉPHÉE.

Jamais les feux sacrés et la mort des victimes

N'ont daigné mieux répondre à des vœux légitimes.

Tous auspices heureux; et le grand Jupiter 1625

Par des signes plus clairs ne pouvoit l'accepter,

A moins qu'y joindre encor l'honneur de sa présence,

Et de sa propre bouche assurer l'alliance.

CASSIOPE.

Les nymphes de la mer nous en ont fait autant;

Toutes ont hors des flots paru presque à l'instant; 1630

Et leurs bénins regards envoyés au rivage

Avecque notre encens ont reçu notre hommage;

Après le sacrifice honoré de leurs yeux,

Où Neptune à l'envi mêloit ses demi-dieux,

Toutes ont témoigné d'un penchement de tête 1635

Consentir au bonheur que le ciel nous apprête;

Et nos submissions désarmant leurs dédains,

Toutes ont pour adieu battu l'onde des mains.

Que si même bonheur suit les vœux de Persée,

Qu'il ait vu de Junon sa prière exaucée, 1640

Nous n'avons plus à craindre aucun sinistre effet.

CÉPHÉE.

Les Dieux ne laissent point leur ouvrage imparfait:

N'en doutez point, Madame, aussi bien que Neptune

Junon consentira notre bonne fortune.

Mais que nous veut Aglante?

SCÈNE IV.

CÉPHÉE, CASSIOPE, ANDROMÈDE, AGLANTE, suite du Roi et de la Reine.

AGLANTE.

Ah! Seigneur, au secours!

Du généreux Persée on attaque les jours.

Presque au sortir du temple une troupe mutine

Vient de l'environner, et déjà l'assassine.

Phinée en les joignant, furieux et jaloux,

Leur a crié: «Main basse! à lui seul, donnez tous!» 1650

Ceux qui l'accompagnoient tout aussitôt se rendent,

Clyte et Nylée encor vaillamment le défendent,

Mais ce sont vains efforts de peu d'autres suivis,

Et je viens toute en pleurs vous en donner avis.

CASSIOPE.

Dieux! est-ce là l'effet de tant d'heureux présages? 1655

Allez, gardes, allez signaler vos courages;

Allez perdre ce traître, et punir ce voleur

Qui prétend sous le nombre accabler la valeur.

CÉPHÉE.

Modérez vos frayeurs, et vous, séchez vos larmes.

Le ciel n'a point besoin du secours de nos armes; 1660

Il a de ce héros trop pris les intérêts,

Pour n'avoir pas pour lui des miracles tous prêts:

Et peut-être bientôt sur ce lâche adversaire [668]

Vous entendrez tomber la foudre de son père [669].

Jugez de l'avenir par ce qui s'est passé; 1665

Les Dieux achèveront ce qu'ils ont commencé;

Oui, les Dieux à leur sang doivent ce privilége:

Y mêler notre main, c'est faire un sacrilége.

CASSIOPE.

Seigneur, sur cet espoir hasarder ce héros,

C'est trop....

SCÈNE V.

CÉPHÉE, CASSIOPE, ANDROMÈDE, PHORBAS, AGLANTE, suite du Roi et de la Reine.

PHORBAS.

Mettez, grand roi, votre esprit en repos;

La tête de Méduse a puni tous ces traîtres.

CÉPHÉE.

Le ciel n'est point menteur, et les Dieux sont nos maîtres.

PHORBAS.

Aussitôt que Persée a pu voir son rival:

«Descendons, a-t-il dit, en un combat égal;

Quoique j'aye en ma main un entier avantage, 1675

Je ne veux que mon bras, ne prends que ton courage.

—Prends, prends cet avantage, et j'userai du mien,»

Dit Phinée; et soudain, sans plus répondre rien,

Les siens donnent en foule, et leur troupe pressée

Fait choir Ménale et Clyte aux pieds du grand Persée.

Il s'écrie aussitôt: «Amis, fermez les yeux,

Et sauvez vos regards de ce présent des cieux:

J'atteste qu'on m'y force, et n'en fais plus d'excuse [670]

Il découvre à ces mots la tête de Méduse.

Soudain j'entends des cris qu'on ne peut achever [671]; 1685

J'entends gémir les uns, les autres se sauver;

J'entends le repentir succéder à l'audace [672];

J'entends Phinée enfin qui lui demande grâce.

«Perfide, il n'est plus temps,» lui dit Persée. Il fuit:

J'entends comme à grands pas ce vainqueur le poursuit;

Comme il court se venger de qui l'osoit surprendre;

Je l'entends s'éloigner, puis je cesse d'entendre.

Alors, ouvrant les yeux par son ordre fermés,

Je vois tous ces méchants en pierre transformés;

Mais l'un plein de fureur et l'autre plein de crainte,

En porte sur le front la marque encore empreinte;

Et tel vouloit frapper, dont le coup suspendu

Demeure en sa statue à demi descendu [673];

Tant cet affreux prodige....

SCÈNE VI.

CÉPHÉE, CASSIOPE, ANDROMÈDE, PERSÉE, PHORBAS, AGLANTE, suite du Roi et de la Reine.

CÉPHÉE, à Persée.

Est-il puni, ce lâche,

Cet impie?

PERSÉE.

Oui, Seigneur; et si sa mort vous fâche, 1700

Si c'est de votre sang avoir fait peu d'état....

CÉPHÉE.

Il n'est plus de ma race après cet attentat:

Ce crime l'en dégrade, et ce coup téméraire

Efface de mon sang l'illustre caractère.

Perdons-en la mémoire, et faisons-la céder 1705

A l'heur de vous revoir et de vous posséder.

Vous que le juste ciel, remplissant son oracle,

Par miracle nous donne, et nous rend par miracle,

Entrons dedans ce temple, où l'on n'attend que vous

Pour nous unir aux Dieux par des liens si doux; 1710

Entrons sans différer.

(Les portes se ferment comme ils veulent entrer.)

Mais quel nouveau prodige

Dans cet excès de joie à craindre nous oblige [674]?

Qui nous ferme la porte et nous défend d'entrer

Où tout notre bonheur se devoit rencontrer?

PERSÉE.

Puissant maître du foudre, est-il quelque tempête 1715

Que le Destin jaloux à dissiper m'apprête?

Quelle nouvelle épreuve attaque ma vertu?

Après ce qu'elle a fait la désavouerois-tu?

Ou si c'est que le prix dont tu la vois suivie

Au bonheur de ton fils te fait porter envie? 1720

SCÈNE VII.

MERCURE, CÉPHÉE, CASSIOPE, ANDROMÈDE, PERSÉE, PHORBAS, AGLANTE, suite du Roi et de la Reine.

MERCURE, au milieu de l'air.

Roi, Reine, et vous Princesse, et vous heureux vainqueur,

Que Jupiter mon père

Tient pour mon digne frère,

Ne craignez plus du sort la jalouse rigueur.

Ces portes du temple fermées, 1725

Dont vos âmes sont alarmées,

Vous marquent des faveurs où tout le ciel consent:

Tous les Dieux sont d'accord de ce bonheur suprême;

Et leur monarque tout-puissant

Vous le vient apprendre lui-même. 1730

(Mercure revole en haut après avoir parlé.)

CASSIOPE.

Redoublons donc nos vœux, redoublons nos ferveurs,

Pour mériter du ciel ces nouvelles faveurs.

CHŒUR DE MUSIQUE [675].

Maître des Dieux, hâte-toi de paroître,

Et de verser sur ton sang et nos rois

Les grâces que garde ton choix 1735

A ceux que tu fais naître [676].

Fais choir sur eux de nouvelles couronnes,

Et fais-nous voir, par un heur accompli,

Qu'ils ont tous dignement rempli

Le rang que tu leur donnes. 1740

(Tandis qu'on chante, Jupiter descend du ciel dans un trône tout éclatant d'or et de lumières, enfermé dans un nuage qui l'environne. A ses deux côtés, deux autres nuages apportent jusqu'à terre Junon et Neptune, apaisés par les sacrifices des amants; ils se déploient en rond autour de celui de Jupiter, et occupant toute la face du théâtre, ils font le plus agréable spectacle de toute cette représentation [677].)

SCÈNE VIII.

JUPITER, JUNON, NEPTUNE, CÉPHÉE, CASSIOPE, ANDROMÈDE, PERSÉE, PHORBAS, AGLANTE, suite du Roi et de la Reine.

JUPITER, dans son trône au milieu de l'air.

Des noces de mon fils la terre n'est pas digne,

La gloire en appartient aux cieux,

Et c'est là ce bonheur insigne

Qu'en vous fermant mon temple ont annoncé les Dieux.

Roi, Reine, et vous amants, venez sans jalousie 1745

Vivre à jamais en ce brillant séjour,

Où le nectar et l'ambrosie

Vous seront comme à nous prodigués chaque jour;

Et quand la nuit aura tendu ses voiles,

Vos corps semés de nouvelles étoiles, 1750

Du haut du ciel éclairant aux mortels,

Leur apprendront qu'il vous faut des autels.

JUNON, à Persée.

Junon même y consent, et votre sacrifice

A calmé les fureurs de son esprit jaloux.

NEPTUNE, à Cassiope.

Neptune n'est pas moins propice, 1755

Et vos encens désarment son courroux.

JUNON.

Venez, héros, et vous Céphée,

Prendre là-haut vos places de ma main.

NEPTUNE.

Reines, venez; que ma haine étouffée

Vous conduise elle-même à cet heur souverain. 1760

PERSÉE.

Accablés et surpris d'une faveur si grande [678]....

JUNON.

Arrêtez là votre remercîment:

L'obéissance est le seul compliment

Qu'agrée un Dieu quand il commande.

(Sitôt que Junon a dit ces vers, elle fait prendre place au Roi et à Persée auprès d'elle. Neptune fait le même honneur à la Reine et à la princesse Andromède; et tous ensemble remontent dans le ciel qui les attend, cependant [679] que le peuple, pour acclamation publique, chante ces vers qui viennent d'être prononcés par Jupiter.)

CHŒUR.

Allez, amants, allez sans jalousie 1765

Vivre à jamais en ce brillant séjour,

Où le nectar et l'ambrosie

Vous seront comme aux Dieux prodigués chaque jour;

Et quand la nuit aura tendu ses voiles,

Vos corps semés de nouvelles étoiles, 1770

Du haut du ciel éclairant aux mortels,

Leur apprendront qu'il vous faut des autels.

FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.

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