Œuvres de P. Corneille, Tome 05
ACTE II.
DÉCORATION DU SECOND ACTE.
Cette place publique s'évanouit [569] en un instant pour faire place à un jardin délicieux; et ces grands palais sont changés en autant de vases de marbre blanc, qui portent alternativement, les uns des statues d'où sortent [570] autant de jets d'eau, les autres des myrtes, des jasmins et d'autres arbres de cette nature. De chaque côté se détache un rang d'orangers dans de pareils vases, qui viennent former un admirable berceau jusqu'au milieu du théâtre, et le séparent ainsi en trois allées, que l'artifice ingénieux de la perspective fait paroître longues de plus de mille pas. C'est là qu'on voit Andromède avec ses nymphes, qui cueillent des fleurs, et en composent une guirlande dont cette princesse veut couronner Phinée, pour le récompenser, par cette galanterie, de la bonne nouvelle qu'il lui vient d'apporter.
SCÈNE PREMIÈRE.
ANDROMÈDE, chœur de Nymphes [571].
ANDROMÈDE.
Nymphes, notre guirlande est encor mal ornée;
Et devant qu'il soit peu nous reverrons Phinée, 455
Que de ma propre main j'en voulois couronner
Pour les heureux avis qu'il vient de me donner.
Toutefois la faveur ne seroit pas bien grande,
Et mon cœur après tout vaut bien une guirlande.
Dans l'état où le ciel nous a mis aujourd'hui, 460
C'est l'unique présent qui soit digne de lui.
Quittez, Nymphes, quittez ces peines inutiles;
L'augure déplairoit de tant de fleurs stériles:
Il faut à notre hymen des présages plus doux.
Dites-moi cependant laquelle d'entre vous.... 465
Mais il faut me le dire, et sans faire les fines.
AGLANTE.
Quoi? Madame.
ANDROMÈDE.
A tes yeux je vois que tu devines.
Dis-moi donc d'entre vous laquelle a retenu
En ces lieux jusqu'ici cet illustre inconnu;
Car enfin ce n'est point sans un peu de mystère 470
Qu'un tel héros s'attache à la cour de mon père:
Quelque chaîne l'arrête et le force à tarder.
Qu'on ne perde point temps à s'entre-regarder:
Parlez, et d'un seul mot éclaircissez mes doutes.
Aucune ne répond, et vous rougissez toutes! 475
Quoi? toutes, l'aimez-vous? Un si parfait amant
Vous a-t-il su charmer toutes également?
Il n'en faut point rougir, il est digne qu'on l'aime:
Si je n'aimois ailleurs, peut-être que moi-même,
Oui, peut-être, à le voir si bien fait, si bien né, 480
Il auroit eu mon cœur, s'il n'eût été donné.
Mais j'aime trop Phinée, et le change est un crime.
AGLANTE.
Ce héros vaut beaucoup, puisqu'il a votre estime;
Mais il sait ce qu'il vaut, et n'a jusqu'à ce jour
A pas une de nous daigné montrer d'amour. 485
ANDROMÈDE.
Que dis-tu?
Pas fait même une offre de service.
ANDROMÈDE.
Ah! c'est de quoi rougir toutes avec justice;
Et la honte à vos fronts doit bien cette couleur,
Si tant de si beaux yeux ont pu manquer son cœur.
CÉPHALIE.
Où les vôtres, Madame, épandent leur lumière, 490
Cette honte pour nous est assez coutumière [572].
Les plus vives clartés s'éteignent auprès d'eux,
Comme auprès du soleil meurent les autres feux;
Et pour peu qu'on vous voie et qu'on vous considère [573]
Vous ne nous laissez point de conquêtes à faire. 495
ANDROMÈDE.
Vous êtes une adroite; achevez, achevez:
C'est peut-être en effet vous qui le captivez;
Car il aime, et j'en vois la preuve trop certaine.
Chaque fois qu'il me parle il semble être à la gêne;
Son visage et sa voix changent à tout propos; 500
Il hésite, il s'égare au bout de quatre mots;
Ses discours vont sans ordre; et plus je les écoute,
Plus j'entends des soupirs dont j'ignore la route.
Où vont-ils, Céphalie? où vont-ils? répondez.
CÉPHALIE.
UN PAGE, chantant sans être vu [574],
Qu'elle est lente, cette journée!
Taisons-nous: cette voix me parle pour Phinée;
Sans doute il n'est pas loin, et veut à son retour
Que des accents si doux m'expliquent son amour.
PAGE [575].
Qu'elle est lente, cette journée 510
Dont la fin me doit rendre heureux!
Chaque moment à mon cœur amoureux
Semble durer plus d'une année.
O ciel! quel est l'heur d'un amant,
Si quand il en a l'assurance 515
Sa juste impatience
Est un nouveau tourment?
Je dois posséder Andromède:
Juge, Soleil, quel est mon bien!
Vis-tu jamais amour égal au mien? 520
Vois-tu beauté qui ne lui cède?
Puis donc que la longueur du jour
De mon nouveau mal est la source,
Précipite ta course,
Et tarde ton retour. 525
Tu luis encore, et ta lumière
Semble se plaire à m'affliger.
Ah! mon amour te va bien obliger
A quitter soudain ta carrière.
Viens, Soleil, viens voir la beauté 530
Dont le divin éclat me dompte;
Et tu fuiras de honte
D'avoir moins de clarté.
SCÈNE II.
PHINÉE, ANDROMÈDE, chœur de Nymphes, SUITE DE PHINÉE.
PHINÉE.
Ce n'est pas mon dessein, Madame, de surprendre,
Puisque avant que d'entrer je me suis fait entendre. 535
ANDROMÈDE.
Vos vœux pour les cacher n'étoient pas criminels,
Puisqu'ils suivent des Dieux les ordres éternels.
PHINÉE.
Que me direz-vous donc de leur galanterie?
ANDROMÈDE.
Que je vais vous payer de votre flatterie.
PHINÉE.
Comment?
ANDROMÈDE.
En vous donnant de semblables témoins,
Si vous aimez beaucoup, que je n'aime pas moins.
Approchez, Liriope, et rendez-lui son change;
C'est vous, c'est votre voix que je veux qui me venge.
De grâce, écoutez-la; nous avons écouté,
Et demandons silence après l'avoir prêté. 545
LIRIOPE chante.
Phinée est plus aimé qu'Andromède n'est belle,
Bien qu'ici-bas tout cède à ses attraits;
Comme il n'est point de si doux traits,
Il n'est point de cœur si fidèle.
De mille appas son visage semé 550
La rend une merveille [576];
Mais quoiqu'elle soit sans pareille,
Phinée est encor plus aimé.
Bien que le juste ciel fasse voir que sans crime
On la préfère aux nymphes de la mer, 555
Ce n'est que de savoir aimer
Qu'elle-même veut qu'on l'estime;
Chacun, d'amour pour elle consumé,
D'un cœur lui fait un temple;
Mais quoiqu'elle soit sans exemple, 560
Phinée est encor plus aimé.
Enfin, si ses beaux yeux passent pour un miracle,
C'est un miracle aussi que son amour,
Pour qui Vénus en ce beau jour
A prononcé ce digne oracle: 565
Le ciel lui-même, en la voyant, charmé,
La juge incomparable;
Mais quoiqu'il l'ait faite adorable,
Phinée est encor plus aimé.
(Cet air chanté, le page de Phinée et cette nymphe font un dialogue en musique, dont chaque couplet a pour refrain l'oracle que Vénus a prononcé au premier acte en faveur de ces deux amants, chanté par les deux voix unies, et répété par le chœur entier de la musique.)
PAGE.
Heureux amant!
LIRIOPE.
Heureuse amante! 570
PAGE.
Ils n'ont qu'une âme.
LIRIOPE [577].
Ils n'ont tous deux qu'un cœur.
Joignons nos voix pour chanter leur bonheur.
LIRIOPE.
Joignons nos voix pour bénir leur attente.
PAGE ET LIRIOPE [578].
Andromède ce soir aura l'illustre époux
Qui seul est digne d'elle, et dont seule elle est digne.
Préparons son hymen, où, pour faveur insigne,
Les Dieux ont résolu de se joindre avec nous.
CHŒUR [579].
Préparons son hymen, où, pour faveur insigne,
Les Dieux ont résolu de se joindre avec nous.
PAGE.
Le ciel le veut.
LIRIOPE.
Vénus l'ordonne. 580
PAGE.
L'amour les joint.
LIRIOPE.
L'hymen va les unir.
PAGE.
Douce union que chacun doit bénir!
LIRIOPE.
Heureuse amour qu'un tel succès couronne [580]!
PAGE ET LIRIOPE [581].
Andromède ce soir aura l'illustre époux
Qui seul est digne d'elle, et dont seule elle est digne.
Préparons son hymen, où, pour faveur insigne,
Les Dieux ont résolu de se joindre avec nous.
CHŒUR [582].
Préparons son hymen, où, pour faveur insigne,
Les Dieux ont résolu de se joindre avec nous.
ANDROMÈDE.
Il n'en faut point mentir, leur accord m'a surprise. 590
PHINÉE.
Madame, c'est ainsi que tout me favorise,
Et que tous vos sujets soupirent en ces lieux
Après l'heureux effet de cet arrêt des Dieux,
Que leurs souhaits unis....
SCÈNE III.
PHINÉE, ANDROMÈDE, TIMANTE, chœur de Nymphes, suite de Phinée.
TIMANTE.
Ah! Seigneur, ah! Madame.
PHINÉE.
Que nous veux-tu, Timante, et qui trouble ton âme?
TIMANTE.
Le pire des malheurs.
PHINÉE.
Le Roi seroit-il mort?
TIMANTE.
Non, Seigneur; mais enfin le triste choix du sort
Vient de tomber.... Hélas! pourrai-je vous le dire?
ANDROMÈDE.
Est-ce sur quelque objet pour qui ton cœur soupire?
Soupirer à vos yeux du pire de ses coups, 600
N'est-ce pas dire assez qu'il est tombé sur vous?
PHINÉE.
Qui te fait nous donner de si vaines alarmes?
TIMANTE.
Si vous n'en croyez pas mes soupirs et mes larmes,
Vous en croirez le Roi, qui bientôt à vos yeux
La va livrer lui-même aux ministres des Dieux. 605
PHINÉE.
C'est nous faire, Timante, un conte ridicule;
Et je tiendrois le Roi bien simple et bien crédule,
Si plus qu'une déesse il en croyoit le sort.
TIMANTE.
Le Roi non plus que vous ne l'a pas cru d'abord:
Il a fait par trois fois essayer sa malice, 610
Et l'a vu par trois fois faire même injustice:
Du vase par trois fois ce beau nom est sorti.
PHINÉE.
Et toutes les trois fois le sort en a menti.
Le ciel a fait pour vous une autre destinée:
Son ordre est immuable, il veut notre hyménée: 615
Il le veut, il y met le bonheur de ces lieux;
Et ce n'est pas au sort à démentir les Dieux.
ANDROMÈDE.
Assez souvent le ciel par quelque fausse joie
Se plaît à prévenir les maux qu'il nous envoie;
Du moins il m'a rendu quelques moments bien doux 620
Par ce flatteur espoir que j'allois être à vous.
Mais puisque ce n'étoit qu'une trompeuse attente,
Gardez mon souvenir, et je mourrai contente.
PHINÉE.
Et vous mourrez contente! Et j'ai pu mériter
Qu'avec contentement vous puissiez me quitter! 625
Détacher sans regret votre âme de la mienne!
Vouloir que je le voie, et que je m'en souvienne!
Et mon fidèle amour qui reçut votre foi
Vous trouve indifférente entre la mort et moi!
Oui, je m'en souviendrai, vous le voulez, Madame;
J'accepte le supplice où vous livrez mon âme;
Mais quelque peu d'amour que vous me fassiez voir,
Le mien n'oubliera pas les lois de son devoir.
Je dois, malgré le sort, je dois, malgré vous-même,
Si vous aimez si mal, vous montrer comme on aime,
Et faire reconnoître aux yeux qui m'ont charmé
Que j'étois digne au moins d'être un peu mieux aimé.
Vous l'avouerez bientôt, et j'aurai cette gloire,
Qui dans tout l'avenir suivra notre mémoire,
Que pour se voir quitter avec contentement, 640
Un amant tel que moi n'en est pas moins amant.
ANDROMÈDE.
C'est donc trop peu pour moi que des malheurs si proches,
Si vous ne les croissez par d'injustes reproches!
Vous quitter sans regret! les Dieux me sont témoins
Que j'en montrerois plus si je vous aimois moins. 645
C'est pour vous trop aimer que je parois toute autre:
J'étouffe ma douleur pour n'aigrir pas la vôtre;
Je retiens mes soupirs de peur de vous fâcher,
Et me montre insensible afin de moins toucher.
Hélas! si vous savez faire voir comme on aime, 650
Du moins vous voyez mal quand l'amour est extrême;
Oui, Phinée, et je doute, en courant à la mort,
Lequel m'est plus cruel, ou de vous, ou du sort.
PHINÉE.
Hélas! qu'il étoit grand quand je l'ai cru s'éteindre,
Votre amour! et qu'à tort ma flamme osoit s'en plaindre!
Princesse, vous pouvez me quitter sans regret:
Vous ne perdez en moi qu'un amant indiscret,
Qu'un amant téméraire, et qui même a l'audace
D'accuser votre amour quand vous lui faites grâce,
Mais pour moi, dont la perte est sans comparaison, 660
Qui perds en vous perdant et lumière et raison,
Je n'ai que ma douleur qui m'aveugle et me guide:
Dessus toute mon âme elle seule préside [583];
Elle y règne, et je cède entier à son transport;
Mais je ne cède pas aux caprices du sort [584]. 665
Que le Roi par scrupule à sa rigueur défère,
Qu'une indigne équité le fasse injuste père.
La Reine et mon amour sauront bien empêcher
Qu'un choix si criminel ne coûte un sang si cher.
J'ose tout, je puis tout après un tel oracle. 670
TIMANTE.
La Reine est hors d'état d'y joindre aucun obstacle:
Surprise comme vous d'un tel événement,
Elle en a de douleur perdu tout sentiment;
Et sans doute le Roi livrera la Princesse
Avant qu'on l'ait pu voir sortir de sa foiblesse. 675
PHINÉE.
Eh bien! mon amour seul saura jusqu'au trépas,
Malgré tous....
ANDROMÈDE.
Le Roi vient; ne vous emportez pas.
SCÈNE IV.
CÉPHÉE, PHINÉE, ANDROMÈDE, PERSÉE, TIMANTE, chœur de Nymphes, suite du Roi et de Phinée.
CÉPHÉE.
Ma fille, si tu sais les nouvelles funestes
De ce dernier effort des colères célestes,
Si tu sais de ton sort l'impitoyable cours, 680
Qui fait le plus cruel du plus beau de nos jours,
Épargne ma douleur, juges-en par sa cause,
Et va sans me forcer à te dire autre chose.
ANDROMÈDE.
Seigneur, je vous l'avoue, il est bien rigoureux [585]
De tout perdre au moment qu'on se doit croire heureux;
Et le coup qui surprend un espoir légitime
Porte plus d'une mort au cœur de la victime.
Mais enfin il est juste, et je le dois bénir:
La cause des malheurs les doit faire finir.
Le ciel, qui se repent sitôt de ses caresses, 690
Verra plus de constance en moi qu'en ses promesses:
Heureuse, si mes jours un peu précipités
Satisfont à ces Dieux pour moi seule irrités,
Si je suis la dernière à leur courroux offerte,
Si le salut public peut naître de ma perte! 695
Malheureuse pourtant de ce qu'un si grand bien [586]
Vous a déjà coûté d'autre sang que le mien,
Et que je ne suis pas la première et l'unique
Qui rende à votre État la sûreté publique!
PHINÉE.
Quoi? vous vous obstinez encore à me trahir? 700
Je vous plains, je me plains, mais je dois obéir.
PHINÉE.
Honteuse obéissance à qui votre amour cède!
CÉPHÉE.
Obéissance illustre, et digne d'Andromède!
Son nom comblé par là d'un immortel honneur....
PHINÉE.
Je l'empêcherai bien, ce funeste bonheur. 705
Andromède est à moi, vous me l'avez donnée;
Le ciel pour notre hymen a pris cette journée;
Vénus l'a commandé: qui me la peut ôter?
Le sort auprès des Dieux se doit-il écouter?
Ah! si j'en vois ici les infâmes ministres 710
S'apprêter aux effets de ses ordres sinistres....
CÉPHÉE.
Apprenez que le sort n'agit que sous les Dieux,
Et souffrez comme moi le bonheur de ces lieux.
Votre perte n'est rien au prix de ma misère:
Vous n'êtes qu'amoureux, Phinée, et je suis père [587]. 715
Il est d'autres objets dignes de votre foi [588];
Mais il n'est point ailleurs d'autres filles pour moi [589].
Songez donc mieux qu'un père à ces affreux ravages
Que partout de ce monstre épandirent les rages;
Et n'en rappelez pas l'épouvantable horreur, 720
Pour trop croire et trop suivre une aveugle fureur.
PHINÉE.
Que de nouveau ce monstre entré dessus vos terres
Fasse à tous vos sujets d'impitoyables guerres,
Le sang de tout un peuple est trop bien employé
Quand celui de ses rois en peut être payé; 725
Et je ne connois point d'autre perte publique
Que celle où vous condamne un sort si tyrannique.
CÉPHÉE.
Craignez ces mêmes Dieux qui président au sort.
PHINÉE.
Qu'entre eux-mêmes ces Dieux se montrent donc d'accord.
Quelle crainte après tout me pourroit y résoudre? 730
S'ils m'ôtent Andromède, ont-ils quelque autre foudre?
Il n'est plus de respect qui puisse rien sur moi;
Andromède est mon sort, et mes Dieux, et mon roi;
Punissez un impie, et perdez un rebelle;
Satisfaites le sort en m'exposant pour elle: 735
J'y cours; mais autrement je jure ses beaux yeux,
Et mes uniques rois, et mes uniques Dieux [590]....
(Ici le tonnerre commence à rouler avec un si grand bruit, et accompagné d'éclairs redoublés avec tant de promptitude, que cette feinte donne de l'épouvante aussi bien que de l'admiration, tant elle approche du naturel. On voit cependant descendre Éole avec huit vents, dont quatre sont à ses deux côtés, en sorte toutefois que les deux plus proches sont portés sur le même nuage que lui, et les deux plus éloignés sont comme volants en l'air tout contre ce même nuage. Les quatre autres paroissent deux à deux au milieu de l'air sur les ailes du théâtre, deux à la main gauche et deux à la droite: ce qui n'empêche pas Phinée de continuer ses blasphèmes.)
SCÈNE V.
ÉOLE, huit Vents, CÉPHÉE, PERSÉE, PHINÉE, ANDROMÈDE, chœur de Nymphes, suite du Roi et de Phinée.
CÉPHÉE.
Arrêtez: ce nuage enferme une tempête
Qui peut-être déjà menace votre tête.
N'irritez plus les Dieux déjà trop irrités. 740
PHINÉE.
Qu'il crève, ce nuage, et que ces déités....
CÉPHÉE.
Ne les irritez plus, vous dis-je, et prenez garde....
PHINÉE.
A les trop irriter qu'est-ce que je hasarde?
Que peut craindre un amant quand il voit tout perdu?
Tombe, tombe sur moi leur foudre, s'il m'est dû! 745
Mais s'il est quelque main assez lâche et traîtresse
Pour suivre leur caprice et saisir ma princesse,
Seigneur, encore un coup, je jure ses beaux yeux,
Et mes uniques rois, et mes uniques Dieux....
ÉOLE, au milieu de l'air.
Téméraire mortel, n'en dis pas davantage; 750
Tu n'obliges que trop les Dieux à te haïr:
Quoi que pense attenter l'orgueil de ton courage,
Ils ont trop de moyens de se faire obéir.
Connois-moi pour ton infortune;
Je suis Éole, roi des vents. 755
Partez, mes orageux suivants,
Faites ce qu'ordonne Neptune.
(Ce commandement d'Éole produit [591] un spectacle étrange et merveilleux tout ensemble. Les deux vents qui étoient à ses côtés suspendus en l'air s'envolent, l'un à gauche et l'autre à droit [592]; deux autres remontent avec lui dans le ciel sur le même nuage qui les vient d'apporter; deux autres, qui étoient à sa main gauche sur les ailes du théâtre, s'avancent au milieu de l'air, où ayant fait un tour, ainsi que deux tourbillons, ils passent au côté droit du théâtre, d'où les deux derniers fondent sur Andromède, et l'ayant saisie chacun par un bras, ils l'enlèvent [593] de l'autre côté jusque dans les nues.)
ANDROMÈDE [594].
O ciel!
CÉPHÉE.
Ils l'ont saisie, et l'enlèvent en l'air.
PHINÉE [595].
Ah! ne présumez pas ainsi me la voler:
Je vous suivrai partout malgré votre surprise [596] 760
SCÈNE VI.
CÉPHÉE, PERSÉE, suite du Roi.
PERSÉE.
Seigneur, un tel péril ne veut point de remise;
Mais espérez encor, je vole à son secours,
Et vais forcer le sort à prendre un autre cours.
CÉPHÉE.
Vingt amants pour Nérée en firent l'entreprise;
Mais il n'est point d'effort que ce monstre ne brise. 765
Tous voulurent sauver ses attraits adorés,
Tous furent avec elle à l'instant dévorés.
PERSÉE.
Le ciel aime Andromède, il veut son hyménée,
Seigneur; et si les vents l'arrachent à Phinée,
Ce n'est que pour la rendre à quelque illustre époux 770
Qui soit plus digne d'elle, et plus digne de vous;
A quelque autre par là les Dieux l'ont réservée.
Vous saurez qui je suis quand je l'aurai sauvée.
Adieu: par des chemins aux hommes inconnus
Je vais mettre en effet l'oracle de Vénus. 775
Le temps nous est trop cher pour le perdre en paroles.
CÉPHÉE.
Moi, qui ne puis former d'espérances frivoles,
Pour ne voir point courir ce grand cœur au trépas,
Je vais faire des vœux qu'on n'écoutera pas.
FIN DU SECOND ACTE.