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Œuvres de P. Corneille, Tome 05

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EXAMEN.

Cette pièce est toute d'invention, mais elle n'est pas toute de la mienne. Ce qu'a de fastueux le premier acte est tiré d'une comédie espagnole, intitulée el Palacio confuso [726]; et la double reconnoissance qui finit le cinquième est prise du roman de D. Pélage [727]. Elle eut d'abord grand éclat sur le théâtre; mais une disgrâce particulière fit avorter toute sa bonne fortune. Le refus d'un illustre suffrage [728] dissipa les applaudissements que le public lui avoit donnés trop libéralement, et anéantit si bien tous les arrêts que Paris et le reste de la cour avoient prononcés en sa faveur, qu'au bout de quelque temps elle se trouva reléguée dans les provinces, où elle conserve encore son premier lustre.

Le sujet n'a pas grand artifice. C'est un inconnu, assez honnête homme pour se faire aimer de deux reines. L'inégalité des conditions met un obstacle au bien qu'elles lui veulent durant quatre actes et demi; et quand il faut de nécessité finir la pièce, un bon homme [729] semble tomber des nues pour faire développer le secret de sa naissance, qui le rend mari de l'une, en le faisant reconnoître pour frère de l'autre:

Hæc eadem a summo exspectes minimoque poeta [730].

D. Raymond et ce pêcheur ne suivent point la règle que j'ai voulu établir, de n'introduire aucun acteur qui ne fut insinué dès le premier acte, ou appelé par quelqu'un de ceux qu'on y a connus. Il m'étoit aisé d'y faire dire à la reine D. Léonor ce qu'elle dit à l'entrée du quatrième; mais si elle eût fait savoir qu'elle eût eu un fils, et que le Roi, son mari, lui eût appris en mourant que D. Raymond avoit un secret à lui révéler, on eût trop tôt deviné que Carlos étoit ce prince. On peut dire de D. Raymond qu'il vient avec les députés d'Aragon dont il est parlé au premier acte, et qu'ainsi il satisfait aucunement à cette règle; mais ce n'est que par hasard qu'il vient avec eux. C'étoit le pêcheur qu'il étoit allé chercher, et non pas eux; et il ne les joint sur le chemin qu'à cause de ce qu'il a appris chez ce pêcheur, qui de son côté vient en Castille de son seul mouvement, sans y être amené par aucun incident dont on aye parlé dans la protase [731]; et il n'a point de raison d'arriver ce jour-là plutôt qu'un autre, sinon que la pièce n'auroit pu finir s'il ne fût arrivé.

L'unité de jour y est si peu violentée, qu'on peut soutenir que l'action ne demande pour sa durée que le temps de sa représentation. Pour celle de lieu, j'ai déjà dit que je n'en parlerois plus sur les pièces qui restent à examiner en ce volume [732]. Les sentiments du second acte ont autant ou plus de délicatesse qu'aucuns que j'aye mis sur le théâtre. L'amour des deux reines pour Carlos y paroît très-visible, malgré le soin et l'adresse que toutes les deux apportent à le cacher dans leurs différents caractères, dont l'un marque plus d'orgueil, et l'autre plus de tendresse. La confidence qu'y fait celle de Castille avec Blanche est assez ingénieuse; et par une réflexion sur ce qui s'est passé au premier acte, elle prend occasion de faire savoir aux spectateurs sa passion pour ce brave inconnu, qu'elle a si bien vengé du mépris qu'en ont fait les comtes. Ainsi on ne peut dire qu'elle choisisse sans raison ce jour-là plutôt qu'un autre pour lui en confier le secret, puisqu'il paroît qu'elle le sait déjà, et qu'elles ne font que raisonner ensemble sur ce qu'on vient de voir représenter.

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